Avec Mignon, Peet est le Flemmard Of The Year 2021
Musique - 02.4.2021
Aussi à l’aise dans un studio que dans un skatepark, le belge Peet (se) dévoile (dans) “Mignon”, premier album en quasi-solitaire. Rencontre avec la dernière pépite du rap du Plat Pays, un flemmard de qualité supérieure.
C’est dans son canapé que Peet reçoit notre appel sur Google Peet… Pardon, Google Meet. “Un peu en fatigue“, le natif de Bruxelles est surtout en joie. Pas étonnant. Depuis la sortie de son premier album en solitaire, Mignon – non pas parce qu’il est effectivement mignon, mais parce qu’il possède ce nom de famille extraordinaire –, sorti trois jours auparavant (le vendredi 19 mars, ndlr), son téléphone ne fait que de vibrer. “Beaucoup de gens qui me donnent de la force”, lance-t-il, un sourire communicatif zébrant son fin visage.
Le canapé, principal lieu d’écriture et de composition du rappeur, qui, comme il le scande dans le cinquième morceau de la tracklist, se définit comme un “flemmard de qualité”. “Je traîne beaucoup dans mon fauteuil, dit-il en changeant l’angle de son smartphone de façon à me faire profiter de sa position bien confortable, façon dignitaire de l’empire Romain lors d’un banquet, mais ça ne l’empêche pas “d’être productif à côté, et de faire des choses tout aussi qualitatives. Mais il faut s’accrocher avant de pouvoir y arriver, c’est comme une récompense”
Je peux me réveiller, me dire “aujourd’hui je ne fais rien”, et ça me va très bien comme ça. Y’a des gens qui ont toujours besoin de vivre à 1000 à l’heure, ça n’est pas pour moi.
Rap à contresens
À vrai dire, Pierre Mignon – le nom inscrit sur sa carte d’identité – n’est pas franchement plus flemmard que nous tous. Il est juste plus sincère. Sincérité, un mot qui résume à merveille Mignon, attachante, touchante (le morceau 17, dédié à sa mère décédée) et passionnante autobiographie sous forme d’album dans laquelle il se “met à nu, man”, comme il le plaisante en évoquant sa pochette, une photo en noire et blanc qui montre simplement son torse. Un tatouage de son nom de famille surplombe ses mains croisées.
“J‘entre dans le jeu / je ne connais pas les règles / rien à foutre / Pour me démarquer faut que j’invente les miennes”. Comme il le rappait déjà en 2015 dans Smooth, Peet prend le rap-game dans le contresens le plus total. À l’heure des rappeurs-personnages (il avoue une quasi-fascination pour SCH, Hamza et Ninho, trois artistes “dans un délire génial”), de la valorisation “d’aller au bon-char” et de la drill – ce courant anglais qui parle de découper ses opps, ses ennemis, à l’Opinel – la décontraction, l’humilité et l’honnêteté de Peet apparaissent comme appartenant à un univers parralèlle. “Puis c’est difficile d’être gangsta quand tu t’appelles Mignon !”
Une honnêteté qui le voit parsemer ses lyrics des nombreuses questions existentielles qui ont toujours occupé ses méninges, comme dans Homser (À quoi l’homme sert ?/J’ai l’impression qu’il prend trop d’place dans notre atmosphère/J’crois qu’c’est l’heure de méditer/Qu’est-ce qu’on laisse à nos héritiers ?) ou Plus Fort (L’évolution c’est le but d’une vie/Pour atteindre le sommet faut plus qu’une vie/Qu’est-ce que j’en sais, j’ai pas réponse à tout/J’suis juste le fils de Michelle et Guy). Une habitude qu’il tient de son cocon familial, dans lequel “tout était affaire de communication”.
“Le jeu le plus compliqué à comprendre entre le rap et l’amour ? L’amour, mec. Le rap-jeu c’est trop facile. Tu peux mentir dans le rap-jeu, mais en amour c’est impossible !”
“Je ne me vois pas suivre la masse juste parce que c’est ça qui marche, parce que ça ne me ressemblerait pas et je n’arriverais pas à être crédible”, philosophie-t-il, tout en admettant qu’il peut être un peu frustrant de devoir conjuguer “vie professionnelle – en attendant de pouvoir vivre à cent pour cent de sa musique, il est serveur dans la pizzeria d’un de ses amis, pizzeria qui a d’ailleurs conçu une “peet-za box” en édition limitée pour la sortie du disque – et vie musicale. Ça me permet de garder un pied dans la réalité, c’est chouette aussi.”
Du 77 au solo
Né en mille-neuf-cent-nonante-deux, comme spécifié dans le premier couplet de Pierrot, Pierre Mignon découvre le rap par l’intermédiaire de son frère, qui lui fait écouter IAM, Nas, Biggie ou bien encore Oxmo Puccino. Biberonné à la old-school, c’est pourtant un collectif de français tous aussi jeunes que lui qui va lui donner envie de gratter ses premiers textes : 1995.
“Sans vouloir caricaturer, le rap, pour moi, appartenait surtout aux gens des quartiers difficiles, et je ne me sentais pas légitime d’en faire. Mais ces mecs-là, qui auraient très bien pu être mes potes, ont vraiment contribué à le désenclaver. Ils rappaient leurs galères sans courir derrière la street-cred, et ils les rappaient bien. Aujourd’hui, si tout le monde peut rapper, c’est en partie grâce à 1995”
Peu après sa majorité, lui et Morgan – qu’il connaît depuis ses douze ans – rencontrent Ryan et Félix, dit Félé Flingue. Le quatuor déménage dans une petite maison de Laeken, en banlieue de Bruxelles, au numéro septante-sept. C’est la naissance du 77, collectif tout aussi décalé que lui avec lequel il va sortir ses premiers projets “professionnels” (de C’est le 77 en 2017 à ULTIM en 2019) et se transformer petit à petit en version belge et rapologique du couteau-suisse. En effet, Peet y compose, écrit, produit, mixe et bien évidemment débite ses flows aussi décontractés que sa plume est riche et aiguisée.
Et même si la bande au nom qui n’est pas une déclaration d’amour au Seine-et-Marne – que Peet n’a découvert que récemment, grâce à Ninho – est actuellement en stand-by, elle prouve que le Plat Pays est un formidable vivier de rap. Potion magique ou proximité géographique ? Désireux de protéger les secrets du breuvage décuplant la force de ceux qui la boivent, l’intéressé préfère invoquer l’émulation qui se retrouve à Bruxelles, “l’une des villes les plus cosmopolites du monde”, que l’on peut voir comme un énorme collectif éclaté en dizaines de plus petits.
“Ici, personne ne se marche dessus, les gens qui percent donnent de la force à ceux qui attendent de percer, et on s’inspire tous sans se copier. On a aussi le métissage entre francophones et flamands, qui apporte un mélange culturel sympa. Mon rêve serait de faire une compilation avec tous les rappeurs belges !”
En attendant, Peet vogue plus ou moins en solitaire, toujours soutenu par sa collocation actuelle – qui grouille de monde pendant notre entretien – ce qui ne l’empêche pas de travailler “comme avant”. “Avec ou sans 77, je sais très bien tout faire tout seul. Ça demande juste plus de boulot !” Il conjugue cette quasi-indépendance avec un processus créatif simplissime, dont il nous dévoile le secret.
“Il me suffit de dix secondes pour savoir si une prod va me parler, m’inspirer. J’écris toujours en fonction d’elle, puis je vais dans la cabine, elle tourne en boucle, je pose et les flows me viennent. Je prends une journée ou deux à faire un morceau, et sur vingt-cinq j’en ai gardé quatorze pour l’album”.
La prod qui le rend le plus fier, celle de Sens, en featuring avec Swing, un bon témoin de son évolution depuis les premières fois qu’il s’est posé devant la fenêtre de son DAW. Il lui arrive d’avoir parfois peur de la stagnation et de douter encore un peu, mais rien qui ne saurait l’empêcher de continuer à faire ce qu’il sait faire de mieux. “Puis c’est dans ces moments là que les copains interviennent”, sourit-il pensivement.
Quand il ne gratte pas des textes qui le font parfois rire jaune (Délire, Flemmard de Qualité, Cashflouze), Peet aime se tordre les chevilles dans les skateparks du coin. Aussi agile sur une planche à roulettes que sur une instrumentale, il reconnaît de nombreux parallèles entre ses deux passions.
“Les lifestyles du rap et du skate se rejoignent souvent, que ce soit dans les styles vestimentaires, le fait que ça se pratique dans la rue et même dans les musiques utilisées dans les video-parts. Il faut aussi être polyvalent, trouver son style pour se démarquer de la masse.. Ce sont de bonnes écoles de la vie !”.
En attendant que Peet m’envoie une vidéo de ce fameux kickflip qu’il m’a promis, difficile de savoir s’il mérite le titre de Skater Of The Year 2021, décerné par le fameux magazine Thrasher. Cependant, grâce à Mignon, General Pop lui décerne sans contestation possible celui de Flemmard Of The Year 2021. Un trophée tout aussi respectable.
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Jules Vandale