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L’éPOPée verte ou le renouveau de la scène musicale de Saint-Etienne

Marquée par son mythique club de foot des Verts, l’ancienne cité ouvrière se lance dans une nouvelle épopée… musicale, symptomatique d’une mue culturelle, créative et collective. Une relève assurée par Zed Yun Pavarotti, Terrenoire, La Belle Vie, Fils Cara et Coeur.

En 1976, l’équipe de foot de Saint-Etienne entre dans la légende en finale de la Coupe des Champions et arrive à son apogée – les Verts remportant 8 titres de champions de France en 13 saisons – et portée par des joueurs emblématiques comme l’ange vert, Dominique Rocheteau. Cette épopée des Verts – accueillis en héros sur les Champs Elysées même après cette mythique défaite des Poteaux Carrés contre le Bayern à Glasgow – apaise alors le quotidien d’une cité ouvrière confrontée à une grave crise et récession de toute son activité métallurgique et minière.

“On a estampillé cette affiche L’éPOPée Verte avec POP en gros, car ces artistes ont puisé dans notre héritage d’écriture et de poésie mais porté en musique avec le son d’aujourd’hui.”

Thierry Pilat, directeur de la salle du FIL à Sainté

Et si la légende des Verts est encore gravée dans la mémoire de l’Hexagone, il se pourrait bien qu’une seconde mi-temps toute aussi glorieuse fasse bientôt parler d’elle. L’éPOPée verte succèdera-t-elle à l’épopée des Verts ? La POP volera-t-elle la vedette au sacro-saint foot de Saint(et)é ? Pour le savoir, on vous donne RDV le 1er avril prochain le samedi 3 octobre où une grande rencontre musicale se prépare à la Maroquinerie de Paris, au FIL de Saint-Etienne (le Covid étant passé par là, le concert a été repoussé). Elle accueillera cinq nouveaux artistes stéphanois, incarnant cette “nouvelle variété française”: Zed Yun Pavarotti, TerreNoire, Coeur, Fils Cara et la Belle Vie.

>> A lire aussi : « Ma matrice, c’est le monde ouvrier » : l’interview éclairée (voire allumée) de Fils Cara

Année 2000, années stériles

Si Bernard Lavilliers (avec son sublime album le Stéphanois) puis Mickey 3D ont été les symboles de la chanson stéphanoise jusque dans les 90’s – “le tube Johnny Rep de Mickey 3D est encore l’hymne qui passe au Chaudron (ndlr : le stade Geoffroy Guichard) avant les matchs” nous précise Thierry Pilat – la scène musicale de la décennie suivante a elle été bien plus discrète. Aucune esthétique musicale ne ressort vraiment à l’échelle nationale – hormis l’engouement pour le reggae de la DUB INC (qui remplit encore chaque année ses 2 zéniths).

“Il y a eu une période de 10 ans où il ne s’est pas passé grand chose musicalement à Sainté” précise le groupe La Belle Vie, jeune acteur de ce renouveau musical et à l’affiche de l’éPOPée verte. Ce manque de notoriété n’est pourtant pas un indicateur de ce qui s’est passé à l’intérieur de ses murs… car même si la ville ne peut pas pas trop compter à l’époque sur des structures culturelles… vieillissantes, elle n’a jamais cessé de s’agiter associativement.

Une activité culturelle underground bouillonnante

Jusqu’au milieu des années 2000, les missions culturelles de la ville s’organisent ainsi dans des lieux atypiques underground (hangars, usines désaffectées..), tenues les plus souvent par des associations populaires comme Ursa Minor, la Gueule Noire, la Positive Education (devenu un festival électro reconnu) : “les Stéphanois se bougeaient vraiment pour organiser les choses chacun de leur côté” comme nous le confirme le disquaire historique de Sainté (Forum Disques), Harold Madiou.

Né à l’époque des Amicales Laïques (associations populaires de quartiers fondés pour les ouvriers), ce fonctionnement associatif repose sur cet esprit d’entraide typiquement stéphanois, cette bienveillance qui fait d’elle une cité “attachante” comme nous l’explique Simon Javelle, programmateur du festival Paroles & Musiques :

“Sainté c’est une grande ville et un petit village à la fois, les gens sont très solidaires, on a le sens de l’accueil et on se serre les coudes, c’est surement dû à notre passé minier.”

Le festival stéphanois Paroles & Musiques fondé il y a bientôt 30 ans et inauguré par Léo Ferré, est d’ailleurs symptomatique de l’attachement de la ville à la chanson populaire, et ce RDV annuel a pu compter sur la fidélité des habitants et le soutien de la mairie, même en temps de crise. Et cette solidarité prévaut aussi entre les artistes locaux, les anciens venant donner des conseils aux plus jeunes : “quand ils reviennent sur Sainté, on essaye de se voir et on est demandeur de conseils. Terrenoire ce sont vraiment des grands frères pour nous. insiste Julie, chanteuse du groupe La Belle Vie.

“Il y a eu un renouveau là où on ne l’attendait pas…”

L’arrivée à la fin des années 2000 d’un nouveau pôle créatif va enfin changer la donne : la construction de la salle du FIL (salle des musiques actuelles dite SMAC empruntant son nom à l’activité historique de rubanerie de la ville), un Zénith flambant neuf, l’ancienne manufacture des armes transformée en Cité du Design, la Nouvelle Comédie… Loin d’absorber toutes les dynamiques associatives, tous ces nouveaux lieux vont “cimenter” et soutenir leurs énergies en préservant leur indépendance.

La ville a mis du temps à construire un vrai lieu pour les artistes, notamment la SMAC du FIL. Même le Zénith, on a attendu pendant longtemps. Avant, il y avait une salle qui s’appelait le Hall C, un hangar aménagé, mais pas de moyens ou d’équipe de programmation.”

Thierry Pilat

Via le FIL, une nouvelle génération d’artistes peut s’épanouir musicalement grâce à une programmation variée (nationale et internationale) mais aussi grâce à sa vocation de pépinière (studios de répétitions et d’enregistrement mis à dispositions des jeunes groupes). Ces résidences d’artistes voient notamment passer Zed Yun Pavarotti, jeune rappeur stéphanois, représentatif de cette nouvelle génération “qui a compris qu’il fallait sortir des frontières, du département, s’exporter” et partageant avec ses copains de promo “le fait de revendiquer cette appartenance à leur ville mais aussi cette ambition.” comme précise Simon Javelle.

Une nouvelle génération sans “beauseigne”

Cette jeune génération “qui en a marre d’entendre parler de Sainté juste à travers la mine, le foot, les taudis” continue Simon Javelle, pourrait bien redorer le blason de l’ancienne ville grise, qui a énormément changé depuis 20 ans. D’ailleurs si en gaga, le parlé stéphanois, la beauseigne résume cette mentalité de ne “jamais être assez fier de ce qu’on a”, cette nouvelle promotion d’artistes n’en a que faire. Des groupes comme Terrenoire ont clairement “ouvert cette brèche” et compris qu’ils devaient être les premiers porteurs de ce message d’espoir en s’appropriant et saluant par exemple le nom du quartier ouvrier de Sainté dans lequel ils ont grandi (Terrenoire) et en sublimant ce “black paradiso”, cette terre d’utopie et prose omniprésente dans leurs chansons.

“Les artistes stéphanois portent leur histoire et la transmettent de génération en génération, ça leur donne une inspiration cette noirceur, ce vécu collectif, mais dans leur attitude, et dans la façon de gérer leur business, rien ne les arrête et ils sont hyper positifs, et capables de donner des leçons.”

Thierry Pilat

Et si les chansons de Zed Yun Pavarotti, Terrenoire ou Fils Cara (tant dans les paroles que les mélodies), transpirent un état-d’âme sombre et mélo, on comprend vite qu’il est plus symptomatique d’une génération née dans l’urgence et du mal être de la société actuelle, plus que de cette image de crassier et de mine qui colle encore à la peau de Sainté.

“La vision de ville grise, elle vient des gens qui n’ont pas vécu ici, car beaucoup ici ont un grand coeur. Dans le domaine artistique, très vite, tu as accès au meilleur et tu es bien accompagné”

Roman, musicien de La Belle Vie

Cette énergie de revanche, cette envie d’exister, d’émerger et de bouger pour faire avancer les choses, culturellement parlant, est clairement en lien avec “toutes ces villes ouvrières anglaises qui ont souffert pendant la récession comme Liverpool ou Manchester” comme conclue le disquaire Harold Madiou, et elle nous garantit une épopée musicale stéphanoise de haut niveau… qui sèmera des graines pour de prochains rendez-vous hors les murs, on l’espère.

Abigail Ainouz

RDV le samedi 3 octobre au FIL de Saint-Etienne pour l’éPOPée verte avec les concerts de Zed Yun Pavarotti, Coeur, Fils Cara, Terrenoire et La Belle Vie. Lien Facebook.

Merci à l’équipe du FIL, le festival Paroles & Musique et à Saint-Etienne Hors Cadre.