“Ne rien faire c’est politique” : avec ses affiches satiriques, Katie Benn s’engage en peinture
Arts - 09.9.2020
A quelques mois des élections américaines, cette peintre et muraliste n’a pas la langue dans sa poche et s’insurge contre Trump à la force de son pinceau. Ses affiches très colorées détournent avec facétie les codes publicitaires vintage.
A part quelques cours d’art au lycée, rien ne prédestinait Katie à suivre la voix d’illustratrice, de peintre, et l’artiste en vogue qu’elle est devenue sur Instagram. Originaire de San Francisco, elle apprend à dessiner sur le tas, sous l’oeil avisé de son paternel graphiste, et bercée par les vocalises de la mère infirmière.
L’art publicitaire comme modèle
Dans la peinture de Katie Benn, on est toute suite happé par une grande piscine à boules de couleurs primaires, joyeuses et en mouvement. Autre particularité : les formes vivent en parfaite cohabitation avec des punchlines faussement commerciales ou des emballages de marques imaginaires… qu’elle doit vraisemblablement à la collection de livres sur l’art publicitaire de son paternel.
“J’ai grandi entourée par les livres de mon père sur la publicité vintage, mais aussi par les antiquités, les films et la musique old school que mes parents affectionnaient tout particulièrement.
Ça m’a nourri et j’adore tout ça. J’aime la combinaison de texte et d’image, j’ai toujours dessiné comme ça.”
Collectionneuse rétro
Devenue adulte, Katie a amassé à son tour pas mal d’objets rétro, de meubles et de vêtements vintage, et de films classiques. Un univers inspirant et “réconfortant” à ses yeux :
“Je collectionne des publicités vintage, des boîtes de cuisine, des jouets pour enfants de l’ère soviétique, pleins de trucs bizarre que je trouve inspirant. J’ai aussi collectionné des livres de poche et des romans des années 50. J’adore leurs couvertures, uniques et fascinantes à mes yeux.”
De cette passion pour la publicité d’un autre siècle et de ses biens de consommation, naissent ses oeuvres humoristiques détournant cet art de séduire le consommateur : des fausses cannettes de bière, pochettes de disques incongrues, des couvertures de livres fantasmés et affiches de cinéma poilantes. Se faisant, elle s’est même attirée des clients de l’industrie agroalimentaire pour qui elle adore travailler.
Ne soyez pas non plus étonné si du cyrillique et du japonais s’invitent sur ses facétieuses publicités… Katie aime détourner les réclames du monde entier avec des dessins absurdes et savoureux, le plus souvent s’attaquant à des produits qui parlent à tout le monde (comme une fausse boîte de céréales ou des snacks).
“J’adore le design japonais et l’art de leur emballage. Leur culture m’inspire beaucoup. Je devais d’ailleurs passer mon été à Kyoto mais tout a été repoussé à cause de la pandémie”
San Francisco mon amour
En attendant la réouverture des frontières, pour nourrir son travail et rester inspirée, Katie flâne dans sa ville bien aimée de San Francisco, “une ville qui a perdu nombre de ses artistes les 10 dernières années à cause de la crise du logement”.
Et quand elle ne bosse pas dans son atelier, on peut la croiser au restaurant avec ses amis, à la terrasse d’un café pour dessiner en solo, en concerts (sic) ou dans son ciné préféré de la ville, un établissement rétro : le Castro. Pour nos lecteurs ‘gobe-trotteurs’, elle nous confie même un concentré de ses restos préférés : “A San Francisco, Breadbelly est un must pour le café et les viennoiseries, Kaiju Earts Ramen & Izakaya propose des soupes et des tempuras de potiron incroyables, et je suis aussi fan de la cuisine indienne Maya : Poc Chuc dans le quartier Mission District.”
Des posters politiques contre Trump et les violences policières
Plus engagée que jamais, Katie s’est aussi illustrée pour ses faux posters s’insurgeant contre le président des Etats-Unis, Donald Trump, avec des punchlines incisives et sans détour : “ne rien faire c’est politique” ou “abolissons la police”. Très directes, les affiches de Katie n’ont que faire de leurs détracteurs, la majorité des fans de l’artiste partageant son opinion et la soutenant dans sa démarche :
“Je crois que c’est important d’être conscient de ce qui se passe en ce moment, d’écouter, d’apprendre, d’accepter les expériences, challenges, les vies des autres, de se projeter là dedans, (…) et de voter avec tout ça en tête. Si on continue d’apprendre, on pourra continuer changer et en mieux j’espère.”
“Mon premier gros client c’était Facebook”
Si à ses débuts, Katie a dû enchaîner des petits boulots (barista, serveuse, SAV), pour pouvoir continuer à peaufiner son travail et bosser sur ses projets artistiques le soir venu, son acharnement a fini par payer : “Jongler entre la peinture et un boulot à plein temps, ça m’allait pendant un moment mais bosser 9h à 17H, 5 jours par semaine, ça commençait à bien faire et ça ne permettait pas de me mettre sur tous les projets que je voulais”. Grâce à son réseau grandissant de clients de la Silicon Valley, elle reçoit un soutien formateur et indispensable pour pérenniser financièrement son projet artistique, (et quitter enfin son job alimentaire) comme elle nous raconte :
“Mon premier gros client c’était Facebook, qui m’a embauché pour une peinture murale dans leurs nouveaux bureaux dans le centre ville de San Francisco, c’était ma toute première fresque en plus ! Et cette peinture murale en a amorcé plein d’autres dans la baie de SF, notamment pour WeWork, The Chan Zuckerburg Initiative, Slack.. J’ai aussi eu le plaisir d’illustrer pendant un an, une chronique quotidienne sur le vin dans le magazine Bon Appetit.”
Peindre en géant !
Les fresques sont depuis devenues une de ses grandes passions : “j’aimerais pouvoir peindre sur les murs tout le temps!”. Un bouleversement dans son quotidien d’artiste freelance : finito les journées passées devant son écran ou derrière son chevalet en solo. Plus largement, la peinture murale élargit son art au sens propre comme au sens figuré :
“Cette façon de peindre à grande échelle, c’est devenu une manière de m’exprimer encore plus forte pour moi, et j’aime l’obligation d’utiliser tout mon corps pour y parvenir.”
Le côté obscur de la force
Enfin si vous flânez sur le pétillant profil instagram de Katie, ne vous étonnez pas de découvrir une jeune femme discrète, camouflée sous son bonnet (rapport au brouillard légendaire de San Francisco) et sous un uniforme de travail de couleur monochrome noir. Mais où est donc passé la grappe de couleurs et de vie de ses tableaux ? Détrompez vous, l’habit ne fait pas le moine comme le dit l’adage… Comme elle nous le confie, cet uniforme confortable ne révèle pas son état d’esprit, mais lui permet plutôt de dévoiler une autre facette de sa personnalité :
“J’ai toujours eu l’impression d’être deux personnes aux antipodes mais coincées dans un même corps. Une part de moi est sombre, lunatique, broyant du noir et prenant la vie de manière très sérieuse, et une autre cherche la lumière, l’espoir et une blague dans tout ce qui m’entoure.”
En dessinant, Katie apaise ainsi son côté sombre et laisse place à moins de sérieux, en sortir, jouer et “pouvoir rire de tout ça”. D’ailleurs quand on lui demande de conclure sur ses techniques graphiques, Katie rappelle la substance première qui anime son pinceau :
“La technique la plus importante pour moi c’est mon état d’esprit. Je garde bien tête l’idée que si ça ne me fait pas du bien, si ce n’est pas cathartique ou joyeux, je m’y prends mal. Si je suis frustrée ou je n’aime pas travailler sur un sujet, c’est toujours parce que j’essaye de contrôler trop de trucs à la fois, et j’ai besoin de me détendre un peu et de me divertir.”
Alors si vous aussi, vous avez envie de vous divertir et lâcher du leste en cette vive rentrée, on vous donne RDV sur le compte instagram de Katie Benn.
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Abigaïl Aïnouz.