On a testé pour vous la Dürüm Room, version kebab du Boiler Room (et c’est génial)
Musique - 18.10.2020
Détournement épicé des fameux DJ sets streamés, la première Dürüm Room de l’histoire a réuni le live des zinzins Murman Tsuladze et les DJs sets de Kabylie Minogue & Taxi Kebab. Tout cela en roulant des galettes turques sur les platines. Fort en Harissa !
Dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsation 2020 (dont on vous racontait la raison d’être, comme dirait Pascal Obispo), une soirée très particulière – organisée par l’agence Oh La La – se déroulait à l’Autre Canal (Salle des musiques actuelles de Nancy) jeudi 15 octobre dernier. En pleine Bérézina Covid, et couvre-feu déprimant, la capitale lorraine nous a offert un joli petit remontant !
Voilà ce qu’on lui dit à la morosité !
Le principe de la Dürüm Room est simple : cuisiner des dürüms (kebab où le pain est remplacé par de fameuses galettes turques) tout en savourant concerts et DJs set aux petits oignons ! Une version détournée de la prestigieuse Boiler Room, et une alternative Halal de la Boudin Room qui fait déjà légion en Belgique (qui peut refuser du bon son, de la charcuterie et le sourire du boucher sur le dancefloor, hein qui ?)
Sur la scène extérieure de la Dürüm Room, on a retrouvé le DJ set ‘all night long’ de Taxi Kebab, roulant des mécaniques pour faire danser les deux cheffes marocaines voisines Noss Noss, roulant eux des coudes devant leur plan de travail. Au menu du soir, deux recettes : un dürüm kefta (boulettes de boeuf haché aux épices, tahina, crudités) et une version falafel (boulettes de pois chiche) pour les veggies…Le tout arrosé de thé à la menthe, et d’un supplément harissa pour les plus intrépides.
Une fois la peau du ventre bien tendue (hamdoulillah), et l’échauffement des jambes assuré par le dj set de Taxi Kebab, croisant les routes marocaines avec un son brut, psyché et “désoriental”, il est grand temps de passer aux choses sérieuses… qui se déroulent, météo exécrable oblige (une oxymore typiquement nancéienne), dans la grande salle intérieure de L’Autre Canal, aménagée pour l’occasion en format assis… règles sanitaires obligent.
Murman Tsuladze lève le masque (au figuré)
Et c’est le trio de zinzins Murman Tsuladze – venant tout juste de sortir son nouvel EP Abreshumi – qui ouvre le bal : “Nancy, vous êtes la seule ville cool et libre ! ” vocifère ironiquement Lucas au clavier, le lendemain des annonces présidentielles annonçant un couvre-feu dans le pays.
Rencontré un peu plus tôt en loge, le trio ne s’est pourtant pas trop mal démerdé pour jouer 2 à 3 concerts par mois depuis la fin du confinement, remontant sur scène “comme un super héros qui retourne bosser” ! Alors assis ou debout, masqué ou ligoté, le trio est prêt à tout pour dérider son public, lui qui habituellement se paye de bons pogos des familles aux premiers rangs :
“On a autant envie de se marrer que les gens, et s’ils peuvent prendre leur pieds assis, tant mieux !”
Conscients du stress des festivaliers devant tant de contraintes techniques, ils enchaînent les blagues en salle : “tu te sens clairement observer, alors il faut les détendre un peu”. Tout terrain, Murman Tsuladze est d’ailleurs venu de Paris en TGV, sans ingé son, avec ses claviers et instrus planqués dans d’énormes valises… Une traversée de Paris détournée, comme on pouvait cacher du lard sous l’occupation (sic) !
Ces trois gars là sont de toute façon prêts à tout pour continuer à tourner et jouer devant un public : “Tu nous mets dans un club, dans une laverie, des lieux underground, on y va !” Et il n’est plus question d’attendre des énièmes annonces sanitaires !
“Nous on va pas attendre, on l’a assez fait jusque là ! Les gilets jaune qui bloquaient les routes, puis les grèves, puis le confinement, notre tournée annulée. On arrête d’attendre ! On va peut-être perdre quelques point de vie mais on va se bouger, quitte à aller ailleurs ! ”
“C’est dans l’adversité qu’on invente des trucs incroyables”
Et vu le mojo du trio, il est très clair que cette période de disette culturelle, va donner le gourdin à sa carrière ! Selon eux, c’est même dans l’adversité et “grâce à ces contraintes qu’on invente les trucs les plus incroyables”. Persuadés que de nouvelles soirées et concepts vont bientôt naître de cette année merdique, “encore plus puissantes qu’avant”, l’histoire et ses grandes révolutions culturelles en sont des exemples cuisants selon Lucas et le leader Murman :
“C’est comme les 70’s aux UK, économiquement c’était très dur, mais les punks sont arrivés ! Un truc très fort musicalement ! “ LUCAS NUNEZ RITTER
“Dans le cinéma, pourquoi les Pays de l’Est ont fait des purs films, car ils étaient oppressés, ils ont dû réinventer le cinéma à ce moment ! “ MURMAN TSULADZE
Et ce n’est pas le belgo-géorgien et leader du groupe, arrivé il y a 20 ans au Pays Plat – précisément sur le tapis volant de son grand-père (dont il est question sur cet EP que vous devez absolument écouter) – qui va baisser les bras ! Chemise ouverte, lunettes de soleil ringardes de rigueur, et déchaînant son public au son de sa “hard tech” (et du tubesque La flemme de danser), Murman conclut :
“En Europe de l’ouest, il y a cette vie très bourgeoise, la vie est un hobby, là on est confronté à une difficulté, et la phase de confinement a eu beau être assez inhibante créativement parlant, après tu peux te sortir les doigts, et tabasser !“
Kabylie Minogue embrase la Dürüm Room !
Après Murman Tsuladze, la Dürüm Room n’a pas dit son dernier mot. Repassez par la case galette, boulettes, harissa, thé à la menthe, pour une pause et c’est reparti pour un tour. Cette fois, on passe en mode club, avec un public nancéien prêt à tout pour donner au duo Kabylie Minogue le meilleur de ses chorés, ratatiné sur un fauteuil (ou presque).
Kabylie Minogue c’est la rencontre entre l’algérien Nour et le libanais KK, entre des sonorités orientales et une énergie electro, aussi industrielle que celle de Detroit, avec un vrai désir de “surprendre” le public, comme nous confie le duo avant de monter sur scène. Comme leurs loufoques prédécesseurs, les conditions sanitaires sont un nouveau tour de force pour eux :
“C’est une première, un exercice qu’on ne connait pas. D’ailleurs rien n’est écrit, on écoute de la musique au jour le jour, et après on voit sur scène, on sait pas exactement le format que ça prendra.”
Sur leurs clés usb, on trouve des références aussi diverses que Daft Punk ou des groupes plus pointus tels que le compositeur libanais Marcel Khalife et le producteur New-Yorkais The Spy from Cairo. Un brin stressé par le challenge de la soirée : “d’habitude on a un objectif simple, c’est de faire danser”, Kabylie Minogue réussit sans problème à déboulonner le public de sa chaise, piste après piste, pour finir dans une euphorie collective :
“On se positionne comme DJ et teufeur, on participe aussi à la soirée.”
Une dernière danse avant le couvre-feu ?
Comme pour Murman Tsuladze, cette année charnière correspondait pour Kabylie Minogue à un début de carrière, notamment des premières dates de tournée et une reconnaissance grandissante du public. Jusqu’à ce que patatra… Tout s’arrête. Retour à la case départ : “Ça nous a stoppé net dans notre élan. C’était notre premier vrai été de festivals. Ça montait en puissance, on avait bien 4 dates par mois.”
Et si le confinement n’a pas été si dur à vivre pour eux, profitant de cette coupure pour bosser leurs morceaux en home studio, les mois suivants ont été bien plus délicats :
“La période qui a suivi le confinement était incertaine et évolutive… Assez frustrante. On a pas vraiment vu de logique, notamment les annulations des Djs sets.”
Réussissant à glaner une dizaine de dates de DJ en extérieur cet été, Kabylie Minogue reste conscient qu’être programmé pour cette Dürüm Room de rentrée reste un privilège… surtout avec l’arrivée du couvre-feu : “On le voit comme une chance, la dernière certitude qu’on peut avoir d’être programmée après ça, on a rien du tout !”
Nour, moitié de Kabylie Minogue d’origine algérienne, conclut cette soirée inespérée avec ce constat grisant des semaines qui nous attendent :
“Je suis venu ici pour la liberté et on me l’enlève… Tu as rêvé de la France, c’est le pays des libertés, et finalement c’est pas si différent, sur le fond.”
En attendant la fin du couvre-feu, on vous invite à redécouvrir leur DJ set survolté à l’IMA et à bouncer chez vous après 21H dürüm à la main…
Abonnez-vous à notre POP NEWS hebdomadaire ici.
Abigaïl Aïnouz