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[POP TALK] Pourquoi il faut sortir de la catégorisation féminin/masculin

“Le genre est pensé comme un rapport social marqué par la domination des hommes sur les femmes”

 A l’heure où la notion de genre fait débat, nous avons interrogé une experte pour comprendre les enjeux qui reposent sur cette notion.

 

Bonjour Sandra, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Maîtresse de conférences en Sciences du Langage à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne. J’ai également écrit et/ou participé à l’élaboration de nombreux ouvrages sur la question du genre comme Pratiques et Langages du genre et du sexe : déconstruire l’idéologie sexiste du binarisme, ou encore Le rapport Genre et Langage en français – Contribution à la reproduction sociale des stéréotypes de masculinité et de féminité.

“Sommes-nous dominant-e-s ? Sommes-nous dominé-e-s ? Il faut avoir la force de l’accepter et d’en comprendre les conséquences. Et avoir la force d’agir”.

Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressée à la question du genre ?

Par une prise de conscience de notre place dans le système de domination. Je me suis ensuite demandé comment susciter l’émergence de la prise en compte d’un système de différenciation inégalitaire et hiérarchisé des normes de féminité et de masculinité : sommes-nous dominant-e-s ? Sommes-nous dominé-e-s ? Il faut avoir la force de l’accepter et d’en comprendre les conséquences. Et avoir la force d’agir. Parler des effets de genre, c’est parler des violences et ainsi les combattre. Les violences produites par le système de genre : ce sont des violences sociales et institutionnelles. Cela produit des violences à tous les niveaux (physiques, mentales, psychologiques) et dans tous les cercles (institutionnels, professionnels, familiaux, amicaux). Il y a beaucoup de violence exercée sur les personnes en-dehors du système dominant masculin, hétérosexuel et cisgenre [le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe de naissance, ndlr], les violences sur les femmes cisgenres et transgenres notamment.
La question de l’éducation à l’école est également très importante : dans quelle mesure les interventions des enseignant-e-s pourraient rétablir l’équité entre filles et garçons ? Quels gestes professionnels les enseignant-e-s peuvent-ils adopter pour la prise en compte de l’inscription des stéréotypes et des formes de stigmatisation et de différenciation qu’ils génèrent à l’école et dans les sociétés ?

“Le genre est donc une construction sociale”

Qu’est-ce que le genre ?

-Le gender fait son apparition dans les années 1970, en lien avec les mouvements féministes qui pensent le genre comme une arme de libération, pour les femmes mais aussi pour l’égalité entre les sexes.

D’abord défini comme sexe social, en opposition avec le sexe biologique, le genre est finalement pensé comme un rapport social marqué par la domination des hommes sur les femmes. Il représente et définit notre identité comme elle est attendue voire exigée par notre environnement social.

-Le sexe, lui, est rattaché au biologique, au naturel. Il s’agit d’une vision essentialiste de la différence des sexes comme l’attribution aux femmes et aux hommes de caractéristiques immuables [qui ne changent pas, ndlr] en fonction de leur sexe biologique : postures, rôles, vêtements… Ce principe de sexe biologique est par ailleurs remis en cause, voir Vidal, Typologie des 5 sexes de Fausto-Sterling (2012). Le genre est donc une construction sociale qui fait que l’on attribue des comportements, des caractéristiques physiques, psychologiques et sociales, et même une identité sexuée, à des hommes ou à des femmes que l’on oppose en fonction de leur sexe.

“Questionner et envisager une réflexion concernant les rôles et représentations masculins et féminins est indispensable”.

-Judith Butler, philosophe et spécialiste de la question du genre, s’en inspire afin de comprendre les identités sexuées. Elle considère, en lien avec la célèbre citation de Simone de Beauvoir «on ne naît pas femme, on le devient » que les individus performent leur identité sexuée. Performer le genre, c’est adopter les codes sociaux prescrits de la masculinité et de la féminité. Ces codes (discours, attitudes, comportements, etc.), sont joués et rejoués jusqu’à devenir des attributs naturels des sexes.
Le problème que pose le genre au-delà d’une volonté de conformité entre sexe biologique et rôles genrés assignés, est l’opposition et la hiérarchisation qu’il suppose entre les femmes et les hommes, et se traduit plus précisément par la domination du masculin sur le féminin. En effet, c’est ce que Françoise Héritier appelle la valence différentielle entre les sexes, qui conçoit l’opposition entre le féminin et le masculin à travers la dévalorisation de tout ce qui attrait au féminin. Questionner et envisager une réflexion concernant les rôles et représentations masculins et féminins est indispensable.

Qu’est-ce que l’idéologie sexiste du binarisme ?

Le titre de mon livre ! L’idéologie sexiste du binarisme, c’est donc ce principe de partition entre féminin et masculin pour se focaliser uniquement sur les rôles et catégorisations justifiés par cette binarité. Cette binarité impose des rapports de pouvoir. Et, questionner ce principe de partition de l’humanité appelle à s’interroger sur le genre pour signifier les rapports de pouvoir entre hommes et femme, entreprendre d’étudier la question de la distribution du genre sous l’angle de la hiérarchisation et la bicatégorisation (réfléchir aux deux catégories arbitraires : femmes et hommes) en mettant en avant la dimension structurelle des inégalités entre hommes et femmes. Il faut envisager les genres au pluriel pour s’extraire du système genré « classique ».

La plaque de Pioneer est une plaque métallique embarquée à bord des deux sondes spatiales Pioneer 10 et Pioneer 11. Sur cette plaque, un message pictural de l’humanité est gravé à destination d’éventuels êtres extraterrestres : un homme et une femme sont représentés nus, l’homme est en avant et en action.

“Il faut sortir de la catégorisation féminin / masculin, aller vers l’entre-deux, prendre en considération les personnes trans et intersexes”.

Comment dépasser le modèle de binarité des sexes pour parvenir à un modèle de pratiques au-delà du genre?

Il faut sortir de la catégorisation féminin / masculin, aller vers l’entre-deux, prendre en considération les personnes trans et intersexes. Comme dit plus tôt, les sexes et le-s genre-s sont traversés par le social, tout comme l’est la sexualité (sexualité hétéronormative). Les réflexions ci-dessus peuvent inspirer des recherches qui mettent en avant les rapports de domination / hiérarchisation / discrimination participant au processus de construction identitaire genrée chez les êtres humains. 

Comment se ressent-il dans notre langage ?

De ce fait, le langage genré contribue à l’existence d’une dissymétrie entre les hommes et les femmes, leur représentation dans la langue et dans la société n’est donc pas égale et témoigne d’un rapport de domination qui s’exerce et prend aussi forme à travers le langage.

La langue française est un marqueur très fort de notre identité culturelle et est en mouvement constant. Elle s’adapte et témoigne de notre réalité sociale. Cette distinction genrée entraine une opposition et hiérarchisation entre les sexes ainsi qu’une dévalorisation du sexe féminin. Le langage façonne une société en agissant sur les représentations sociales.
Mais que fait l’école pour ne pas reproduire les modèles dominants dans ce sens ? Et que doit-elle faire pour participer à la construction d’une société plus paritaire et plus juste ? Nos interventions sur le terrain portent sur l’impact de l’école sur l’émergence du genre et la construction discursive d’une identité chez les enfants. On transmet un ordre sexué binaire : masculin/féminin, mais également un ordre sexué hiérarchisant : masculin > féminin.

“Le langage genré participe aux représentations que l’on se fait des sexes et des genres. Il influence le sexisme présent dans une société.”

 Pourquoi est-ce si important de le déceler ?

Le langage genré participe aux représentations que l’on se fait des sexes et des genres. Il influence le sexisme présent dans une société. Il impacte les rapports entre individus et nos représentations des femmes et des hommes. Il perpétue les discriminations. Les pratiques et les discours agissent comme autant de véhicules cristallisant les rapports de pouvoir.

Les débats actuels concernant l’écriture inclusive montrent à quel point il est difficile de modifier le rapport de force et de domination qui existe entre les sexes. De ce fait, le langage serait un moyen de maintenir une société patriarcale. Voir le Manifeste des 314 co-signé par moi aussi.

Malgré des avancées en matière d’égalité des sexes, qui résultent surtout d’une conquête par des femmes de bastions masculins (le droit d’étudier, le droit de travailler, le droit de voter et faire de la politique, le droit de disposer de son corps) l’heure est toujours, dans nos sociétés, à la phallocratie, à l’androcentrisme, à la prééminence des valeurs dites masculines. Les idéologies sexistes restent aujourd’hui vigoureuses dans des pratiques sociales et discursives diverses.

Le rôle de la langue dans la perduration de la pensée sexiste et du système patriarcal doit être mis en question, notamment du point de vue de sa capacité à verrouiller les possibilités de penser la question du genre autrement qu’en termes d’opposition, de binarisme, de normativité ou d’altérité Bien nommer c’est bien représenter les personnes.

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