“Cri du printemps” : le journal de bord đ¶ du songwriter bordelais Botibol
Musique - 31.3.2020
AprĂšs les carnets de bord illustrĂ©s en vidĂ©o de Bandit Bandit, Lukas Ionesco ou encore Silly Boy Blue, le compositeur folk Botibol a dĂ©cidĂ© d’enfourcher sa guitare pour nous offrir un carnet de bord en musique (mais Ă©galement en prose). Bonne Ă©coute !
Figure incontournable de lâindie folk français, le bordelais Vincent Bestaven aka Botibol nous avait racontĂ© son troisiĂšme album intimiste, La fiĂšvre Golby, un album de chevet invitant Ă la mĂ©ditation et succĂ©dant aux merveilleux Born from a Shore (2011) et Murs blancs (2013). Pendant la quarantaine, le songwriter nous offre son carnet de bord et a composĂ© tout spĂ©cialement pour l’occasion un morceau : Cri du printemps, les deux sont Ă dĂ©couvrir ci-dessous.
Journal de bord de Botibol
“General Pop mâa demandĂ© dâĂ©crire un petit texte sur le quotidien durant cette pĂ©riode particuliĂšre. Je nâĂ©tais pas sĂ»r de savoir ce je pouvais avoir dâintĂ©ressant Ă livrer au dĂ©part, mais lâexercice est amusant, les tĂ©moignages de collĂšgues se succĂšdent et concocteront sĂ»rement une chouette galerie bigarrĂ©e. Et puis surtout, dans le paquet, jâai calĂ© un nouveau morceau, le Cri du Printemps, sur un visuel de Marynn.”
Vous pourrez donc lire, Ă©couter et observer lâhistoire de confinĂ©s parmi des millions dâautres :
“On patauge tous dans ce moment particulier et charniĂšre ou le virtuel prend une place gigantesque, on observe les ombres dâune projection du monde par le petit trou dâinternet. Ăa me donne envie de lire du Platon, mais je ne sais pas sâil est sur Instagram.
La distance imposĂ©e par dâinfimes boules dâARN malicieux nous met le nez dans ce que notre civilisation a produit de plus paradoxal, une façon de sâinformer et de communiquer sans apparentes limites, qui sert principalement Ă regarder des vidĂ©os de chats, mater Netflix en ramasse, se marrer sur les articles des platistes, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes ou le pain au chocolat. Il reste les livres, jâai une bibliothĂšque pas trop mal, mais face Ă lâoverdose je chĂ©ris le souvenir de lâĂ©change physique. Celui de se parler, de sâembrasser, de faire la fĂȘte, se crier dessus, de se faire lâamour, dâĂȘtre emportĂ© par les vagues, dâĂȘtre en chorale, de me prendre une rouste par un inconnu aux Ă©checs Ă Saint Michel (Ă Bordeaux c’est pas encore le mĂȘme), de sâengueuler, de faire des concerts.
Câest le deuxiĂšme festival virtuel qui me demande de faire des live stream aujourdâhui. Je ne sais pas encore quoi en penser. Faudra que je mâhabille en plus. Est ce que jâaurais lâimpression de mettre un chapeau pour aller Ă la guillotine ? Jâaime avoir le temps de me forger un avis sur les choses, jâai lâimpression quâune rĂ©flexion a besoin de temps, mĂȘme si elle a toutes les infos :
– les concerts streamĂ©s live chez toi câest gĂ©nial !
– non les live stream confinĂ©s câest de la merde !
De toutes façons je partage ma connexion avec Romain et Gaby mes voisins, et ça marche correctement quâune heure dans la journĂ©e⊠Dans ce tourbillon je mâattache aux petits rituels, le cafĂ© Ă la fenĂȘtre, arroser les plantes, appeler les proches.
Lâappartement a lâhabitude de me voir faire de la musique en short devant mon bureau, sous cet angle ces journĂ©es ne diffĂšrent que peu dâautres que jâai dĂ©jĂ passĂ©es en attendant les tournĂ©es, Ă ceci prĂšs quâavec le sentiment dâurgence et le temps distendu je mâautorise toutes les facĂ©ties.
Ăcrire sans rĂ©flĂ©chir, câest cathartique, câest automatique, câest agrĂ©able. Jâenregistre toutes les idĂ©es, bĂȘtes et moins bĂȘtes, quâelles soient de 30s ou de 10mn. Je propose dans la foulĂ©e Ă Marine et Matieu de rĂ©aliser Ă distance des vidĂ©os sur quelques unes de ces bribes musicales, postĂ©es Ă lâenvie sur les rĂ©seaux. Ce sont des objets qui nâexistent que du fait du contexte particulier. Je ne sais pas encore si ça aura du sens dans un mois, je mâen fous.”
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“RĂ©cemment, muni des “dĂ©rogations” obligatoires je rĂ©cupĂ©rais mon fils, nous passions quelques journĂ©es rythmĂ©es par lâĂ©cole Ă la maison dans un quotidien rapprochĂ©, avec toutes les activitĂ©s quâon imagine, le tout sans mettre une seule fois le nez dehors. Nous Ă©tions chanceux de ne pas ĂȘtre obligĂ©s de le faire, nous nâen avions pas envie, pensant alors Ă ceux que le devoir ou la nĂ©cessitĂ© contraint Ă sâexposer au danger invisible.
Bref, hop, dans cette bulle de temps suspendu nous Ă©crivons et enregistrons notre premier morceau ensemble, sur des paroles et une mĂ©lodie quâil a lui mĂȘme inventĂ©, et que jâaime beaucoup, pour elle mĂȘme. Ăa sâappelle lâhomme mystĂ©rieux. Il est fĂ©licitĂ© par toute la famille par tĂ©lĂ©phones interposĂ©s. Je suis fier comme Artaban, je crois que lui aussi. Est ce quâon aurait pris le temps de faire ça dâhabitude ? Lui comme moi ? Eh beh teh ! Non.
Maintenant on lâa, le temps, et les journĂ©es coulent sans soucis, je mesure parfois lâamour et la chance quâon a. Câest Ă sây perdre, Victor du haut de ses 8 ans combine souvent lâinsouciance de lâenfance et la perspicacitĂ© dâun adulte : cette pĂ©riode trouble fera partie de son histoire de jeunesse. Il fĂȘtera peut ĂȘtre comme tant dâautres son anniversaire confinĂ©. On reste des gros privilĂ©giĂ©s… JâĂ©tais vachement moins conscient au mĂȘme Ăąge.
Je le ramĂšne chez sa mĂšre une semaine plus tard, sur ce trajet que nous empruntons dâhabitude pour aller Ă lâĂ©cole. Spectacle des rues vides, je me surprends Ă apprĂ©cier le paysage de cette Ville que jâaime pourtant de moins en moins. On croise quelques rares passants du regard, parfois sous les masques, dans une sympathie curieuse mais distante.
Pour ne pas sentir tout de suite et trop fort le poids dâune solitude retrouvĂ©e je repars faire des courses, me couvrant dâun foulard rouge. Un peu parce que jâai lâimpression que ça me protĂšge, mais surtout parce que ça mâamuse⊠Câest peut ĂȘtre la seule fois ou lâon mâacceptera au supermarchĂ© vĂȘtu comme un bandit du far west, un dangereux hors la loi qui se met en quĂȘte de pousses dâĂ©pinards. On vieillit mais le jeu reste un refuge, il se cache derriĂšre toutes les pierres et sous tous les nĂ©ons.
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