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Veik, l’architecture du bruit

Crédits : Louis Geslain

Mélangeant sonorités brutalistes et textes mi-ironiques, mi-philosophiques, le premier album des architectes sonores Caennais que sont Veik est l’édifice le plus vertigineux que vous écouterez aujourd’hui.

Sur notre premier EP, on a un morceau qui s’appelle Sick and Tired. Pendant qu’on l’enregistrait dans un studio installé dans une maison de vacances, donc un peu ouvert à tout le monde, un de nos potes arrive et shoote dans une bouteille de vin posée par terre, qui éclate. En pleine prise”. 

Un groupe “normal” aurait sans doute viré manu militari cet ami encombruyant – néologisme entre “encombrant” et “bruyant” – du studio, fermé sa porte à double tour, nettoyé le cadavre de verre et refait une prise sans risque d’entendre à nouveau un “skriiiinch” bien embêtant. Veik, eux, ça les fait plutôt rire. Et ils ont gardé la prise. 

Accepter l’accident

On ne cherche pas à tout prix l’accident, m’explique Boris Collet, au chant et à la batterie – un tour de force assez rare – dans le trio caennais, qui dévoile aujourd’hui son premier long-format, le bruitiste Surrounding Structures, mais on peut le valoriser, trouver de la beauté dans le défaut.”. Un crédo artistique toujours sur le fil du rasoir,  valorisé par Adrien Legrand, qui occupe lui le poste de préposé ès synthétiseurs. “On est pas des concertistes, on cultive un peu ce côté un peu branlos dans le jeu. Être parfait dans l’exécution, ça ne nous intéresse pas.

Veik est une certaine forme de science. Une science de l’inconfort. Ses membres ne sauvegardent par exemple aucun préset dans leurs claviers – ce qui est parfois “grisant”, comme le reconnaît Adrien, par exemple lorsque vous tombez sur LE son parfait mais qu’un petit choc tourne votre potard de tone, perdant alors toute sa saveur et vous laissant pantois. “JAMAIS je piurrais le recuperer”, dixit un célèbre meme. 

Et, comme une science, Veik est une affaire d’expérimentations plurielles, tant sur la “façon de se servir de son instrument”, selon les propos de Vincent Condominas – guitariste plus habitué aux formations “conventionnelles” qu’à ce jeu très bruitiste qui se fait entendre dans Surrounding Structures – qu’en faisant la part belle à l’improvisation, dans les compositions comme en concert

“Jouer toujours de la même façon tous les soirs, ça n’est pas pour nous. On essaie toujours de retranscrire nos morceaux d’une façon différente, de façon plus ou moins délibérée d’ailleurs. Parfois on va avoir un truc qui ne va pas marcher, donc le set va en pâtir, et parfois il va y avoir un alignement des planètes, et ce concert va être teinté d’une certaine forme de romantisme.”

L’inconfort, il est aussi pour l’auditeur. Mais un inconfort auquel on consent avec plaisir pendant ces quarante-cinq minutes qui oscillent entre une version dadaïste de la pop synthétique (Political Apathy ou bien Difficult Machinery) et bidouillages expérimentaux (Chullachaqui, Château Guitar). Ici s’entremêlent boucles analogiques semblant sortir d’un vieux clavier de l’ère post-soviétique, nappes d’orgues froides comme le Ioujak, six-cordes grattées parfois aléatoirement et percussions sonnant comme la grêle s’écrasant sur une place grise entre des grands ensembles tout aussi gris

La grisaille, Veik connaît bien ça. Mettons le cap vers Caen, en Basse-Normandie. Une ville sinistrée dans la Seconde Guerre Mondiale et reconstruite à près de 90% depuis, qui voit d’ailleurs “son tissu de petits tiers-lieux culturels se détériorer de jours en jours, même avant la crise sanitaire”, selon un constat de l’équipe. C’est ici que trois gaillards qui se fréquentaient déjà dans sa riche scène musicale – dont un autre représentant, Beach Youth, vient lui aussi de sortir son premier album, Postcard, en avril 2021 – décident de mettre en commun leurs six mains et leurs trois cerveaux afin de construire des édifices sonores. 

Édifices sonores

Le trio s’oriente rapidement vers ce que ses membres appellent de concert “un référentiel commun”. Mais, comme le déplore Boris, “on a eu une fois le malheur de dire qu’on écoutait du kraut, depuis on nous catégorise comme un groupe de kraut. Alors qu’on écoute plein de choses à côté !” Chez Veik se battent en effet en duel des influences kraut, évidemment, mais aussi post-punk, no wave, électro industrielle ou bien encore drone. Mais pas seulement.

Storytelling oblige, le groupe arriverait souvent en retard aux balances, la faute à des visites impromptues des constructions insolites des contrées où ces passionnés d’architecture trimballent leurs amplis. Ils s’en défendent… Un peu.

C’est pas totalement faux non plus… On se fait des petites sessions quand on est en tournée, histoire de revenir un peu moins cons ! La dimension architecturale est aussi un prétexte pour partir vers des esthétiques plus brutalistes, plus modernistes. Mais il ne faut pas comprendre Surrounding Structures comme traitant des seules constructions physiques érigées par la main de l’homme

Surrounding Structures, “les structures qui nous entourent” dans la langue de La Femme et Requin Chagrin, est aussi un témoignage des relations sociales qui nous façonnent, tant en tant qu’individu qu’en tant qu’entité collective. Political Apathy est par exemple né d’une manifestation de gilets jaunes passant sous la fenêtre de Boris. “Je me suis posé beaucoup de questions sur l’engagement politique et sur comment faire de la musique en tant que citoyen. C’est des sujets dont on discute entre nous, sur lesquels on lit aussi beaucoup, et ça infuse inconsciemment notre art.”

Qu’elle nous conte la visite d’un être cher hospitalisé dans Difficult Machinery, se joue critique de l’individualisme dans Singularism ou nous expose l’impact des pressions extérieures sur la condition humaine dans Life Is A Time Consuming Experience, la musique sortant des instruments de Veik semble aussi pleine de joie de vivre qu’un Kierkegaard sous valium. Pourtant, Boris, Vincent et Adrien le revendiquent, leur principale préoccupation sur Surrounding Structures était d’insuffler au disque un côté “très chaleureux même dans la froideur, mais surtout teinté d’ironie”. 

On la retrouve par exemple dans des titres tels que Life Is a Time Consuming Experience ou Château Guitar, nommé à partir du vin éponyme – “pas très bon, d’ailleurs”, selon Vincent, mais aussi dans cette approche très dadaïste de l’exercice musical, comme vu précédemment, et dans cette bonne humeur qui transparaît depuis l’écran du Google Meet. Une interview commençant par un mini-débat sur la tournure d’un dîner auquel seraient conviés Arielle Dombasle, Bernard Henri-Lévy et Nicolas Ker, ça n’est pas commun.

Refusant d’être catalogués comme un groupe politique, “car on ne serait pas légitime”, ni sociologique ou philosophique, “même si ces thèmes nous inspirent“, la réponse des trois gaillards est plutôt claire : “Veik, c’est un groupe de potes qui aiment la bonne bouffe et la bonne musique.” Bon résumé. 

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Jules Vandale