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Avec “Tako Tsubo”, l’Impératrice soigne son cœur brisé

Crédits photo : Théo Gosselin

Avec “Tako Tsubo”, le syndrome japonais du coeur brisé, l’Impératrice présente un album de ruptures au sens large. Rencontre – en tête à tête ! – avec le sextet parisien à l’occasion de la sortie de leur second album. 

Rentrer dans un hôtel aussi luxueux et prestigieux que les Bains-Douches. Aller jusqu’à une suite à la décoration qui nous plonge au beau milieu des Trentes Glorieuses. Avoir un sextet – au complet – qui nous attend confortablement installé dans le salon de ladite suite. Des scènes qu’on pensait appartenir à une autre époque, mais que l’Impératrice ressuscite afin de faire la traditionnelle semaine de promotion avant la sortie de son deuxième album : Tako Tsubo.

Retour en 2018. Après un premier EP éponyme en 2012 et une révolution stylistique opérée par l’arrivée de Flore Benguigui dans la formation, au chant et à l’écriture des textes, en 2015, suivie par une poignée d’autres moyen-formats, le groupe de french discocomme la chanson de Stereolab mais avec un “c” au lieu du “k” – révèle son premier album Matahari au début du printemps. Un album qui va leur permettre de côtoyer les étoiles, ce qu’ils avaient déjà entrepris de faire musicalement avec leur Odyssée spatiale sortie en 2015.

Dès lors, les concerts s’enchaînent pour la bande formée de Flore Benguigui au chant, de Charles de Boisseguin et Hagni Gwon aux claviers, de David Gaugué à la basse, Achille Trocellier à la guitare et de Tom Daveau à la batterie. Ils s’exportent de Paris à Mexico, comme ils le chantaient déjà dans Vacances, mais aussi à New York, Londres ou Berlin, avant le Graal ultime : une programmation à Coachella en 2020. Sauf que…

“Notre plus gros cœur brisé ? Coachella”

Tako-Tsubo : “syndrome du coeur brisé” ou “cardiomyopathie consistant en une sidération myocardique survenant après un stress émotionnel” selon une célèbre encyclopédie en ligne. Théorisé par des médecins japonais vers la fin des années 70, cet état “incurable, donc il faut apprendre à vivre avec”, le groupe l’a bien expérimenté, comme beaucoup d’autres, au cours d’une année 2020 allant de mauvaises surprises en mauvaises surprises.

Et bien que le travail de composition ait commencé bien avant cette sombre période pour le monde de la culture, l’Impératrice avait devant elle un titre tout trouvé pour son deuxième album, un titre “entendu par hasard dans une émission sur France Culture” par Flore Benguigui, et qui colle parfaitement à ce disque basé sur la rupture

Pas de rupture amoureuse, officiellement, même si, selon Achille (qui “galère à comprendre Tinder”), “on a tous connu des fins de relations dont on pensait ne pas s’en remettre”, mais plutôt toutes ces choses qui peuvent affecter – et briser – la pompe de cette belle machinerie organique qu’est le corps humain.

La soudaine perte d’activité due aux confinements, le harcèlement en ligne – “qu’on a connu après avoir interprété une reprise de PNL pour Konbini, ce qui nous a noyé entre plusieurs flots de commentaires nauséabonds”, dixit Charles et Flore – le ghosting (Hématome), les burn-outs en tout genre ou bien encore l’amour soudain et unilatéral (Anomalie Bleue) et la dévorante routine. Sans oublier la tellement nécessaire Peur des Filles, véritable “hymne anti-incels” selon Flore, un constat appuyé par Hagni selon qui “la musique pop doit, et peut-être plus que jamais, avoir ce rôle éducatif”.

Disque de rupture, Tako Tsubo l’est aussi dans son concept même. Après nous avoir embarqué dans les étoiles avec Odyssée, sur une île tropicale avec Séquences ou dans une version fantasmée des Années Folles avec Mata-Hari, le sextet parisien semble cette fois-ci décidé à nous conter des choses davantage ancrées dans notre réalité, en français comme en anglais (Voodoo, Submarine, Off To The Side…). 

Pour Flore, principale autrice des textes de l’Impératrice, cette envie – voire ce besoin – d’aller à contresens s’explique par cette volonté nouvelle “d’avoir des textes qui conjuguent autant le fait d’avoir du son que le fait d’avoir du sens. Et je préfère même privilégier le sens au son, parfois.” 

Une révolution qui s’est effectuée sans pour autant que le groupe ne perde ses sonorités si chaleureuses et entraînantes, son groove qui sonne tellement français qu’il porte sûrement un béret, la moustache et une baguette chaude sous le bras, ainsi son talent pour les plages auditives ambiantes et rétro, donnant l’impression de se balader sous le soleil éclatant de Montmartre (Hématome en est un très bon exemple). 

On retrouve tous les éléments qui construisent Tako Tsubo dans cette magnifique pochette pailletée – une grande fierté de la bande au regard de leurs sourires au moment de me la montrer – dessinée par Ugo Bienvenue, représentant les célèbres Moires de la mythologie Gréco-Latine en version… l’Impératrice (je ne vois pas de meilleur qualificatif que ça). Les Moires, celles qui tracent la vie d’un fil rouge qu’elles coupent d’un vif coup de ciseau, servent ici de “personnification du concept de Tako Tsubo”, comme Charles me le confie. L’Impératrice croirait-elle au destin ? Selon David, “je crois aux Inconnus, donc je crois au destin.

“Un gros kiff”

Après “rupture”, l’autre mot pouvant résumer Tako Tsubo est “kiff”. Il est vrai que le déclic avant de se mettre sérieusement à la composition fut long à arriver. La faute à ce fameux stress de “devoir trouver un équilibre entre ce que les gens attendent de nous par rapport au précédent disque et à cette envie d’aller encore plus loin”, selon les termes de Flore et Hagni. Un déclic qui a enfin pointé le bout de son museau pendant “un séjour de trois semaines à Tanger, où on a passé des moments magiques dans un endroit tout aussi magique”. 

Une coupure entre deux tournées dont les membres de l’Impératrice gardent tous le même souvenir : “on a vraiment passé trois semaines à manger comme des pachas. Passer des petits dejs en mode brioche-kinder country à ceux concoctés par la cheffe du lieu, qui s’appelait Zora, tu m’étonnes que ça te donne envie de composer !”.

L’autre véritable kiff du groupe, d’après les mots de Charles, c’est la présence de Neal Pogue au mix, lui qui possède un CV plus long que la “kichta” arborée par Gazo. Presque un rêve de gosse pour celui qui “comme tout le reste du groupe, a dû grandir à 90% avec des musiques sur lesquelles on peut entendre son travail”. Un travail à la production suave et qui semble sortir tout droit d’un bon disque de funk des années 70. 

Il manque cependant une pièce pour compléter le puzzle “kiff ultime” : les concerts. Sortir un album sans pouvoir le présenter en live à son public reste en effet un crève-cœur dont se passeraient de nombreux groupes. Une Erreur 404 qui n’épargne pas l’Impératrice. “On a déjà fait un concert en live-stream, mais ça ne remplacera jamais la tournée, me confie Charles. On s’est cependant construit un studio pendant le second confinement, depuis lequel on réfléchit à faire vivre l’album d’une façon différente, comme des écoutes piste par piste, pour que le public ait le nez dans les détails.

Quoiqu’il en soit, Tako Tsubo n’a que peu de chance de briser le coeur des amateurs qui poseront sa galette de vinyle sur leur platine. Ou peut-être que si, pour cause d’afflux incontrôlé de bonheur. Tant que l’Impératrice se tient éloignée d’une nouvelle tentative de reprise de PNL pour Konbini, son organe cardiaque devrait lui aussi tenir bon. 

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Jules Vandale