[POP TALK] Model Law, les mannequins contre-attaquent.
Fashion - 20.2.2018
Travail gratuit, pression de la maigreur et de la new face, harcèlement, Model Law dit stop.
L’affaire Weinstein, #metoo et Time’s Up ont fait sauter les verrous qui empêchaient les mannequins de dire quelque chose, eux/elles aussi.
Oui, parce que derrière les éditos des plus prestigieux magazines comme sur les podiums de certaines marques, il y a des heures d’attente, de faim et des mannequins qu’on ne paye pas ou auxquel(les) les agences prennent des commissions exorbitantes.
Alors certains diront qu’après tout, ils ont choisi leur métier et que bon ça va bien.
Moui, bof.
Parce que c’est en devenant mannequin qu’on apprend tranquillement qu’on ne sera pas payé ni défrayé pour ce shooting de fou dans un autre pays mais que c’est nécessaire pour notre (possible) carrière. On apprend aussi que de rester debout dans le froid (car les collections Printemps/Été se shootent l’hiver) pendant quatre, cinq, six heures sans pause ni déjeuner « on a pas le temps chérie, tu veux un café? », c’est normal pour beaucoup de marques et de productions.
Ekaterina Ozhiganova
Le tabou autour de ces pratiques est total car elles sont devenues la normalité : « si tu ne le fais pas gratos il y en a 10 derrière peuvent prendre ta place, ciao ». On vous passe les histoires de harcèlement, monnaie tristement courante, l’absence de cabines ou même de rideau pour se changer -bah oui, pourquoi faire? Ton corps c’est ton boulot donc tu peux le montrer à tout le monde.
A ce sujet, big up les make-up artists et les coiffeurs qui sont probablement les gens les plus bienveillants de ce milieux.
Métier dérégulé et statut juridique flou favorisent évidemment l’envers/enfer du décor.
Tout ça, et plus, c’est ce que Model Law « première association créée par les mannequins pour les mannequins en France » propose d’abolir. A l’origine, les mannequins Gwenola Guichard et Ekaterina Ozhiganova.
On a posé quelques questions à Gwenola Guichard, mannequin, donc, pour Vanessa Seward, Barbari Bui, Antidote, The Gentlwoman, Vêtements, Céline, Lemaire et tant d’autres au compteur.
Quand as-tu commencé ce métier?
J’ai commencé ce métier il y a 5 ans environ lorsque j’ai quitté Lille pour Paris. Je faisais mes études en parallèle mais depuis 2 ans, depuis la fin de mon master, je suis mannequin à plein temps.
C’est quoi le plus difficile?
Le plus difficile c’est de ne pas avoir suffisamment la mainmise sur sa carrière, de ne pas être au courant de tout, car tu es en bout de chaîne. Ca s’est amélioré avec l’apparition des réseaux sociaux heureusement. Ils nous permettent d’avoir un peu plus de pouvoir sur notre image, nous donnent une forme de liberté.
Quelle a été ta pire expérience de shoot?
Je dirais un shooting sur les toits de Berlin en plein hiver sans chauffage sans patch chauffant sans rien. Mais c’était un shooting incroyable artistiquement, très créatif, autour du mouvement. Je crois que j’ai plutôt de la chance car je n’ai pas rencontré de photographes irrespectueux ou lourds au point d’avoir envie de quitter le shooting. Mais le pire ce sont toujours les magazines. Et en plus ils ne rémunèrent pas les mannequins…
Show Vêtement
Pourquoi tant de mannequins continuent-ils/elles dans cette voie quand on sait que sa durée est forcément déterminée (par l’âge) et que ses conditions se détériorent?
C’est la même chose que pour le reste des professions dans la mode. C’est la part de rêve qui fait que les candidats continuent à affluer malgré le peu de débouchés, les journées à rallonge et le travail non rémunéré qui sont légion dans la mode à tous les niveaux. Le prestige de travailler dans ce secteur passe avant tout.
Concernant les mannequins cela vient aussi du fait que la presse évoque toujours les mêmes choses. D’un côté les médias couvrent surtout les mannequins qui ont réussi et mettent en scène la vie glamour de ces tops. D’un autre côté ce sont les scandales ou le graveleux qui ont la faveur des magazines. Entre deux, pas grand chose… Il n’y a pas de nuances, le grand public n’a aucune idée de ce qu’est réellement la vie de la majorité des mannequins et je pense qu’ils ne veulent pas le voir. Tout comme la plupart des acteurs de l’industrie ont des oeillères concernant la réalité du job de mannequin. C’est pour ça que la création de MODEL LAW est importante, pour rétablir la vérité et essayer d’améliorer les conditions de travail des mannequins.
Gwenola Guichard
C’était mieux avant?
Les conditions de travail ne se détériorent pas, c’était bien pire avant. Mais il y avait moins de mannequins donc moins de turnover, elles venaient de moins loin, étaient moins jeunes et la crise n’était pas passée par là. C’était un contexte complètement différent mais ce n’était pas mieux qu’aujourd’hui.
Model Law c’est une manière de mettre en lumière les réelles conditions de travail d’une majorité de mannequins?
Oui clairement. Notre objectif ultime est de faire évoluer le statut juridique du mannequin pour qu’il soit plus protégé, professionnellement, socialement, psychologiquement et physiquement. Nous voulons mettre en lumière le manque de transparence financière de certaines agences, la précarité financière de beaucoup de mannequins, la travail non rémunéré fréquent, des frais professionnels qui sont à la charge du mannequin… Nous voulons aussi que la liberté d’expression chez les mannequins soit garantie.
Comment comptez-vous faire passer ces revendications dans le cadre légal?
En proposant un nouveau texte pour mettre à jour la Convention Collective existante après discussions et négociations avec les différents acteurs de l’industrie de la mode.
Mais commencer par faire appliquer correctement la loi existante serait déjà un grand pas car les irrégularités sont nombreuses. Il existe un décalage très fort entre le texte de loi et les pratiques réelles, parfois par habitude, pour des raisons d’efficacité, mais aussi parfois pour en tirer des avantages voir du profit.
Love Magazine
Est-ce que ta démarche a changé ta relation avec ton agence?
Oui dans le sens où cela l’a renforcée. Je me sens plus légitime pour leur parler ou évoquer certaines choses. Mais au niveau de mon travail de mannequin rien n’a changé. J’ai la chance d’être dans une agence progressiste et réaliste, qui vit avec son temps et qui comprend très bien que ce type d’initiative est nécessaire actuellement dans la mode, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout évidemment.
L’attitude générale sur les shoots a t-elle changée à ton égard?
Non pas vraiment. Je ne me comportais déjà pas comme “le mannequin” sur les shootings donc ça n’a pas changé grand chose. Je ne reste jamais dans mon coin sur mon smartphone et je m’intéresse toujours au travail des gens. J’aime ce métier.
Un mot aux mannequins qui te lisent?
Parlez.
Pour signer le manifeste et ajouter votre voix à celle de Sophie Fontanel, Alice Pfeiffer, Jean-Paul Paula, Lia Rochas ou Louise Follain, c’est ici
Agathe est sur Instagram @ag_rou