Rone nous raconte la genèse de Room With a View : “c’est un spectacle autour de l’éveil des consciences.”
Musique - 04.3.2020
Du 5 au 14 mars, Rone investit le Théâtre du Châtelet aux côtés du collectif de danseurs (La)Horde pour présenter Room With a View : un album mais aussi un spectacle de danse centré sur l’urgence écologique et humaine.
Après avoir reçu carte blanche de la part du Théâtre du Châtelet (à Paris), le compositeur de musique électronique Rone a convié le collectif (La)Horde pour créer Room With a View, un album (sortie prévue le 24 avril chez InFiné) et spectacle de danse lumineux résonnant comme un cri d’alarme face à l’urgence écologique et humaine. Alors qu’il préparait l’une des dernières répétitions générales, nous avons rencontré le producteur, visiblement très impatient de montrer le spectacle au public.
C’est dans les backstages du Théâtre du Châtelet que Rone (Erwan Castex de son vrai nom) nous reçoit. Cela nous permet d’entrevoir les décors du spectacle qui se tiendra du 5 au 14 mars : une carrière de pierre blanche, tout en dénivelé, dans laquelle les danseurs évoluent au son de la musique de Rone, lui-même invité à jouer sur scène entouré de toutes ses machines. Une scénographie à la fois monumentale, originale et très épurée. Un véritable terrain de jeu dans lequel on imagine avec plaisir les danseurs évoluer sur les différents niveaux.
“Ce spectacle est l’une des expériences les plus riches, denses et émouvantes que j’ai vécu et j’ai très envie de montrer ce que l’on a créé avec (La)Horde.”
Room With a View est né d’un désir du Théâtre du Châtelet d’ouvrir sa scène à de nouveaux artistes et de nouveaux publics et c’est à Rone qu’ils ont confié les clefs de leur scène pour une résidence de deux semaines, “un cadeau dingue pour un artiste”, nous confie Rone, visiblement très reconnaissant.
Le projet est d’autant plus attirant que le théâtre à mis des moyens considérables à sa disposition, ceux d’une scène à rayonnement international. De quoi faire un spectacle inédit et mémorable, en collaboration avec l’un des collectifs de danse les plus en vue de l’hexagone : (La)Horde, composé de Jonathan Debrouwer, Arthur Harel et Marine Brutti. Un “vieux fantasme” pour le compositeur, qui n’avait jamais collaboré avec des danseurs.
“Je me voyais mal être seul sur ce plateau. J’avais besoin de le partager avec des gens et d’occuper l’espace, je voulais que ça vive”.
Autre chose inédite : la portée politique de ce spectacle.
Depuis 2011, (La)Horde mêle danse contemporaine, arts visuels et se démarquent par la forte dimension politique qu’ils injectent dans leurs spectacles. Dans leur précédente création, Marry Me In Bassiani (2019), le collectif avait notamment exploré les différentes formes de contestation par la danse et s’était fait l’écho du mouvement de protestation qui était né en Géorgie après plusieurs raids policiers dans le Bassiani, le club techno emblématique de Tbilissi et véritable porte-étendard de la communauté LGBT du pays. Coup de chance, le collectif a pris en septembre 2019 la tête du ballet National de Marseille, ce qui leur a permis de disposer de 18 danseurs et d’un lieu à Marseille pour pouvoir préparer sereinement le spectacle.
“Je voulais que ce spectacle ait du fond, que ce ne soit pas juste un truc qui fasse rêver. D’habitude je fais des live instrumentaux où il n’y a aucun message et je trouve ça fort. Mais là, j’avais envie de véhiculer un message.”
L’écologie, point de départ du spectacle
Le message principal du spectacle est l’urgence écologique et sociale, un sujet qui était cher à Rone mais aussi à (La)Horde.
“Je trouve que l’on ne peut pas passer à côté de ce sujet-là. C’est à la fois très envahissant, anxiogène et paradoxalement on encaisse et on continue à vivre comme si tout allait bien. J’avais envie de parler de ça.”
Dans le titre Nouveau Monde, on peut d’ailleurs entendre un débat entre l’écrivain de Science-Fiction Alain Damasio, dont Rone est très proche et le scientifique Aurélien Barrau, tous deux très sensibles à la cause environnementale. Avec ce procédé, Rone ancre sa musique dans le présent et multiplie les vecteurs de son message politique.
L’écologie, c’est “un sujet casse-gueule” comme le qualifie Rone, qui présente bon nombre de pièges et d’écueils : “Tu peux facilement tomber dans la niaiserie ou bien passer pour un donneur de leçons moralisateur. C’est hyper délicat de trouver le bon angle et ne pas être manichéen. […] Je me sens aussi responsable de ce qui se passe” nous confesse-t-il. Si le sujet est très sérieux, la musique, comme le spectacle est à la fois solaire et optimiste.
“L’objectif était de chercher des perspectives optimistes. Je n’avais pas envie que ce soit un spectacle plombant malgré ce thème-là. On voulait voir comment est-ce qu’on pouvait tirer les choses vers le haut. C’est un spectacle autour de l’éveil des consciences. On a voulu faire un spectacle solaire, qui donne la niaque.”
La danse, vecteur inattendu d’un message politique fort
Mais comment faire passer un message politique aussi fort avec de la musique électronique, par définition muette ? Si la musique électronique a historiquement été le soutien de nombreuses causes politiques comme l’antiracisme, les droits des minorités et ceux de la communauté LGBT, c’est par la danse, par le clubbing et par les rave parties que s’est réalisée la dimension politique de la musique électronique. Et Rone l’a très bien compris. Faire appel à des danseurs et a fortiori à (La)Horde, qui avait déjà exploré ces thématiques, était donc le chainon manquant pour véhiculer des messages politiques à travers sa musique.
“Pour moi le challenge, c’était d’évoquer ces problématiques sans dialogue. S’entourer de danseurs et de (La)Horde en particulier, ça me permet de faire ça sans prononcer un seul mot. À travers les mouvements, elle arrive à faire passer des messages très forts et très clairs. Les danseurs parlent de manière universelle car le langage du corps est universel et il peut être parfois plus efficace que les discours. Combiné à de la bonne musique, ça peut avoir un impact assez fort sur les consciences.”
L’écriture collaborative de l’album Room With a View
Room With a View c’est le nom d’un spectacle, mais c’est aussi le nom du prochain album de Rone, à paraître le 24 avril prochain. Pour composer sa musique, Rone a travaillé en étroite collaboration avec (La)Horde.
“J’ai dit à (La)Horde que je ne voulais pas faire un concert de Rone avec des danseurs de (La)Horde. À l’inverse, je ne voulais pas que ce soit un spectacle de (La)Horde avec de la musique faite par Rone. Il fallait qu’il y ait une collaboration, une rencontre des deux mondes“.
C’est donc entre Montreuil où il a installé son studio et Marseille que Rone compose ses morceaux. “Je leur envoyais mes maquettes au fur et au mesure ils bossaient dessus”.
Le travail avec un corps de ballet a donc largement influencé la composition de l’album. Pour s’inspirer, Rone conserve les photos et vidéos de chacun des danseurs dans son studio, une manière de s’imprégner du corps des danseurs et de la manière dont chacun occupe l’espace. “
“Quand je suis allé à Marseille voir ce que ça donnait, j’ai vu qu’il y avait des choses qui marchaient super bien, d’autres beaucoup moins bien et mes morceaux ont évolué, pris d’autres formes […] Parfois je faisais des choses trop courtes, qui les empêchaient de développer leurs mouvements. Ça m’a poussé à étirer les morceaux de l’album, à les épurer, parce que j’ai réalisé que curieusement, plus la musique était épurée, plus les danseurs avaient d’espace pour évoluer sur scène.”
“Avec cet album, j’avais envie de quelque chose de très organique”
Il en résulte un album beaucoup plus épuré que son précédent opus, Mirapolis, qui était une véritable “fête foraine sous acide” comme Rone aime à le qualifier. Le producteur a également tenu à ce que l’album soit organique et pas uniquement composé par des machines. Cela se ressent dans le nombre conséquent de voix, de chœurs et même de balbutiements d’enfants qu’il incorpore dans l’album.
Dans le titre Babel, on entend plusieurs personnes parler différentes langues. Sans doute une célébration de l’universalité de la musique mais aussi de la diversité du ballet, composé d’une dizaine de nationalités différentes. Ces danseurs, il les a également fait chanter en chœur dans le titre Human. Dans Esperanza, ce sont les pas des danseurs eux-mêmes qui rythment le morceau du début à la fin. Une manière de placer l’humain au centre de sa musique.
“J’avais envie que les danseurs soient partout. […] Je les ai enregistrés, j’ai pris des bruits de respiration, des bruits de pas… Le but était d’obtenir quelque chose de très organique”.
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Ce spectacle de danse, inédit dans son parcours artistique, apparaît comme l’aboutissement d’une carrière déjà bien remplie pour Rone, après dix années à sillonner festivals et salles de spectacles pour délivrer des performances live de sa musique. Reconnu par ses pairs comme l’une des figures majeures de l’électro française, Rone a su s’imposer durablement dans le paysage musical français depuis la sortie de son premier album Spanish Breakfast en 2009.
Room With a View se tiendra du 5 au 14 mars au Théâtre du Châtelet (Paris). Lien vers la billetterie.
L’album Room With a View sortira le 24 avril prochain sur le label InFiné. Disponible en précommande et en édition limité vinyle en ligne.
Clément Perruche