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Entretien avec Jean-Michel Jarre

A l’occasion de la sortie de son nouvel album, Electronica I, nous sommes allés rencontrer Jean-Michel Jarre chez lui, à Bougival. Le maestro nous a reçu au milieu de ses incroyables machines et nous a dévoilé son processus de travail, sa vision de la musique électronique d’hier et aujourd’hui et bien d’autres choses. 

Projet pharaonique en deux parties, Electronica rassemble en tout 30 collaborateurs, de Moby à Tangerine Dreams en passant par Cindy Lauper, Hans Zimmer, David Lynch et Jeff Mills. Vous avez bien lu… 

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Vous êtes en pleine promo pour Electronica I tout en préparant le second opus, comment vous organisez vous ?

Je ne m’organise pas du tout, je vis ça en état de schizophrénie avancée. C’est compliqué de faire un coming-out sur un projet tout en restant focused sur le mixage, sur la partie 2 du même projet. J’ai voulu faire des collaborations et comme tout le monde a dit oui, je me suis retrouvé avec 2h de musique et l’impossibilité de faire ça en un seul album, d’où l’idée de séparer en deux. Mais pas trop loin non plus ! Il s’agit de la même histoire, rien n’est secondaire.

J’ai rassemblé autour de moi 30 collaborateurs, tout âge et tous styles confondus, qui ont en commun une approche organique du son, une patte reconnaissable et qui sont tous un peu en marge du système. Ils ont tous pu être en phase avec le succès, mais n’ont jamais été à la mode, ils ont une dimension intemporelle.

Quel est le processus de travail dans ces collaborations ? On imagine qu’entre Little Boots et Hans Zimmer ça n’est pas du tout la même manière de travailler ?

C’est ce que j’imaginais aussi, je m’étais dit que ça serait complètement différent à cause des styles, des générations, de tout ça. Et je me suis planté ! Ce qui est intéressant dans la musique électronique, c’est que ça n’est plus une niche, c’est devenu le genre le plus populaire sur terre. C’est une manière de composer et de diffuser qui aujourd’hui regroupe Hans Zimmer, David Lynch, Air, Gesaffelstein. C’est un amour de geek, c’est la passion de triturer des machines, un côté de sale gosse d’expérimentation qui lie tous ces artistes.

Vous êtes le recordman français du plus gros concert du monde. Est-ce que vous imaginez proposer un live avec toutes ces collaborations ?

Je ne me sens pas du tout le Usain Bolt de l’électro avec des records à battre (rires) ! Je ne sais jamais jusqu’où vont m’emmener mes projets, Electronica en est l’exemple parfait.
Au départ je pensais faire un album avec une douzaine de personnes, et d’un coup je me suis retrouvé embarqué dans un projet long de 4 ans. Non pas que je m’en plaigne, je suis privilégié ! Mais je n’ai fait que ça, un de vos confrères anglais m’a dit que j’étais en train de faire un concept de « never ending album ». L’idée de faire de la scène n’était pas du tout présente pendant l’élaboration du projet, mais ça reste quelque chose que j’ai envie de faire. Je suis parti du principe que quoiqu’il arrive, que les collaborateurs participent ou pas, je ferais une tournée pour défendre Electronica.
Il y a beaucoup de morceaux instrumentaux où je n’ai pas besoin de la présence physique des artistes, et dans la partie vocale ce sont souvent des samples. Sinon les chanteurs m’ont dit « Moi je serais là à telle date si tu joue à tel endroit. Ce qui m’excite assez c’est que les concerts ne seront jamais les mêmes.

Je vous parlais du live parce que vous avez fait partie des pionners du concert mis en scène quasiment comme un opéra, avec beaucoup d’effets visuels, je pense notamment à la mythique harpe-laser, bref un véritable spectacle qui fait qu’on est autant curieux d’entendre la musique que de voir le show.

C’est vrai que l’aspect visuel a toujours été important pour moi, et dans la musique électronique particulièrement parce que de rester 2h derrière son laptop ou son synthé c’est pas la chose la plus sexy du monde. J’ai toujours été intrigué par l’opéra comme une forme, en me demandant pourquoi les musiciens classiques ont eu à un moment le besoin de raconter des histoires en s’entourant de scénographes, de charpentiers, de peintres, de décorateurs pour essayer d’élargir les frontières du concert. J’ai eu envie de faire ça très tôt par rapport à la musique électronique en travaillant avec les techniques de mon époque qui sont la vidéo, la lumière, les lasers et c’était assez prémonitoire, tout le monde s’y est mis. Mes premiers concerts ont marqué les gens, notamment ceux de la scène électronique, il n’y a qu’à voir les concerts d’EDM aujourd’hui.

Je me suis rendu compte très vite qu’on pouvait écouter la musique n’importe où, dans sa voiture, avec son baladeur mp3, chez soi. Nos grands-parents allaient écouter les artistes en concert parce qu’ils n’avaient pas le choix, et nous on dit qu’on va « voir » untel ou untel, il y a une attente visuelle.

Vos professeurs, que cela soit Henry, Stockhausen ou Schaeffer, étaient d’immenses figures de la musique dite « savante », assez inaccessible aux oreilles non-aguerries, une musique d’initiés. Vous avez réussi, avec brio et en avance sur votre temps, à amener cette musique dans la culture populaire. Quelle serait votre définition de la Pop Culture en relation avec votre musique ?

Je pense que la musique électro-acoustique était faite dans des laboratoires au moment où j’ai commencé, par une poignée d’allumés, et était complètement en marge du système. C’était une approche très expérimentale, et moi j’ai eu envie très vite de créer des ponts, je jouais aussi dans des groupes de rock, je voulais lier l’expérimental et la pop en étant toujours persuadé que ce qui était le plus important dans la musique c’était la mélodie. Et quand je disais ça aux gens de la musique savante, c’était pas très bien reçu, Xenakis disait sans plaisanter que tout ce qui touchait à l’émotion en musique était suspect.

Il y avait un vrai mouvement réactionnaire, la musique intellectualisée sur papier poussée à son paroxysme, on voulait casser ce qui se faisait avant et j’ai eu la chance de participer au début d’un mouvement et d’avoir le privilège et le vertige d’ouvrir la porte sur des territoires vierges. Un jeune DJ qui démarre aujourd’hui a déjà 40 ans d’héritage derrière lui, il naît artistiquement vieux. Le rapport avec la Pop Culture a toujours été prioritaire pour moi, non pas en terme commercial, mais simplement parce que j’ai réalisé que ce qu’on faisait en laboratoire avec une certaine arrogance intellectuelle et scientifique était également fait en autodidacte par des gens qu’on pouvait croiser dans la rue. Le succès d’Oxygène est lié à ça.

Je sais que vous êtes un grand passionné de machines, et vous parliez également de mélodie, quel est votre instrument préféré ?

C’est difficile parce que ça dépend des moments, j’ai des instruments préférés qui ne sont pas des instruments qui ne font pas des mélodies mais qui font des sons, j’ai un attachement particulier pour ce synthé, le tout premier que j’ai eu quand j’étais étudiant. C’est très symbolique, j’ai vendu ma guitare et mon ampli pour aller à Londres prendre ce sythé, qui est présent sur tous mes albums et responsable de 30 ou 40% d’Oxygène.
La lutherie électronique s’est ensuite beaucoup développée ! Mais ce VCS-3 de chez EMS est mon petit préféré.

Le légendaire EMS VCS-3

Le légendaire EMS VCS-3

Un son par décennie ?

60’s = Revolver – The Beatles

70’s = Wish You Were Here – Pink Floyd

80’s = Black Celebration – Depeche Mode

90’s = Play – Moby et Blue Lines – Massive Attack

00’s = Talkie Walkie – Air

10 ‘s = Hurry Up, We’re Dreaming -M83

Et d’après vous quel sera le son du futur ?

On va faire un son migrant. Le mot est dans l’air du temps, on va vers un métissage non pas que de cultures mais aussi de genres musicaux. Il y a une interpénétration des styles, les tribus se mélangent, c’est la mort des ghettos. Le mariage du passé et du futur n’a jamais été aussi cohérent pour définir ce qu’on va consommer sur le plan du son, des images.

par Joz2p