“La Mouche sur le Cuir”, le premier “conceptival” arrive à Lyon
Musique - 22.2.2017
“La mouche sur le cuir” le premier “conceptival” arrive en France. Quésaco ? On a posé quelques questions aux organisateurs afin qu’ils nous éclairent sur ce projet
Du 29 avril au 1 mai, le “conceptival” La Mouche sur le Cuir atterrira à Lyon pour sa première édition. Plus d’un centaine d’artiste se relayeront sur les 5 scènes aménagées sur plus de 5000m2. L’éclectisme musical assumé, vous permettra de gouter à tout ; de la House de Folamour issu du label parisien D.KO, à la disco de Nick V, en passant par la techno de Lakker, Maxime Dangles ou Traumer pour ne citer qu’eux.
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Alors tout d’abord question facile : Pourquoi « La Mouche Sur Le Cuir » ?
« Comme la mouche sur le cuir » est une expression populaire au Maroc. Elle est tirée d’une chanson de Nass El Guiwann, considérée comme tellement contestataire par le régime d’Hassan II que ses interprètes ont été emprisonnés. Elle décrit une relation entre un pouvoir tout-puissant, un mastodonte au cuir épais, et un peuple exploité qui, comme la mouche, peut se faire balayer d’un revers de main. Mais le message véritablement c’est « Allez-y les gens, faites votre truc, persévérez, parce que même si la mouche semble fragile, elle revient à chaque fois. » Pour nous c’est une idée qui résume ce qu’on fait.
– Quel est le but de ce festival ?
On essaye de faire des soirées engagées, que ce soit par la mise en avant de nouvelles formes d’expression pour ouvrir l’esprit du public, ou par la confrontation avec les pouvoirs publics pour leur faire accepter des événements culturels qui pour eux ne sont pas dignes d’être classés « culture ». Mais on se dit souvent « à quoi bon ? », il y a une certaine vanité là-dedans, faire des soirées et après, qu’est-ce que ça va changer ? Mais comme la mouche sur le cuir, ce n’est pas grave on recommence, on continue même si on rencontre toujours les mêmes réticences devant nous.
En plus de cela les mots Mouche et Cuir ont tout un imaginaire derrière qui nous plaisait bien. La Mouche des dames qui se faisaient belles dans les soirées mondaines, et qui plus souvent qu’on le pense n’étaient parfois pas des dames mais simplement très bien maquillées.. Le Cuir pour son côté sombre, le Kit Kat Klub (Berlin), le punk et le kink.
– Pouvez-vous présenter brièvement les (pères) fondateurs de la Mouche, leur parcours ?
Samy a fondé le Château Perché festival avec Kati, qu’il a rencontré à Berlin lorsqu’il travaillait pour un label de techno (Stay free kollektiv). Ils ont porté ce projet pour essayer d’importer la façon de faire la fête berlinoise chez nous, en y ajoutant bien sur une petite touche française. Pour faire advenir ce rêve un peu fou, ils ont appelé tous leurs amis. Olivier a lancé avec eux le Château Perché, et au fur et à mesure s’est formé le collectif Perchépolis, avec Tiphaine et Etienne qui ont rejoint et bien d’autres qui collaborent avec nous sur les différents projets.
– Perchépolis ?
Perchépolis oui, c’est un groupe d’amis, on se connaît de longue date. On s’est retrouvé sur un point commun, c’est que la norme nous file des boutons. Le professionnel est venu s’ajouter au délire parce que on aimait ça et que ça marchait du tonnerre. Mais heureusement on avait tous des compétences complémentaires grâce à des formations variées. Samy a fait une école de commerce et sait compter ça va, Kati est une artiste dans l’âme, Olivier a une formation en management de l’événementiel, Tiphaine a une bonne connaissance du milieu de la culture, Etienne a fait un IEP donc peut comprendre le langage des préfets, etc.. A Perchépolis on a toujours plein d’idées. On voulait tenter de proposer quelque chose de différent du Château Perché. On a un bon réseau à Lyon et on sait que la ville a besoin de fraîcheur parce que beaucoup tournent en rond toujours dans les mêmes soirées. De là, est parti l’idée de La Mouche. Quand on a su qu’on pouvait avoir la Sucrière, on n’a pas hésité et on a foncé parce que c’est dur de trouver un lieu assez grand en centre-ville.
– Comme la notion de « conceptival » est un peu flou pour nous (et peut être pour les lecteurs) pourriez-vous nous expliquer, la volonté de ce festival, son but ?
L’idée c’était de proposer un événement expérimental, un genre de mini-CTM mais en poussant l’interdisciplinarité. On voulait garder les bons côtés de ce qu’on aimait à Berlin mais en éliminant les mauvais côtés de la solitude et de la fermeture du milieu techno. La Mouche sur le Cuir c’est avant tout un festival participatif et interactif. Par une scénographie particulière et par un contenu particulier, on va essayer de changer le rapport au corps et le mode d’interaction standard des soirées électro. On veut que ça danse tous ensemble, que ça se regarde les uns-les-autres plutôt que de tous regarder le DJ comme si c’était le curé de la paroisse, que ça rigole et que ça s’énerve devant des shows délurés et choquants, que ça débatte autour d’œuvres qui posent des questions.
– Comment comptez-vous faire ça ?
On a fait un savant mélange de DJ sets accompagnés de shows (drag show, défilé de mode, danseuses aériennes…), de concerts lives dansants et d’ateliers participatifs (théâtre participatif, jeux et installations numériques) pour que nos mouches en prennent plein la vue, plein les oreilles et repartent la tête pleine d’idées nouvelles.
Pour l’instant ça paraît peut-être flou comme ça, mais il ne faut pas hésiter à partir à l’aventure, notre but c’est justement de surprendre en proposant de l’inconnu, des shows d’aquagymologie, un atelier fluides corporelles, un transformiste démoniaque… Nous non plus on ne savait pas ce que c’était, un jour on est arrivés en soirée on a vu ça on s’est dit « c’est du génie ! » et aujourd’hui on veut le partager autour de nous.
– Quelle genre de soirées ?
De manière générale des shows incongrus, de soirées de hangars où un drag queen à ailes de démon monte sur scène et en envoie plein la vue. Type, celles du collectif Agora Moove à Berlin, qui est très riche, engagé et libre dans la programmation, et les enchainements d’oeuvres au sein de la soirée.
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– Si je viens en tant que festivalier, comment repartirais-je après avoir passé 48h entre vos différentes activités ?
Les gens repartiront la bouche ouverte, en mode « qu’est-ce qu’il vient de se passer là ? ». Ils ne verront pas le temps passer et se prendront des claques en continu. Pas seulement grâce à la musique, mais avec des concepts un peu fous, des happenings, voguing sur la piste de danse, minute tout-nu, floor sans chaussure, etc. L’idée c’est que chacun peut se créer sa propre expérience. Chacun pourra se balader librement dans la Sucrière, que l’on aura subdivisée pour créer un parcours, et alterner entre musique, ateliers et chill. Tu te chauffes en écoutant du gospel, tu enchaines avec un concert funky où ça get down sévère, tu prends un verre, tu te poses dans un canap’ et tu regardes un documentaire chelou, tu prends un burger végé au food truck, tu participes à un atelier, tu retournes écouter de la techno christique et voilà il est 4h c’est l’heure d’aller en after. Et on espère que les afters seront des gros débriefs avec de la bonne discussion sur ce que les gens auront vu et en quoi ils veulent maintenant en voir plus.
– 5000m2, plus de 130 artistes… ça demande du boulot ! Combien de temps faut-il pour organiser un tel festival ?
On bosse sur la Mouche depuis Octobre. Ce n’est pas très long en fait. La plupart des festivals se planifient 1 an à l’avance. Mais nous on travaille plutôt comme ça, on fait les choses vite en mettant des membres de l’équipe à plein temps dessus. Mais le dernier Château Perché, qui faisait la même taille que La Mouche voire plus gros, on l’a organisé en 4 mois. Donc ça ne nous fait pas peur.
– Vos 3 festivals préférés, pourquoi ?
Numéro 1 : Le Fusion. Aucun rival. Un des plus gros festivals d’Europe, et pourtant ils ont réussi à garder un esprit underground et cosy comme personne d’autre. Tu sens le « selbstgemacht » (self-made) comme ils disent là-bas, c’est à base de petites cabines en bois et de chill de pneus, ça fait pas du tout standardisé, et pourtant la programmation est absolument grandiose et la décoration te plonge dans un univers parallèle magnifique.
Numéro 2 : le CTM à Berlin. Parce que c’est le seul en Europe qui propose ce qu’il propose. Les nouveaux genres de musiques électroniques naissent au CTM, l’art multimédia et numérique y occupe une place prépondérante, et en même temps ils arrivent à inclure des styles tellement différents au sein de leur programmation c’est du génie.
Numéro 3 : Le Foreztival parce que c’est à côté de chez nous (on est de Clermont à la base) et c’est notre première expérience de festival quand on était ados. On s’est dépucelé du festival au Foreztival. Ils nous ont beaucoup influencé dans l’ambiance et la relation avec les bénévoles. Il y a un esprit là-bas, c’est la famille, on se sent bien tranquille dans les monts du Forez.
– Si on considère que « le burning man c’était mieux avant » à votre avis quel est / où sera le futur Burning Man ?
Si tu lis le programme des ateliers du Burning Man, tu te rends compte que même s’ils sont moins bien qu’avant, ils ont encore une bonne marge de « mieux » que les autres. Mais pour moi cette valeur ajoutée ne vient pas de la programmation ou de l’organisation, ni même du lieu même s’il est incroyable. Elle vient des gens, des collectifs qui se mobilisent, des particuliers qui décident de joindre leur délire à celui du Burning Man, des artistes qui se motivent pour faire LA sculpture de leur vie pour le Burning Man ou de ramener leur caravane avec télescope géant sur le toit pour donner à tous la possibilité de regarder les étoiles. C’est juste une grande addition d’énergies individuelles ce festival. Et des mouvements comme ça on peut en créer partout, il suffit de se motiver.
– On s’appelle BETC POP, alors vous n’y couperez pas : quelle est votre définition de la « Pop Culture »
« Pop » en France c’est une histoire difficile. On est passé de « populaire », qui vient du peuple, à « populaire », qui est à la mode. Pour moi la pop culture c’est une culture fondamentalement subversive parce qu’elle vient du bas, elle impose les pratiques des couches populaires de la société face à la culture snob des élites. C’était ça le mouvement Beatles, des fils de la working class qui s’imposent par les masses aux aristocrates de Londres, et à l’époque ils étaient classés dans les charts « pop ». Le « pop art » d’Andy Warhol c’est aussi voir la beauté dans le commun du quotidien et pas seulement dans le passé grandiose de la culture classique. Pourtant aujourd’hui on te dit « ah ouai mais c’est de la pop », et c’est devenu presque dégradant dans certains milieux, ça désigne une musique avec des couches et des couches de production, qui a perdu son identité de genre pour se vendre au plus grand nombre. Mais ça ne devrait pas être comme ça, il y a toujours de la pop de qualité. Comme il y a toujours de l’art qui ne se conforme pas aux codes dominants et qui s’impose par le bas et qui pourrait revendiquer son appartenance à la Pop Culture.
PDM