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Avec Bye Bye Baby, Requin Chagrin prend le large vers les étoiles

Photo par Andrea Montano

Requin Chagrin révèle Bye Bye Baby, troisième album qui troque un imaginaire maritime contre des sonorités plus stellaires. Rencontre avec Marion Brunetto pour parler de son disque le plus abouti à ce jour, traversée en solitaire vers un nouveau monde.

Contrairement à ce que l’écoute de Bye Bye Baby pourrait laisser penser, Requin Chagrin n’est pas né sur une plage de Vénus ou dans les profondeurs du Pacifique Ouest – comme le voudrait l’espèce de squale dont elle tient involontairement son nom. “J’ai grandi à Ramatuelle, une petite ville côtière au bord de la Méditerranée. J’ai passé mon enfance à voir la mer, alors, involontairement, elle est restée ancrée en moi et ça se retrouve encore dans ma musique”. Des châteaux de sable fin à la scène d’une Maroquinerie qu’elle espère pouvoir fouler en octobre, une fois passée la tempête sanitaire, il n’y a qu’un bras de mer que l’intrépide Marion Brunetto a allégrement franchi. 

Tout commence lorsque son frère, de dix-huit ans son aîné, ramène une guitare à la maison familiale.J’étais un peu jalouse ! Alors mes parents m’ont inscrit à mes premiers cours et depuis, je n’ai pas lâché une seule seconde.” Un frère qui, en plus de lui avoir transmis le virus de la six-cordes, celui dont on ne réchappe jamais, s’est aussi arrangé pour la noyer sous des piles de disques, parmis lesquels on pouvait trouver pêle-mêle The Cure et autres The Smashing Pumpkins. Deux formations qui finiront par irriguer ses guitares par leurs artifices : chorus resplendissant, réverbérations chatoyantes et fuzz bien gras.

Prendre le large…

C’est lorsqu’elle prend le large vers Paris, “pour y suivre des études de dessin”, que Marion plonge dans le grand bain des scènes undergrounds locales. Elle finit par voguer avec Les Guillotines, groupe donnant dans le garage 60’s, dans lequel elle joue de la batterie. “Dans toute cette agitation, je tombais sur des gens qui avaient des projets solo à côté de formations plus conséquentes, m’éclaire-t-elle. Ils y faisaient tout eux-mêmes, des compos à l’enregistrement, et ça m’a donné envie de m’y mettre. Requin Chagrin, c’est un peu un side-project qui a pris de l’ampleur !

Elle embarque le 26 août 2015 dans un voyage musical vers des terres qui se nomment dream pop, shoegaze, garage ou encore cold wave, mais toujours en Français. Un fait étonnant au regard de ces influences qui doivent traverser la Manche pour parvenir à ses oreilles, mais dont la Varoise s’accommode très bien.

Je n’ai jamais été très à l’aise avec l’anglais, que ce soit à l’oral ou à l’écrit, donc l’utiliser compliquerait grandement les choses. Ça me suit depuis que je joue avec Les Guillotines, on était les seuls à chanter en Français et ça nous démarquait du reste. Même mon chant en yaourt est en Français !

Un voyage qui compte pour l’instant trois belles escales : le très guitarisé Adélaïde en 2016, le un peu plus synthétisé Sémaphore en 2019 et donc Bye Bye Baby, sorti le 9 avril 2021 sur KMS Disques – la maison de disque fondée par Nicolas Sirkis, grand fan du projet squalique.  

Album de confinement au regard de sa temporalité – les premières ébauches de morceaux datent de décembre 2019, des temps d’insouciance perdue –, c’est peut-être pour ça que ses sonorités semblent regarder vers la Mer de la Tranquillité, cette fameuse “plaine” lunaire sur laquelle s’est (ou ne s’est pas, chacun a son avis sur la question) posée l’expédition Apollo 11 en 1969. 

Faut-il y voir une volonté de s’échapper de ces journées interminables  passées à faire les cent pas dans un appartement parisien ? La réponse apportée par l’intéressée est bien plus simple.  “On m’a prêté un Juno 60 synthétiseur polyphonique des années 1980, ndlr – , et ça apporte tout de suite des textures plus aériennes, presque extraterrestres. Ça change de la mer, aussi !

… Et regarder vers les étoiles

Ces moments en eaux troubles n’ont pas empêché Marion de produire ce qui peut se voir comme son œuvre la plus aboutie, tant du point de vue des compositions que celui de la production. Troquant son Tascam 4-pistes pour un enregistreur à bandes, “un peu capricieux à utiliser mais qui apporte un son dynamique, chaleureux, brillant, tout en permettant de voir toutes les pistes sur lesquelles tu veux travailler”, elle s’est armée de ses meilleures torpilles instrumentales : Fender Mustang et Stratocaster, Juno-60, Yamaha PS-20 (“l’orgue de Beach House”, sourit-elle), basse et boîte à rythme.

Depuis ses débuts dans Requin Chagrin, Marion Brunetto est en effet une véritable Robinson Crusoé, polyvalente dans l’instrumentation et cherchant toujours à explorer de nouveaux territoires sonores afin d’y récolter moultes merveilles. 

Je commence toujours par configurer une rythmique dans mon logiciel et je vais improviser là-dessus, tant avec la guitare qu’avec les claviers. Peut-être même plus avec les claviers d’ailleurs, parce que je ne les maîtrise pas totalement, donc je suis en quête de surprises. Je dessine ensuite un thème avec les mots qui sortent pendant ma phase “yaourt”, j’écris les paroles et après quelques ajustements ça donne un morceau !

Une fois le temps du déconfinement venu, cap vers les ICP Studios de Bruxelles, sorte de cour de récréation pour musiciens qui “déborde d’instruments et de matos de fou”, s’enthousiasme-elle de l’autre côté de l’écran, pour une semaine d’enregistrement. Avant l’étape obligatoire du mixage, réalisé par le producteur anglais Ash Workman et qui vient parachever le soin déjà apporté par Marion à ses arrangements. 

J’aurais bien aimé qu’il me fasse un tuto ! plaisante-elle, le processus ayant dû se réaliser en distanciel. Il a réussi à bien envelopper, bien équilibrer, le tout, mais aussi à créer beaucoup d’espaces dans ma musique.” Il permet à sa voix placide et éthérée de survoler des vagues de claviers qui rappellent Beach House ainsi que les monumentaux écossais que sont les Cocteau Twins, à qui elle dédicace le morceau Juno et ses percussions lourdes et réverbérées. 

 

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On se fait happer par les riffs aussi chaleureux que le soleil tapant sur la surface de Mercure qui entament Première Vague, on surfe sur les modulations des orgues qui composent Déjà Vu, on se fait glacer le sang avec plaisir, Volage dans les oreilles, et on dit Bye Bye Baby à toutes ces choses qui “nous empêchent de vivre pleinement le moment présent, d’être libre, d’être adulte”. À la barre de sa dernière caravelle spatiale, Marion Brunetto clôture son aventure avec le lunaire Roi Du Silence. On attend maintenant le concert depuis la Station Spatiale Internationale. 

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Jules Vandale