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Black Country, New Road : grand nom, grand groupe

Crédits : Maxwell Grainger

Les nouveaux (futurs) grands de la scène post-punk anglaise ont un nom aussi à rallonge que leurs chansons. À l’occasion de la sortie de For The First Time, tant attendu premier album du septuor sur le label Ninja Tune, rencontre avec Tyler Hyde et Lewis Evans. De quoi en savoir un peu plus sur le dernier phénomène made in Windmill

Dans un monde où la capacité à regorger de jeunes talents musicaux serait considérée comme une valeur monétaire, deux pays se partageraient le trône de la première puissance économique mondiale : la France, bien évidemment, mais aussi le Royaume-Uni. Shame, Squid, Black Midi, Sorry, The Orielles

Autant de groupes dont les membres ont la vingtaine à peine consommée et qui ressuscitent à leur façon le post-punk, tels des Victor Frankenstein mélomanes. Autant de groupes qui accumulent les miles sur leur carte British Airways et les foules dans les festivals où ils occupent les têtes d’affiches. Autant de groupes passés par la scène du Windmill, club Brixtonien emblématique de ce nouvel âge d’or de la musique indépendante britannique et véritable incubateur de talents. À cette liste qui fait déjà saliver nombre d’observateurs, il faut désormais ajouter une nouvelle entrée : Black Country, New Road. 

Sur les bancs du lycée

C’est à leur rentrée au lycée, dans la très cossue ville de Cambridge, qu’Isaac Wood (chant et guitare), Tyler Hyde (basse), Lewis Evans (saxophone), Georgia Ellery (violon), May Kershaw (claviers) et Charlie Wayne (batterie) se rencontrent. Une histoire tout à fait classique de jeunes gens qui partagent un intérêt commun pour le génie possédé de Kanye West ou les montagnes russes instrumentales de Slint, et qui décident par la force des choses de s’unir entre eux sous une première mouture : Nervous Conditions, projet formé en 2017. Mais une série de plaintes pour agressions sexuelles envers leur ancien membre Connor Browne contraint la formation à faire profil bas et à l’exclure logiquement de leurs rangs.

Pour Tyler Hyde, la question de reprendre cette aventure, sous un autre nom, certes, ne s’est pas posée très longtemps. “On n’avait aucune envie de ne pas continuer à travailler ensemble. On n’est pas seulement un groupe de musique, on est surtout un groupe d’amis, et je n’imagine pas avoir la même connexion avec n’importe qui d’autre.” C’est à ce moment que le line-up actuel de Black Country, New Road se concrétise, avec l’arrivée de Luke Mark à la gratte.

“Nos morceaux sont une étrange et bordélique mixture faite des goûts de sept personnes, qu’on essaie de retranscrire”

Tyler Hyde

Plus qu’un groupe d’amis, Black Country, New Road est surtout un savant dosage. Un dosage d’origines musicales, tout d’abord, le groupe étant équitablement partagé entre membres ayant reçus une éducation musicale “savante”, tels que Lewis (au saxophone, qui vient du jazz), Georgia (au violon) et May (aux claviers) et “self-taughts bedroom rockstars, selon les mots de Tyler, comme Isaac et Luke (à la guitare), Tyler (à la basse) et Charlie (à la batterie). Un dosage d’inspirations et d’influences diverses, ensuite, résultant en “une étrange et bordélique mixture faite des goûts, parfois similaires et parfois différents, de sept personnes, qu’on essaie ensuite de retranscrire dans nos compositions”, explique Tyler Hyde. 

Comment faut-il donc appeler ce pot-pourri où se battent en duel Godspeed! You Black Emperor, John Coltrane, Steve Reich ou encore The Fall ? Post-rock ? Art-punk ? Post-art-rock-punk ? Eux-mêmes ne le savent pas vraiment. Mais ça n’est pas l’impossibilité de se ranger dans une case stylistique qui va les empêcher d’être un des groupes de live les plus en vogue et les plus tonitruants de ces deux dernières années. Dire qu’en à peine plus de dix-huit mois, Black Country New Road a crevé l’écran est un bien doux euphémisme. En témoigne leur appellation de “meilleur groupe du monde” par nos confrères de The Quietus au moment de la sortie de leur second single, Sunglasses, en juillet 2019. 

“Plus que d’être amusante à jouer, une chanson doit pouvoir être transformée à chaque fois qu’on la joue sur scène.”

Lewis Evans

À défaut d’avoir des chansons enregistrées, le combo s’est en effet longtemps fait connaître par ses performances viscérales en concert, qui conditionnent d’ailleurs la plus grande partie de leurs compositions. “Ce que l’on recherche en priorité dans une chanson, tente d’expliquer Lewis Evans à travers l’écran, c’est qu’elle soit dans un mouvement perpétuel. Plus que d’être amusante à jouer, elle doit pouvoir être transformée à chaque fois qu’on la joue sur scène. On a mis de côté beaucoup de morceaux sous prétexte qu’ils ne permettaient pas suffisamment d’évolution à notre goût”.

C’est ce goût pour l’inattendu, voire l’improvisation totale, qui donne naissance à des pistes labyrinthiques comme Opus, cirque cauchemardesque qui clôture leur premier album For The First Time de la meilleure des manières. “Opus, qui est notre plus vieux morceau, est un bon résumé de ce que nous sommes capables de faire. Elle part dans tous les sens, alterne des moments épiques, dérangeants, et d’autres bien plus touchants. C’est un plaisir monstrueux à interpréter en live”.

Sensation bizarre

Lewis l’avoue, le passage d’une chanson pensée pour être jouée devant plusieurs centaines de personnes, toujours en train de muer tel un serpent à sonnette, à un format enregistré – donc immuable par nature – est “une sensation très bizarre, mais nécessaire. On voulait avoir une trace durable de nos débuts, avant notre évolution vers d’autres façons de concevoir et de façonner la musique”.

Pour capturer de la meilleure des façons l’intensité des concerts du septuor, le choix de l’enregistrement live a été évident. Sous la houlette du producteur Andy Saviours, qualifié de “véritable facilitateur” par Tyler Hyde, Black Country, New Road s’est isolé une semaine, le temps de mettre en boîte six morceaux à la durée moyenne de sept minutes. Stressés à l’idée de louper une note et de devoir tout recommencer, les jeunes ? Pas vraiment, selon Lewis Evans :

Enregistrer comme ça, avec la petite pression de foirer son passage, ça procure de bonnes sensations. Ça donne un réel cachet à notre proposition et, surtout, ça nous rappelle les concerts, là où les petites erreurs font partie du lot.” 

Dans l’attente de retrouver leur sens torturé de la composition, leur instrumentation anxiogène, leurs paroles cryptiques et le chanté-parlé captivant de Isaac Wood dans une salle bondée, For The First Time apparaît comme un excellent avant-goût du talent brut de Black Country, New Road.

Il ne leur manque finalement pas grand-chose pour s’élever au niveau des Shame et autres Fontaines D.C. dans le panthéon des têtes d’affiches les plus côtées des festivals. Pour Tyler, il existe déjà une perspective d’évolution. “Il ne nous reste qu’à faire des chansons de moins de quatre minutes, et ça sera parfait”. Pas besoin. Avec Black Country, New Road, plus les morceaux sont longs, plus c’est bon. 

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Jules Vandale