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This is Really Going to Hurt, l’album de résilience de Flyte

Crédits photos : Jan Philipzen

Lorsque le superbe premier album de Flyte “The Loved Ones” paraissait en 2017, les londoniens étaient parvenus à se faire un nom sur les scènes britannique et américaine. S’ensuivit deux ans plus tard l’EP “White Roses”, et c’est maintenant que le trio délivre l’album “This is Really Going to Hurt”, une œuvre de pop et de folk personnelle et introspective.

 

Lorsque Camille, interprétée par Agnès Jaoui dans le film On Connaît la Chanson d’Alain Resnais (1997) s’aperçoit que son mal-être se prénomme « dépression », il semble n’être qu’un allié capable de l’accompagner dans la révélation. André Dussolier alias Simon, atteint du même mal, enlace son amie et lui enseigne que si les douleurs qu’engendrent leur condition sont insupportables, « quand on est heureux, c’est encore mieux. »

C’est par vidéo que l’on joint les enjoués Will, Jon et Nick, trois semaines avant la sortie de This is Really Going to Hurt. Le titre est on ne peut plus équivoque : Will, le chanteur, émerge d’une relation amoureuse de dix ans, et le groupe autrefois quatuor, a vu l’un de ses membres quitter l’aventure. L’inspiration qu’engendre une telle période de transition paraît évidente, mais des peines nécessitent un moment d’accalmie avant l’écriture.

Tout mais pas Londres

D’ordinaire en accord avec cette méthode, Will affirme « qu’un gros bout de l’album a été créé sur le moment. C’était l’unique moyen pour moi de me distraire. J’ai essayé de penser à autre chose avec des livres et des films, mais rien ne marchait, à part l’écriture. » Comparant la confection du disque à un doudou, les membres affirment que ce qui aurait pu raviver la douleur s’est finalement avéré être un moment agréable.

C’est dans le hometown de Flyte que s’est faite l’écriture, au nord-est de Londres. S’expatriant par la suite à Los Angeles pour l’enregistrement, le trio s’accompagne notamment des cordes de Derek Stein, ou encore du producteur Justin Raisen (passé par Kim Gordon, Ariel Pink ou encore Angel Olsen.) Et si le groupe voue un amour véritable pour le cinéma, ce n’est pas ce qui les motive à choisir cette destination.

Nick, le bassiste, soutient que « l’optimisme prenait le pas sur la tristesse » lors de l’enregistrement. « C’était vraiment une période de merde, et nous étions seulement tous les trois pendant six semaines », et tous admettent que le soleil californien parvint à nuire à la morosité de la pluie britannique. Cependant, la condition initiale pour le choix du lieu d’enregistrement demeurait : « tout, mais pas Londres. »

Dans cette période orageuse, le bonheur intervient, et peut-être son intensité provient-elle de ce désir de rebondir à tout prix. Jon, batteur, se souvient d’ailleurs que Will écrivait des textes très personnels, et que Nick et lui « en ont profité pour exprimer leur sentiment quant à cette expérience » à travers leurs instruments respectifs, ainsi que leur voix. Puisque ce qui fait l’un des nombreux charmes de Flyte, c’est leurs exaltantes harmonies, et à cela s’est ajouté leur capacité d’adaptation. Un membre en moins implique de savoir combler l’espace :« Je pense que moins on en fait, plus grande encore peut être une composition », affirme Will.

« Led Zeppelin n’avait que trois instruments, et je crois que c’est Miles Davis qui avait dit qu’il lui avait fallu toute la vie pour apprendre quels instruments ne pas jouer. »

Résilience

Le piano qui occupait une place de choix sur le premier album de Flyte s’en est allé, et plutôt que d’y voir un fossé, le trio a préféré y trouver une opportunité d’agrandir leur curiosité : Jon s’est essayé à la basse, tandis que Nick s’est assis à la batterie. Appréhender une potentielle faiblesse comme un moyen de rebond aura permis à Flyte de conserver son essence, tout en offrant un deuxième album bien différent du premier.

La nuance s’explique notamment en couleurs dans le ton général de l’œuvre. The Loved Ones était un disque qui dressait nombre de portraits dans des couleurs chaudes. Ici, il n’est plus question de personnages pour faire passer leurs messages, et il était temps de « s’adapter au ton triste et froid de l’album », qui, misant sur l’humeur du trio à l’époque, se réclame d’un bleu glacial.

« On a passé beaucoup de temps à se sentir malheureux », s’amuse désormais Will, « et c’est en voyant la photo de mes parents que j’ai pensé ‘le voici, c’est ce bleu, c’est le bleu de l’album !’ » Ni titre ni autocollant n’orne la pochette de This is Really Going to Hurt, seule cette photo des parents du chanteur, fous amoureux dans les années 1980, donne le ton de l’album.

Hormis les superbes I’ve Got a Girl, Everyone’s a Winner et Trying to Break your Heart, qui n’échappent pour autant pas à la mélancolie ambiante du disque, les morceaux sont essentiellement placides, bien que fournis. Le désenchanté Losing You s’accompagne d’un clip au charme d’un vieux film romantique signé Mark Jenkin, et I’ve Got a Girl résulte en une vidéo délirante et irrésistible.

Le morceau n’est, sans aucun doute, pas sans rapport avec le départ de l’ex bandmate de Flyte. Une chose est certaine, l’amour du cinéma et de la photographie qu’ont les trois musiciens transparaît. D’ailleurs, proche de son public, le groupe a organisé à l’occasion du dernier confinement au Royaume-Uni, un rendez-vous hebdomadaire avec leurs fans : chaque mercredi, quiconque le voulait pouvait rejoindre la Netflix Party de Flyte et regarder le film du soir « en compagnie » de Will, Jon et Nick. Et même si L.A était avant tout leur lieu de travail, les trois copains sur notre écran se rappelle s’être extasiés comme des gosses dans le quartier d’Hollywood, en reconnaissant les noms des studios indiqués.

Si des choses se passent à merveille et rendent à ce point heureux, peut-être est-ce justement parce qu’elles avaient vocation à apaiser des maux. Le trio ne peut s’empêcher de repenser avec tendresse à cette période d’enregistrement, et Will résume si bien l’état d’esprit de leur disque : « On entend des chansons tristes, mais on entend aussi un groupe qui s’éclate. »

Sympathiques à souhait, les membres sont impatients de remonter sur scène – une probabilité plus grande au Royaume-Uni que par chez nous, puisque les vaccins sont administrés en masse depuis plusieurs semaines, et que le confinement sévère aura drastiquement fait chuter le nombre de contaminés. Pour le moment, « ça ne semble pas réel. Mais ça fait du bien d’avoir un point à l’horizon », disent-ils avec de larges sourires.

This is Really Going to Hurt n’est pas un album qui assomme quiconque s’en approche, car bien que le ton général de l’œuvre n’est pas enjoué, il est vrai qu’essentiellement les expérimentations, la complicité et le soutien des uns envers les autres prédominent. Ce n’est pas un disque heureux, mais c’est assurément une remontée de pente, comme une rémission, que nous offrent les trois londoniens, plus attachants que jamais. Et si l’on oublie d’ordinaire qu’on va bien, on se sent aller mieux quand on guérit. It doesn’t hurt so bad anymore.

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Raphaëlle Berlanda-Beauvallet