Avec son second album “Jdid”, ACID ARAB fait peau neuve
Musique - 28.10.2019
Après Musique de France, le collectif franco-algérien revient avec Jdid (neuf ou nouveau en arabe) et se confie sur sa genèse. A découvrir en live le 5 décembre au festival des Transmusicales à Rennes.
Pour la sortie de leur second album JDID, on a rencontré les fondateurs du collectif, Guido Minisky et Hervé Carvalho, mais aussi les hommes de l’ombre Pierre Casanova et Nicolas Borne, aux manettes du studio Shelter du 10e arrondissement de Paris, ainsi que le claviériste algérien Kenzi Bourras, nouvelle recrue talentueuse.
Pionniers dans la “vulgarisation” de la musique orientale sur la scène électro internationale, Acid Arab débute avec des set DJ parisiens fameux (relire notre interview de l’époque) mêlants samples et techno, puis passe à la vitesse supérieure en composant des morceaux de leur propre cru en conviant des guests de choix sur leur premier disque Musique de France (2016).
Après une tournée mondiale interminable, le collectif nous offre ce second album : un mariage subtil entre dancefloors et traditions arabes, DJing et racines du raï, techno et musique algérienne (imprégnant toute la première moitié du disque). La longue liste des featurings nous fait traverser toute la Méditerranée et au delà : de la Turquie (Cem Yildiz) à l’Algérie (Sofiane Saidi, Amel Wahby) en passant la Syrie (Rizan Said)… et même le Niger (Les Filles de Illighadad).
En 2013, Acid Arab est programmé aux Transmusicales. A l’époque ce sont les prémices d’Acid arab ?
Guido : On était plutôt un duo de DJs avec Hervé. Le virage vers la production allait se faire un peu plus tard. Et c’est la première fois qu’on se produisait dans un évènement important en France. On n’avait pas mesuré à quel point c’était important les Trans’, ni celui de l’ordre de passage choisi par J.L.Brossard (le programmateur). On passait en dernier, un spot très regardé, le choix du chef. Après les Transmusicales, on a réalisé l’impact du truc ! On a reçu plusieurs dizaines de demandes de booking de partout en Europe !
Avec l’arrivée de Kenzi Bourras, vous vous présentez comme un collectif franco-algérien, comment s’est faite cette transition ?
Hervé : On est un collectif depuis le début. Ce qui a changé c’est l’implication de Kenzi Bourras, il était notre clavier de live et il s’est impliqué beaucoup plus dans l’écriture de cet album. Kenzi a apporté son réseau de chanteurs, donc le plus nouveau c’est son implication à lui.
Pierre : Pierre et moi, on a toujours été dans l’ombre, en studio, ce sont eux les fondateurs (Hervé et Guido). Moi je ne prends pas l’avion donc faire de la scène c’est mort (rires).
Guido : c’est vrai qu’on a fait vachement plus de dates à deux comme DJs (Hervé et Guido), le live n’existant pas au début. Et de ce fait, Hervé et moi, on a été beaucoup plus exposés. Le quatuor est devenu quintet, ça c’est la vraie nouveauté oui. Kenzi s’est bien infusé dans le groupe…
A voir votre agenda, vous êtes tout le temps sur la route. Pour ce disque, vous avez bossé ici à Paris ?
Pierre : On a enregistré l’album au studio Shelter, mais aussi à Setif (au Nord-Est de l’Algérie). En fait, Kenzi était là-bas. Et on faisait des aller-retours par mail. Il enregistrait une voix, on faisait un son. Il envoyait un son de Gasba (flûte de roseau berbère), on éditait. Kenzi il n’arrête jamais de faire de la musique. En voyage, il est tout le temps en train de composer. Il a fait des centaines de maquettes sur la route.
Comment se sont faites les connexions avec les artistes invités sur ce disque ?
Pierre : Kenzi nous a présenté un réseau de chanteurs avec qui il a l’habitude de travailler. Et il y a aussi des gens avec qui on avait déjà bossé sur le premier album et avec qui on avait envie de retravailler. Les filles de Illighadad, on les a rencontré en tournée et on rêvait de bosser avec elles. Ammar 808 qu’on adore, c’était pour nous l’album le plus intense de l’année dernière et on avait vraiment envie de faire une collab avec lui !
Comment les artistes invités réagissent en écoutant le résultat final, les effets sur leurs voix ?
Pierre : Les artistes nous laissent vraiment toute liberté. On n’a pas peur de transgresser et on est agréablement surpris au final, certes on a une petite boule au ventre avant de leur faire découvrir. Les filles de Illighadad par exemple, on a pas mal transformé leurs voix, c’est un peu vocodé, et elles ont trouvé ça génial. Pareil pour le titre Nassibi, Kenzi a fait venir Amel Wahby en studio. Elle a enregistré, nous on a vachement modifié sa voix et on a eu peur qu’elle n’aime pas du tout l’effet robotique, et en fait elle l’a super bien pris.
Guido : Il y en a qui ont été surpris, de la métamorphose de leur musique, retravaillée, transformée, mais ces artistes finissent par adhérer au truc. Du coup, ça montre bien qu’on n’essaye pas du tout de recréer une musique orientale, arabe, turque, ou du Niger… Mais au contraire d’utiliser cette matière pour aller vers autre chose, vraiment créer un mélange des deux.
Barrière de la langue oblige, vous avez déjà eu l’impression de faire des bourdes à vos débuts ?
Guido : il y a eu un truc très précis mais ça remonte ! C’était la première année. A l’époque on faisait des édits, on prenait des morceaux arabes et de techno et on mélangeait, sans faire trop attention à quelle matière on utilisait. Et à la fin d’une soirée, il y a un groupe de jeunes qui dansait et sont venus nous dire : “vous avez utilisé un chant d’appel à la prière et c’est pas cool, si ma mère elle avait été là, elle aurait pleuré”. Ils n’étaient pas radicaux, ils voulaient juste nous expliquer que c’était culturel : ça ne se fait pas. Peu à peu, on apprend les us et coutumes de la culture. Il n’est pas question d’intégrer la religion à notre musique, nous sommes tous profondément athées, mais comme la religion est aussi une culture dans ces pays, il faut accepter un minimum de règles.
Ce nouvel album, il parle plus d’amour que de religion…
Pierre : Absolument, comme beaucoup du répertoire arabe : l’amour, l’espoir, le désespoir, comme nous disait Kenzi.
Guido : il y a tout un pan des musiques du Maghreb qui parle de l’exil. C’était l’époque des colonisations, des émigrés, aussi bien du point de vue de ceux qui arrivaient dans un autre pays, que des familles qui restaient. Et il y a des tonnes de chansons qui évoquent ce manque, l’oubli, le désespoir et les chansons algériennes de notre album reprennent un peu cette thématique. D’ailleurs les Filles de Illighadad reviennent aux racines du raï sans trop le vouloir, leurs chansons parlent aussi de ça, de jeunes garçons qui quittent les villages du Niger pour aller tenter leur chance en ville, voir même dans d’autres pays. Ça parle de la solitude.
Qu’est ce qui a changé dans votre processus de création avec Jdid ?
Guido : Avec le temps ce qui change c’est qu’on s’est plus focalisé sur la musique occidentale. Avant on samplait, on faisait nos propres gammes, et là tout ce qui est un peu oriental, c’est fait par Kenzi ou par des musiciens en featuring. Et ça fait un vrai mélange.
Vos très nombreux live ont donné une direction nouvelle pour cet album ?
Hervé : complètement, la tournée a aussi façonné nos envies pour ce nouvel album. On avait envie d’un truc club, de rester dans la transe.
Guido : oui c’est un peu l’album du djing.
Pierre : le but, c’était de vraiment jouer cet album en live. Pour Musique de France c’était plus alambiqué, plus compliqué d’appréhender la set liste en live.
Entre votre dernier live défendant l’album Musique de France et le nouveau JDID il y a eu quoi, deux mois et demi, c’est un rythme assez dingue non ?
Pierre : Si on n’avait pas sorti ce disque, Hervé et Guido auraient pu continuer leur live.. Ils ont dû dire non à plein de dates pour pouvoir faire une pause et passer au nouvel album, sinon ça s’arrêtait jamais !
Guido : On ne joue pas tous les soirs, mais en fin de semaine et toutes les semaines oui. C’est un rythme assez frénétique et la pause de deux mois, elle est encore plus frénétique car on préparait l’autre live. Il y a eu quasiment trois semaines de résidence où tu es enfermé toute la journée dans une salle de concerts.
Pierre : Alors nous avec Nico, on regarde ça et on rigole, comme on ne tourne pas. Enfin j’aimerais bien si je prenais l’avion… Aller au Japon par exemple (rires). En vrai, je ne serai pas capable de faire tout ça, c’est très angoissant, la fatigue que ça crée…
Gudio : T’inquiète pas, l’année prochaine on fait la tournée française, tu peux venir à toutes les dates ! (rires)
Et à quand le live en Algérie ?
Guido : Ah ! On n’a toujours pas réussi à faire un live en Algérie. On espère que ça arrivera.