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Victor Solf, l’espoir retrouvé

Photo par Joaquim Bayle.

Il y a une semaine, Victor Solf levait le voile sur “Still. There’s Hope”, album résolument lumineux et chargé d’espoir(s). Rencontre avec un homme qui voit la beauté partout – et ça s’entend dans sa musique.

À la base, je devais travailler avec Yann Tiersen. J’avais même été faire un test sur l’île d’Ouessant, là où il vit, et ça s’était super bien passé musicalement. Mais j’avais failli rester bloqué là-bas, un pêcheur a même été obligé de me ramener” On ne pourra pas dire que, pour Still. There’s Hope, Victor Solf n’a pas donné de sa personne. Dans tous les sens du terme.

Mais Stil. There’s Hope, tout comme Rome, ne s’est pas construit en un jour. Retour au Zénith de Paris, le 2 février 2019. Près de 7000 spectateurs assistent au magnifique baroud d’honneur de Her. Après un album, Her, et deux EPs sobrement intitulés Her Tape #1 et #2, Victor Solf, orphelin de sa moitié artistique Simon Carpentier, décédé en 2017 – et à qui il dédie le poignant Fight For Love – décide d’arrêter l’aventure. Du moins, sous le nom Her. Impossible pour lui de s’imaginer ne plus créer, ne plus (faire) rêver.

Nouveau départ

Avec tout ce que j’ai vécu depuis que je fais de la musique, et notamment la disparition de Simon, j’aurais trouvé ça un peu fake de poursuivre en groupe. Donc c’était quasiment acté pour moi que j’allais faire un projet solo.”

Quelques interrogations fleurissent alors dans sa tête quant à l’utilisation ou non d’un pseudonyme. Il prend conseil auprès de certains de ses amis artistes, qui lui tiennent tous à peu près le même discours. “Victor Solf, ça pète !”. Et, comme le principal intéressé le philosophie malicieusement, “c’est pas comme si je m’appelais Julien Dupont, là j’aurais peut-être pris un pseudonyme !” Nous préférons préciser que la rédaction de Général Pop et Victor Solf n’ont aucune animosité envers les gens qui s’appellent Julien Dupont. Puis JD, c’était déjà pris.

Pour Victor, ne plus se cacher derrière un autre nom que celui inscrit sur son registre d’État Civil est un bon prétexte pour “rendre les chansons plus personnelles que jamais elles ne l’ont été”. Une façon pour lui d’assumer pleinement les états d’âme qui inondent les textes de Still. There’s Hope. Pour l’accompagner dans sa tâche, il s’entoure d’une équipe de talent, numéros 10 dans leurs domaines respectifs, composée de Guillaume Ferran, co-réalisateur de l’album, mais aussi David Spinelli et et Mathieu Gramoli, respectivement aux machines et à la batterie.

Pourtant, les questionnements sur la nécessité de se cacher ou non derrière un nom de plume sont sans commune mesure par rapport à ceux qui apparaissent au moment de retrouver ses instruments. “J’avais l’impression de faire du Her en moins bien, souffle-t-il. Un peu comme quand tu réchauffes au micro-ondes ton plat de pâtes qui passé trois jours au frigo !” Jusqu’au moment où les étoiles s’alignent enfin pour former une nouvelle éblouissante constellation : Traffic Lights.

Chez Her, les riffs sous chorus et overdrive formaient le squelette des morceaux. Du coup, j’ai commencé par supprimer les guitares. Ensuite, j’ai calé une session avec Guillaume Ferran, on a un peu, beaucoup, pataugé puis j’ai commencé à jouer Traffic Lights, juste au piano. J’ai eu une épiphanie, un peu comme le moment où Simon et moi avions terminé Quite Like, notre premier morceau. Je savais enfin vers quoi je voulais tendre en termes de jeu, de voix, d’équilibre de mes influences

Sans surprise, Traffic Lights, qui figure sur Aftermath – “les séquelles” –, premier EP en solitaire façonné par Victor au cours de l’année 2019, se retrouve aussi sur Still. There’s Hope. Comme une évidence pour le Breton. “Il ne fallait juste pas faire du Traffic Lights réchauffé !”, savoure-t-il. 

Après une année 2020 allant de frustrations en frustrations, il s’exerce au sampling dans la 12 Monkeys Mixtape, façon pour lui d’évacuer en se laissant tenter par l’inconnu. “J’aurais pu choisir un pseudonyme pour ce projet !”. Un contraste d’autant plus saisissant quand on le compare à l’organicité de Still. There’s Hope, enregistré en live et “avec le moins de machines possibles” dans le studio Black Box d’Angers, après un travail préparatoire entamé dans une petite maison de campagne dans le Finistère Nord.

L’espoir, partout

Still. There’s Hope. Espoir. Voilà un mot qui semble s’effacer lentement des dictionnaires, dans une époque où la vieille expression “y’a plus de saisons !” devient de plus en plus explicite de jour en jour. Entre autres. Mais pour Victor, l’espoir est partout. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de façonner cette fantastique pièce oscillant entre soul pour les harmonies de voix, néo-classique pour l’instrumentation, avec une pointe de mélancolie et autant de lumière(s). 

Pour m’expliquer d’où lui vient cet optimisme, il sort son téléphone avant de fouiller dans ses notes. Un instant de doux flottement. Derrière nous tourne sa playlist, agréable fond sonore à cette interview dans les bureaux de son label, à deux pas du Panthéon. 

J’ai écrit à ce sujet ce matin, car c’est une question très vaste. Je précise aussi que c’est mon humble conviction. Je suis convaincu que l’homme naît bon et qu’il devient mauvais. Et pour moi, ça change tout. Tu acceptes qu’une personne ne soit pas foncièrement mauvaise, et au lieu d’avoir de la colère envers quelqu’un qui t’a fait du mal, tu vas peut-être transformer ça en compassion et en pitié. Tu vas chercher à te demander comment elle en est arrivée là. Ça évoque aussi une question essentielle, celle de l’inné et de l’acquis. Sarkozy voulait faire de la criminalisation dès l’école, dès le primaire. Je trouve que c’est un délire. 

 

Parce qu’une autre de mes convictions, c’est que rien n’est inéluctable. On peut tous changer, même si on est mauvais à un moment donné de notre vie. Le vrai problème aujourd’hui sur ce sujet-là, c’est la question du temps. Il faudrait aller beaucoup plus vite, car les changements sont très lents à s’opérer, sur toi comme sur la société. Ce qui pourrait te faire sombrer dans le fatalisme, c’est de te dire qu’on ne changera pas assez vite. Pourtant, changer, évoluer, c’est dans la nature de l’être humain. Moi-même j’ai un enfant et tous les jours je le vois apprendre des trucs incroyables, il se dépasse et évolue presque chaque matin ! On trouverait ça surhumain. Passé un certain âge, on oublie et on se dit “je suis comme je suis, tu ne me changeras pas”. Alors que c’est l’une des pires choses à laquelle penser.

 

La dernière chose qui me fait garder espoir, c’est la capacité de l’être humain à créer, à rêver, peu importe le domaine. Quand je vais sur mon piano, j’ai besoin d’être détendu, dans une pièce à l’obscurité totale, assez froide. Au fur et à mesure que je compose, j’ai l’impression que ça me dépasse. Dans cette métaphore, la pièce s’éclaire, se réchauffe. Je suis tellement émerveillé de savoir à quel point l’homme est capable de choses fantastiques. Ces trois grands axes résument l’album et font que je peux te dire “j’ai encore de l’espoir”.”

 

Plus qu’un magnifique message, le premier album en solitaire de Victor Solf raconte aussi la difficulté de trouver sa case dans le grand puzzle de la société (I Don’t Fit et son piano digne d’un vieux Disney en guise d’ouverture), critique l’entre-soi étouffant (Utopia) et l’ego dévorant (Drop The Ego), et est aussi un coup de gueule passé contre le Karma (How Did We End Up Here ?), comme il l’explique. “J’étais vraiment dans une période où j’avais le sentiment de tout avoir fait comme il fallait mais où il ne m’arrivait que des choses plus frustrantes les unes que les autres. En plus, c’est une question que l’on se pose tous en ce moment… Bosser sur ce morceau m’a beaucoup soulagé !”

Des textes chantés avec une voix qui, de l’aveu même de Victor, ne ressemble à rien de ce que ses cordes vocales ont pu produire jusqu’à présent. Une voix encore plus douce, encore plus chaleureuse, que celle dont il nous avait déjà tant ébloui avec Her, collant parfaitement avec l’humilité qui rayonne délicatement de Still. There’s Hope. Elle participe à façonner une forme de cohérence entre ses deux chapitres artistiques, prouvant qu’il existe en quelque sorte une vie après la mort. 

Au moment de commencer cette interview, Victor est pourtant un peu circonspect. “Les gens tiltent sur la tenue que je mets quand je suis en promo, et parfois t’en as qui me reconnaissent comme “le gars de Her”, plaisante-t-il. Ils m’ont même parfois déjà vu en concert ! Pourtant, ils ne savent pas que j’ai continué la musique. Mais, avec Her, on avait mis un an et demi à capter l’attention du public, donc c’est normal. Il faut du temps avant de rentrer dans les mémoires collectives”. 

Nul doute qu’avec une carte de visite aussi réussie que Still. There’s Hope, album solaire comme sa personnalité, Victor Solf se fera à nouveau un nom. Pas besoin de l’espérer, on en est sûr. 

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Jules Vandale