Studio Venezia : le jour où Xavier Veilhan a englouti la Biennale de Venise
Musique - 09.11.2020
En 2017, Xavier Veilhan, célèbre artiste plasticien, représente la France à la Biennale de Venise avec un projet insolite et hybride : le studio Venezia. BETC Design (devenu Fullsix depuis) était de la partie. On vous raconte.
Après vous avoir confié les secrets du feu studio Davout et de la grande maison Ferber, il est temps de s’arrêter sur un autre lieu mythique de la musique, plus récent pour sa part : le Studio Venezia !
Les curieux se bousculent dans le pavillon français de la 57ème Biennale de Venise devenu studio d’enregistrement, le temps du festival. Du 13 mai au 26 novembre 2017, un bel écrin de bois déconstruit la symétrie du bâtiment légendaire, façon cubiste. Eliane Radigue s’apprête à y enregistrer OCCAM OCÉAN avec l’orchestre ONCEIM. Au milieu des badauds, un homme tend l’oreille. Il assiste à cette pièce pour la quatrième fois en trois jours. Cet homme, c’est le plasticien Xavier Veilhan et ce studio, c’est le sien.
De grands noms
Pour l’occasion, le plasticien s’est entouré de jolis noms de la scène artistique française à commencer par ses commissaires d’exposition Lionel Bovier, directeur du Mamco de Genève et Christian Marclay, en charge une partie de la programmation du studio. Et quelle programmation !
Brian Eno, Sébastien Tellier, Alexandre Desplat, Christophe Chassol, Lee “Scratch” Perry, Nigel Godrich (Radiohead), Nicolas Godin (Air)… De véritables géants de l’industrie musicale se prêtent au jeu de cette expérience unique qui mélange les disciplines.
“Un des tours de passe-passe de ce projet était de trouver une raison de rentrer en contact avec tous ces musiciens formidables. Certains étaient des gens que je connaissais déjà et dont je connaissais très bien la musique. Parfois je ne connaissais ni la musique, ni les musiciens, et là c’était une vraie découverte, en particulier avec la programmation de Christian Marclay, ce qui a ajouté de la surprise au plaisir.” XAVIER VEILHAN
Un plaisir partagé, Xavier Veilhan ayant fait le pari d’un lieu ouvert. Un risque, certes, la présence du public ayant mis certains enregistrements “sous tension”. Mais une opportunité aussi. Celle de retrouver du renouveau. “Un peu comme la fraîcheur présente dans les premiers enregistrements en studio d’Elvis Presley, ou encore comme les groupes qui jouaient tous ensemble en une seule prise” explique Xavier Veilhan. L’artiste parle d’un “moment extatique” qu’il aurait été dommage de ne pas partager.
BETC Design était de la partie avec un objectif clair : faire tomber les murs pour que l’expérience soit la plus universelle possible. Rappelez-vous, on en parlait ici.
La mer à boire (à Venise)
Alors que deux jours les séparent du lancement de ce studio, Lara Jane Lelièvre, chargée du projet par BETC, vit un moment de panique.
“Ça faisait entre 4 et 6 mois que l’équipe de Veilhan avait emménagé à Venise pour s’occuper de la construction du studio. L’enjeu pour moi, c’était qu’on ait internet. C’était trop dommage de laisser le studio à la seule disposition de personnes qui pouvaient se payer un billet pour Venise et assister à la Biennale.”
LARA JANE LELIEVRE
Seulement voilà, le Wi-Fi ne fonctionne pas. Il faudra que le livestream du studio fonctionne pour que les internautes puissent bénéficier en direct de l’expérience immersive qu’on leur a promis. Vu le casting, la qualité n’est pas une option. Toutes les possibilités sont donc envisagées. Les financements accordés par Deezer pour l’opération sont en jeu. Accessoirement, Xavier Veilhan représente la France dans le cadre de cette résidence. Alors qu’on envisage de creuser des tranchées (non sans un détour par le pavillon allemand) pour installer la fibre, l’équipe se ravise.
Finalement, Lara Jane Lelièvre opte pour des galets 4G. Et ça marche. BETC profite du digital pour faire preuve du savoir-faire de la maison :
“Xavier ne voulait pas qu’on reproduise l’expérience du terrain parce qu’elle n’aurait jamais été la même en digital. On est arrivé avec l’idée de placer des micros à des points stratégiques dans les quatre salles, notamment dans le studio d’enregistrement. Le but c’était d’être la petite souris qui allait écouter comment se passe le processus de création de ces grands de la musique”
LARA JANE LELIEVRE
Réinventer l’espace-temps
Echoes of the studios crée un univers parallèle en noir et blanc où l’internaute peut se perdre. Les micros sont représentés par des bottes de paille. En s’approchant d’un point sonore, on reçoit ce qui est capté en direct par l’un des 16 micros répartis dans les quatre salles du pavillon. Et si à distance chacun peut naviguer dans l’univers de l’artiste, le projet est amené à amarrer d’autres rivages. Avec le Studio Venezia, Xavier Veilhan entend bien réinventer l’espace-temps.
“Aujourd’hui, des personnes comme Nigel Godrich pensent qu’un studio, c’est aussi quelque chose qu’on déplace et qu’on peut transposer dans un autre espace. Rick Rubin a fait enregistrer Johnny Cash dans des studios improvisés par exemple. La matérialité du studio est à la fois très important et peut en même temps être contourné par des commodités. Certaines personnes enregistrent des choses sublimes dans des cuisines. Cela dépend des projets, des facteurs…”
XAVIER VEILHAN
Entre innovation et prolongement d’une vision artistique déjà consacrée, Xavier Veilhan a ouvert grand les portes de son univers. Une bouteille à la mer qui nous enivre encore aujourd’hui. 2017 aura décidément été un très bon cru.
En plus de notre playlist (à écouter ci-dessous), on vous invite à explorer les enregistrements du studio éphémère sur Soundcloud.
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