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Ian Caulfield : Quand l’imagination d’un conteur nous met la boule au ventre

            Le 24 septembre 2021, Ian Caulfield – signé chez Columbia – a sorti son premier EP intitulé la Boule au ventre, ode à l’imagination, aux songes, aux rêves et à la poésie… Le tout pour évoquer le pouvoir de la réminiscence et peindre la belle mélancolie de l’enfance. Cet EP pop-rock est le coup de cœur de notre automne et nous avons donc voulu rencontrer Ian Caulfield.

La Champagne Ardennes : berceau de la poésie fulgurante

« Dis-moi, la question de la vie,

Comment t’y réponds toi depuis?

Dis-moi tes raisons de partir.

C’est que tu manques… et toi ton avis ?» 

in Tu me manques.

            Quand on pense à la Champagne Ardennes, on pense à Charleville et à Arthur Rimbaud qui y est né en 1854. On pense aussi à Reims et à tous ces jeunes suiveurs de Rimbaud du début du XXe siècle, à savoir la bande de quatre jeunes poètes qui ont fondé Le Grand Jeu : René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert  Meyrat, à la fin des années 20 : « Le Grand jeu est destructeur et nous sommes prêts à tout engager de nous-mêmes. » Cette bande atypique de poètes radicaux à l’écriture incandescente a souvent été reliée à la musique,  notamment grâce à Patti Smith, la grande prêtresse du rock, à qui on demande souvent qui est le premier groupe Punk, ce à quoi elle répond toujours « le Grand Jeu ». Pour sûr que Reims est donc une terre de prédilection d’une jeunesse qui suffoque, qui cherche à s’évader par tous les moyens : poésie, musique, imagination, qu’importe le flacon – n’est-ce-pas ? – pourvu qu’on ait l’ivresse.  

            Or l’ivresse et la beauté traversent le bel EP de Ian Caulfield,  nouveau et grand représentant de cette poésie des Ardennes, au regard vif, cheveux mi-longs, casquette vissée à la gavroche, grand pull en laine un peu grunge à la Kurt Cobain. 

Un vaste panorama de l’enfance et du souvenir pour espérer un monde meilleur

           « Regarde les nuages et leur grand naufrage

ils te donneront ce qu’il te faut

avec panache ils font des montages 

et tirent des pantoufles à tes rideaux. »

in Plein d’imagination

            La force du projet est sans nul doute l’enjeu du rapport à l’enfance, non pas vue comme une époque bénie mais comme un vecteur de déconstruction du monde moderne et du monde des adultes. A la manière des surréalistes, Ian Caulfield va chercher les lieux où l’imagination est la plus présente : certains se servaient de la drogue, d’autres du rêve, d’autres du hasard, ici il est question d’aller puiser dans les méandres du monde enfantin. Les motifs sont très présents dans l’EP : « monstres, lutins, forêt, créatures, petit garçon, parc, anniversaire, insouciance», le champ lexical des contes pour enfants étaye ainsi son projet. Parallèlement, on trouve dans le son Ne te retourne pas, des néologismes paronomastiques comme faire la « courte patte » au lieu de « courte échelle » ou « courte paille », le néologisme apparaît toujours comme symbole de liberté et d’affranchissement des codes de la langue. L’EP est également construit autour de mélodies comme celle de la ritournelle ou des boîtes à musique mais aussi autour de la présence de voix d’enfants, notamment dans l’intro, ou encore autour de l’utilisation d’instruments pour enfants.

            « Finalement, le monde dans lequel on vit met beaucoup de gens de côté et c’est ce qui fait qu’on se retrouve souvent perdu ou pas en phase avec nous-mêmes, il y a 99%  des gens sur terre qui se trouvent délaissés, incompétents ou pas assez bons, tu as une infime partie de la population qui réussit alors que quand on est gamin, on pense pas à ça. Quand on est gamin, ou musicien, on vit de notre passion, on fait ce qu’on aime.» 

            Ce foisonnement de références à l’enfance n’est donc pas tant dans les textes que dans la musique, où l’on ressent un passé collectif et on s’y plonge avec délice, joie ou angoisse. L’enjeu est cependant loin d’être naïf, il s’agit plutôt de montrer que garder une âme d’enfant permettrait à chacun d’avoir une vision du monde moins utilitaire et peut-être plus poétique. « On se met la pression toute notre vie, on est tout le temps pressé pour faire des choses qui n’ont pas toujours d’importance. »

            Le recours à l’enfance peut ainsi se voir comme le contre modèle d’une société ultralibérale et aliénante, ou simplement comme un acte de résistance ou un appel à la liberté. 

Une musique cinématographique

«Qu’est-ce qu’elle me donne

La boule au ventre 

L’amour au centre.» 

in La boule au ventre

            La figure du conteur est celle qui correspond le plus à Ian Caulfield, soucieux de nous emmener dans des univers romanesques précis : « Quand j’écris des chansons je veux raconter des histoires, ça me rappelle ma mère qui m’en racontait avant de dormir, dans la chanson « Pas grand-chose », j’en parle. C’est important de se raconter des histoires, ça fait sortir de l’habituel, je suis fan de Brassens ou Souchon qui ont un souci de la narration, tu te plonges dans le morceau, il y a toute une histoire et t’es dans un autre monde. »

            Preuve en est, la volonté de présenter un court-métrage La Boule au ventre, qui accompagne donc son EP et qu’il a co-réalisé avec Nicolas Garrier : « Je co-réalise mes clips, j’ai besoin de ça, quand je fais de la musique, quand je fais un morceau, si ça m’inspire des images, c’est que c’est bon… »

Premier extrait du court-métrage « la Boule au ventre » qui accompagne l’EP:

            Le cinéma est effectivement bien l’espace de résonance à la musique de Ian Caulfield. La boule au ventre transporte véritablement l’auditeur dans un espace aussi vaste que possible avec une grande envolée mélodique finale, où les bruits de pas, d’oiseaux, d’orages se mélangent pour nous emmener loin. L’hommage à Danny Elfman, grand compositeur des films de Tim Burton, notamment de la bande originale d’Edouard aux mains d’argent, est clair, puissant, efficace :

            « J’aime bien quand il se passe des choses dans la musique, que ça te mette dans un état où tu es en flippe, ensuite où tu as envie de sourire, tu te dis que c’est trop joli et puis t’as envie de pleurer, et pas seulement parce que les paroles ou les accords sont tristes ou joyeux mais parce que dans la musique tu as des éléments palpables. »

            Les références au monde littéraire participent aussi à la mise en place de décors au service de l’émotion, notamment par le clin d’œil au livre L’attrape-cœurs. Ceroman, écrit à la première personne par Jerome David Salinger, relate trois jours de la vie d’Holden Caulfield (personnage qui a d’ailleurs inspiré le nom de scène de Ian). L’adolescent, exclu de son lycée à la veille des vacances de Noël, erre seul dans la ville de New York et se retrouve à regarder les canards de Central Park, se demandant ainsi ce que vont bien devenir ces oiseaux une fois l’hiver venu : « J’aimerais bien vous demander quand l’hiver viendra piéger leur cœur, qui donc viendra les chercher ? » in Tu me manques. Cette expérience, Ian Caulfield l’a d’ailleurs lui-même vécue : « Je suis parti loin un jour, sur un coup de tête à New York et moi aussi en regardant ces canards je me suis demandé qu’est-ce qu’on fait, est-ce qu’on grandit tout seul, est-ce que quelqu’un vient nous chercher pour nous dire comment faut faire?  finalement tu regardes les canards qui s’amusent bien et tu te poses ces questions.»

            Les éléments palpables de la mélodie accompagnent ainsi la narration de ce genre de récit comme une véritable bande originale, ce qui donne évidemment une plus grande force aux textes et une large place à l’imagination de l’auditeur, jusqu’à souvent lui donner la boule au ventre. « On va retrouver les étoiles » dit-il dans Ne te retourne pas, aucun doute qu’on puisse tenter d’y parvenir en écoutant cet EP. 

Marie-Gaëtane Anton

en remerciant Ian Caulfield pour sa précieuse collaboration