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La Femme explore ses Paradigmes

Crédits photo : Oriane Robaldo

Cinq ans après le monumental Mystère, La Femme revient (enfin) sur le devant de la scène avec Paradigmes, autant album que film. Rencontre avec Marlon Magnée pour discuter du groupe le plus total de France.

Ça fait plaisir de revenir après cinq ans, ça commençait à nous manquer un peu. Même si la promo c’est un peu fatiguant, on reste contents”. À l’autre bout du fil, Marlon Magnée profite d’une “pause” bienvenue pendant l’enregistrement d’une émission de télévision pour parler du dernier divin disque du groupe métamorphique qu’il forme depuis 2010 avec Sacha Got. 

Les deux garçons se rencontrent au lycée, près de Biarritz,  se soudent par des passions communes pour la musique – cold-wave, yéyé et punk en tête – ou le cinéma – celui de Tarantino et de Noé –, et profitent de leur arrivée à Paris une fois le sacro-saint baccalauréat obtenu pour y rencontrer Sam Lefèvre, Noé Delmas et Lucas Nunez Ritter. Ensemble, ils décident de se professionnaliser sous le nom de La Femme. Une histoire somme toute très classique pour un groupe qui ne l’est pas dans son état d’esprit mais qui, paradoxalement, l’est devenu dans les consciences collectives

On a beaucoup galéré à nos débuts, se rappelle Marlon. On venait de sortir de la vague des baby-rockeurs et on se retrouvait dans celle des groupes qui jouaient à fond la carte anglo-saxonne. Quand on est arrivé avec nos synthétiseurs et notre chant en français, les gens ne nous prenaient pas au sérieux. Pendant longtemps, les seules radios qui nous faisaient confiance, c’était Nova et France Inter

Cette incompréhension ne va pourtant pas empêcher la formation de révéler son premier album – on parlait toute à l’heure de “classique”…  –  Psycho Tropical Berlin, en 2014. Avant un coup de main plutôt… inattendu : L’utilisation, par une célèbre marque, de leur hit Sur La Planche dans un spot. À l’heure où chacun shazamait à tout va, cette externalité va crédibiliser le groupe aux yeux de ceux qui les trouvaient trop insolites pour mériter qu’on s’y attarde. 

La mayonnaise prend avec le public, l’étincelle fait exploser le succès du groupe et celui-ci devient l’une des formations françaises “indépendante” qui s’exporte le mieux aux quatre coins du monde. Les tournées aux États-Unis, notamment (d’où en résultent certains des titres du disque, comme Cool Colorado ou La Nouvelle-Orléans), mais aussi en Europe et en Amérique Latine. Un statut confirmé avec Mystère, deuxième album arrivé sur nos latitudes en 2016, mais qui s’accompagne de quelques petits défauts

Les tournées c’est génial, ça te fait voyager, mais c’est parfois étouffant. Tu essaies de travailler sur la route mais tu sais que tu es freiné par beaucoup de choses et tu n’y termine jamais rien.

Pourtant, ça n’a pas empêché La Femme d’y écrire et composer près de cent chansons. Cent. Chansons. Pour n’en garder au final qu’une quinzaine dans Paradigmes, dernière merveille d’un groupe qui connaît mieux Pigalle et Pasadena que sa propre poche. “Sélectionner quelle chanson allait se retrouver sur le disque et quelle chanson n’y serait pas nous a demandé beaucoup de listes, beaucoup de réunions et beaucoup de temps !

Paradigme(s)

Cent chansons, et peut-être aussi cent courants musicaux différents. Comme depuis ses premières galettes de vinyle, la bande se plaît à exploser les frontières stylistiques et à rebattre les cartes de son jeu musical à chaque nouveau morceau – là où la plupart des groupes se contentent, au mieux, de le faire à chaque nouvel album. Peut-être piochent-ils l’esthétique qu’ils vont s’amuser à explorer comme un chiffre dans une partie de bingo, ou peut-être que cette idée leur vient tout simplement de leur très large spectre d’influences, ratissant toutes les périodes musicales et artistiques du XXème siècle. Marlon, lui, penche plutôt pour la seconde solution

Dans Paradigmes s’entrechoquent en effet punk sous perfusions électroniques (Foutre Le Bordel), balade synthétique plus mélancolique qu’une planche de Charlie Brown (Tu t’en lasses), tempête aux sonorités de vieux gadgets électroniques, inspirée des boys bands des années 90 (Foreigner), reggae enfumé et influencé par la légalisation de la weed à Denver en plein milieu d’une tournée outre-Atlantique (Cool Colorado) et discours pseudo-philosophique sur instrumentation western, solo de banjo en prime (Disconnexion). En résumé : un joyeux foutoir. 

Cette totale liberté qui donne l’impression que chaque morceau de Paradigmes provient d’un univers différent que celui qui le précède et celui qui le suit – d’autant plus quand on connaît la propension du groupe à accumuler les chanteuses différentes sur chaque projet – s’accompagne pourtant d’une cohérence folle. “Même si tu ne connais pas le morceau, tu devines instantanément que c’est La Femme. C’est notre paradigme à nous, si j’ose dire”.

Le secret de La Femme est pourtant simple : depuis son premier EP Paris 2012, sorti en 2011, le groupe navigue en totale indépendance artistique, ne faisant appel aux maisons de disques que pour la seule distribution, préférant s’autoproduire avec son label personnel au nom bien évocateur : Disque Pointu. Une indépendance, acquise notamment du côté financier par l’intermédiaire de la pub précédemment évoquée, qui ne laisse pas Marlon indifférent. 

Même si c’est risqué, c’est le mieux pour nous. Personne ne peut être dans notre tête, et on a une vision tellement spéciale qu’on se dit qu’il vaut mieux qu’on fasse tout nous-même. Les seules concessions que l’on fait, hors choses techniques, c’est celles qui servent à nous mettre d’accord Sacha et moi. On veut pouvoir rester fiers de nos morceaux dans vingt ans, même s’ils ne sont pas parfaits.

Du 4ème au 7ème art

Seuls maîtres à bord, ils en profitent pour accompagner Paradigmes, l’album, par Paradigmes, le film. Bien que l’idée leur vint en tête “juste après la fin de la conception de l’album, en 2019”, la crise que nous traversons leur a offert un délai bienvenu pour finaliser l’expérience. 

À l’écoute du morceau Disconnexion, on imaginait ce qu’on a finalement clippé, c’est-à-dire une émission de télévision à l’ancienne, où on boit, on fume et on discute de musique. Le morceau Paradigme faisant alors un très bon générique. Faut voir chacune des pistes de l’album comme un reportage différent centré sur La Femme, qui serait le “groupe du mois” de l’émission

Une facette finalement pas si étonnante pour un groupe qui a toujours considéré la partie visuelle comme “une représentation en trois dimensions indissociable de notre musique”, une musique déjà abreuvée de références cinématographiques – et de clips écrasant la concurrence – bien avant cette exploration du septième art. Car, faut-il rappeler, les illustrations qui accompagnent les morceaux de La Femme, furent souvent au moins saisissantes, au mieux monumentales – comment oublier le délire Jodorowski-esque de Sphynx, réalisé par Aymeric Bergada du Cadet, habitué du groupe ?

Une pratique qui a tout de même un poids financier plutôt lourd, comme le philosophe mon interlocuteur. “Tu ne fais déjà pas d’argent avec un clip, donc imagine quand tu dois en tourner quinze…”. Difficile de s’attendre donc à ce que la pratique du long-métrage se perpétue avec les prochaines sorties du groupe, “d’autant plus si ça nous empêche de faire de la musique comme on le souhaite”, à moins que… “Peut-être qu’un jour on fera l’inverse de Paradigmes : On pensera au film d’abord, et à l’album ensuite.

Au moment de clôturer cette interview, Marlon Magnée m’informe qu’après avoir réalisé un film, le groupe pourrait un jour se retrouver de l’autre côté de la caméra. “En fait, ça fait pas mal d’années qu’on est filmé par Jean-François Julian, presque depuis le début de notre carrière. Il a donc accumulé pas mal d’images et on ne sait pas encore quand ni comment on va les sortir.” Une série sur La Femme, pour comprendre d’où viennent leurs Paradigmes, ça semble alléchant, non ?

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Jules Vandale