Nedelko : rappeur prophétique et visionnaire « Je brûle car il faut croire au feu »
Musique - 18.10.2021
Urizen est le titre du deuxième album de Nedelko, rappeur et chanteur découvert au sein du collectif lyonnais l’Animalerie et aujourd’hui talent du dispositif Groover Obsessions. Ce second album sorti le 21 Septembre 2021 fait suite à Rhéologie sorti en 2019 et nous emmène dans un voyage mythologique et émouvant où les images se succèdent pour faire naître des émotions nouvelles ou renouvelées. Ce projet est réalisé par Oster Lapwass de l’Animalerie qui a collaboré également avec des compositeurs et beatmakers comme Hayko, Yaon et GoodJohn.
William Blake en toile de fond
« Éventre le ciel comme les gens heureux ».
in L’heure bleue avant les cœurs bleus.
Le projet de Nedelko est riche, riche en émotions, riche en figures, riche en références tout en restant humble et profond. Ce tour de force émane d’une sensibilité que l’artiste affine de projets en projets et qu’il a en lui, artiste conscient des enjeux de notre société et des faiblesses de tout un chacun. La première approche pertinente est de mesurer le patronage de William Blake (poète et dessinateur anglais de la fin du XVIIIe siècle, ayant évoqué de multiples prophéties et créé une vraie mythologie dans Songs of Innocence ou dans Europe: a Prophecy).
Qu’ont alors en commun Nedelko et William Blake : « Il y a quelque chose de très à vif dans son écriture, très ambivalent, il passe comme moi du très beau au très douloureux et son écriture est instinctive comme la mienne. »
Dans la mythologie de William Blake, Urizen (titre du projet de Nedelko) occupe le rôle de grand architecte, dessinant les limites du monde et définissant avec son compas les limites de l’Univers : « Urizen, en tant que personnage, tout en étant dans la destruction, construit aussi son monde, il y a une idée de cycles et de renouveau et dans la vie c’est ça qui aide à mieux se comprendre et à se construire. » Ce fil rouge assumé permet de créer deux pôles, une première moitié du projet évoque la mélancolie, la solitude qui se concrétise dans Troisième Impact (Putain qu’est-ce que je nous déteste, dit Nedelko dans ce son pour évoquer parfois le manque de lucidité ou d’action de nos générations) pour s’ouvrir, en deuxième partie, sur davantage de lumière, d’amour et de transfiguration : « Ces horizons évoqués qui se rétrécissent et s’élargissent font écho aux gens que l’on rencontre et à nos expériences et ça illustrait bien ce que j’avais envie de dire. »
C’est donc bien un album d’où de multiples enjeux se dégagent : prendre conscience du monde, appréhender la vie, écouter ses émotions et vivre avec des erreurs riches d’enseignements, comme il dit aussi dans Eva 001, « La vie c’est juste un cours d’histoire, des cycles en neuf et des bouts qui se barrent». Nedelko approfondit et on valide complètement : « Tu vas peut-être faire des erreurs, tu vas peut-être les refaire mais pas de la même façon, il faut des choses à oublier. La vie finalement c’est construire des choses à oublier. »
De la référence à l’émotion
« La poitrine toute chaude brûle comme Calcifer
Ils sont beaucoup moins forts, ils veulent pas souffrir. » Damoclès
L’écriture de Nedelko cherche à montrer, à évoquer plus qu’à raconter. Loin d’une illustration factuelle ou anecdotique du quotidien, il fait partie de ces artistes qui proposent sans imposer, laissant à l’auditeur la place de ressentir des émotions et de visualiser différentes images. L’imagination est le point d’ancrage vers l’émotion, mais c’est bien sûr autour des références qu’il choisit que se forgent nos univers visuels : « A partir du moment où ça touche les auditeurs, pour moi, ils ont compris. C’est par l’émotion que tu dois comprendre.»
Ces références sont multiples, des pop cultures contemporaines des horcruxes présents dans Harry Potter, aux Comics de Marvel et ses supers héros, en passant par Calcifer, personnage du Château Ambulant de Miyazaki. Nedelko peut aussi aller chercher dans la mythologie gréco-romaine sans oublier celle de William Blake déjà évoquée. Cette quête d’images n’a qu’un seul but, toucher et développer nos imaginaires. « Des mots qui viennent apporter des nouvelles émotions que l’on ne connaît pas forcément. » L’évocation donne à penser, et on peut voir son écriture comme une main tendue à son auditeur : « tu fais grandir l’arbre de l’imagination, la réception des auditeurs créent ainsi des ramifications et c’est ça qui nourrit l’art en soi. »
En dehors des émotions et des images évoquées, c’est bien par sa technicité que Nedelko peut être bluffant, aucun mot ne lui fait peur, au contraire, il fait plier le langage soutenu à son découpage rythmique et aux jeux de sonorités. En cela le collectif de l’Animalerie et des personnalités comme Lucio Bukowski pour qui le travail des sonorités est primordial ont trouvé en Nedelko un parfait représentant de leur esthétique rapistique. On laissera chacun apprécier la paronomase ci-dessous présente dans Les Anges :
« Ce qu’on ressent dans l’ADN
il y avait des prémices de toi dans mon génome
J’aurai des souvenirs de toi dans la Géhenne ». in Les Anges
Comme on l’a évoqué, le sentiment prend toute sa place dans la fin du projet à dominante lyrique, évoquant l’amour comme horizon final où l’on comprend que l’amour peut rendre heureux au point d’éventrer le ciel : « les gens heureux voient plus loin que tout le monde et pour qu’un amour soit en pleine possession de sa grandeur, il faut s’écouter, se laisser porter et se consumer. » On finira avec une citation du dernier son du projet Coeur Bleu : « t’embrasser et faire des vœux, s’enlacer, défaire les nœuds (…) j’ai besoin d’air comme j’ai besoin d’elle.» Aucun doute que l’horizon de l’auditeur ne s’ouvre et espère en écoutant l’architecte des mots qui se cache derrière Urizen : Nedelko ayant sa plume pour seul compas.
Marie-Gaëtane Anton
En remerciant Nedelko pour sa précieuse collaboration