Pour la sortie de Chroniques Terrestres, rencontre entre un Vandale et un Voyou
Musique - 19.2.2021
Quand le journaliste Jules Vandale rencontre le trompettiste songwriter Voyou, ça donne une opportunité de titre à ne pas laisser passer ! L’artiste lillois nous présente ici son dernier patchwork musical, racontant la vie quand elle se passe au ralenti : Chroniques Terrestres.
Il a existé un temps pas très lointain, mais très lointain en même temps, où les interviews se faisaient dans un café branché ou dans le salon de thé d’un hôtel. De nos jours, la norme est plutôt de conduire des entretiens en visioconférence, depuis le fauteuil de son salon. L’attractivité de l’exercice en a pris un coup sur la tête, mais heureusement, il existe parfois des rencontres qui sortent un poil de l’ordinaire.
Quand Voyou, nom de scène de Thibaud Vanhooland, arrive quelques minutes en retard sur Zoom, on s’attend surtout à lui poser des questions sur le premier volume de ses Chroniques Terrestres, petite incartade musicale composée pendant ces temps plus qu’incertains. Aussi libre dans sa manière de concevoir et composer la musique qu’au cours d’une interview, ce Voyou au grand coeur – pour qui le nom de scène évoque “quelqu’un qui fait des conneries, mais pas pour blesser les gens, juste pour se sentir vivant” – est souvent synonyme de bon moment pour un journaliste.
Comme un moteur diesel, les premiers instants sont là pour l’échauffement. On suit les questions dans l’ordre préalablement établi, on évoque son ressenti à l’annonce des confinements, de sa façon de mettre en boîte ce mini-album à la pochette chatoyante réalisée par LilaPoppins – “parce que je voulais que les gens aient un bel objet en plus d’un beau disque”, puis on finit très vite par dévier vers des sujets un peu imprévus mais tout aussi intéressants.
Entre débats sur l’état de l’industrie musicale à l’heure du streaming, de Tiktok et de cette culture de l’immédiat – “qui prend au piège des artistes dès leur premier succès pour les exploiter pendant quelques mois avant de les remplacer, alors qu’ils avaient sans doute encore beaucoup de choses à dire” – ou sur l’underground – “génialement rempli de passionnés qui compensent leur manque de technique instrumentale par des paquets d’énergie à revendre et un moyen simple mais efficace de retranscrire leurs idées” –, on en vient à discuter apprentissage scénique :
“Ce qui me fait peur avec la fermetures des petites salles, c’est que les jeunes groupes ne pourront pas se forger là dedans. Dix ans de concerts dans des endroits un peu miteux, ça t’entraîne mieux que n’importe quel Zénith”
… ou encore évoquer ses collaborations artistiques – “pour moi, le morceau Malika, (où Jacqueline Baghdasaryan, chanteuse de Ladaniva pose sa voix, ndlr) c’est ce qui se rapproche le plus d’un “featuring rêvé”, expression que je déteste. Je me suis retrouvé dans un restaurant, face à cette fille dont le chant porte toute une culture, ça m’a inspiré, elle s’est reconnue dedans et on s’est retrouvé en studio”.
Dédicace au Pays Basque
On s’échange suggestions d’écoutes (Sweet Trip et The Very Most de mon côté, Sault pour Voyou) et de lieux où partir en voyage en se coupant du reste du monde. Pour Voyou, ce type d’endroit “tellement rare de nos jours” porte un nom : la province de Xiberoa, dans les terres du Pays Basque, à qui il dédie un morceau.
“Depuis que je suis tout petit, le Pays Basque est pour moi synonyme de vacances. Mais je n’ai découvert ce coin que tout récemment, grâce à une de mes musiciennes de tournées. C’est la Vallée de la Soule. Tu as du vert à perte de vue, tu croises plein de vaches, de moutons, de chèvres et de pottoks (les poneys locaux, ndlr). Il y a quelque chose d’inspirant dans l’air et la lumière de cet endroit-là.”
Parce que, oui, on aurait tendance à l’oublier au regard de cette interview, mais Voyou la tenait surtout pour présenter son dernier projet, sorti aujourd’hui sur son label de toujours, Entreprise : Chroniques Terrestres. Composé de façon thérapeutique dans les nombreux lieux où l’artiste a passé les deux périodes de confinement de 2020, ce disque (quasi) uniquement instrumental a été l’objet d’une profonde remise en question du processus créatif de son auteur.
“Quand j’écris, j’ai besoin de parler des autres, des villes, des paysages, de la vie, j’ai besoin que ça grouille de choses. Mais dans ces temps où tout va au ralenti, c’est difficile de trouver les mots pour décrire ce qu’il se passe”
… explique-t-il derrière l’écran de l’ordinateur qui lui a servi à pré-enregistrer l’album.
Mue et renaissance
L’EP Chroniques Terrestres est, à sa façon, une forme de mue pour son auteur.
“J’ai la chance d’avoir un label qui me permet de sortir un disque sans chanson qui va véritablement le porter, composé à la maison, et je me suis moi-même laissé beaucoup plus de libertés dans les sonorités, les arrangements, la façon dont je voulais que ça sonne.”
Il symbolise aussi le retour au premier plan de la trompette dans le processus créatif de Voyou, lui qui s’est fait connaître grâce à ce cuivre distillant tantôt incitations à la fête, tantôt envolées solennelles. “Sans maîtriser la trompette à cent pour cent, je sais suffisamment en jouer pour dire tout ce qui me passe par la tête, comme une seconde langue. J’en fait depuis que j’ai trois ans, ça me permet d’extérioriser beaucoup de choses et je la vois parfois comme une petite planque derrière laquelle j’aime me cacher.”
Comme une peinture abstraite, il faut alors voir Chroniques Terrestres comme un aplat aux multiples couleurs, émotions, paysages et textures sonores, dont le résultat à l’oreille est aussi organique que le plus naturel des pigments. Les titres des chansons n’en sont pas tellement, plutôt des indications sur l’état d’esprit de leur faiseur.
“Je ne ne voulais pas mettre d’images trop précises dans la tête des gens. Je préfère que quelqu’un qui écoute Chroniques Terrestres en profite pour prendre un temps d’arrêt et se concentrer sur ses émotions.”
Il refuse cependant la comparaison avec Mort Garson, même s’il reconnaît que cet essai à la musique instrumentale “permet de faire pousser la plante qui se trouve dans notre cerveau.”
Et même s’il n’a pas totalement confirmé mes dires, nous sommes en droit de nous demander si l’absence de chant – sauf sur Malika, donc – a un rapport avec l’opération des cordes vocales qu’il a subi il y a de ça un an, tout pile. Pour expliquer cette expérience, rien de tel qu’une belle métaphore footballistique :
“On connaît tous un pote qui aurait pu signer pro mais qui s’est fait les croisés. J’ai eu droit à l’équivalent musical des croisés, mais heureusement, j’avais déjà trouvé un bon club avant que ça n’arrive. Mais ça devait arriver, ça fait 18 ans que je tire dessus en permanence. Reste à voir si je vais retenir ces enseignements quand tout reprendra enfin…”
Car, comme nous tous, Thibaud n’a qu’une hâte : remonter sur une scène et revoir de la vie juste sous ses pieds, sa trompette à la main et ses cheveux dans le vent.
“Si je ne devais retenir qu’une seule chose de positive des confinements, ça serait celle-ci : alors qu’on considérait les concerts et la culture comme acquis, on voit à quel point c’est en réalité essentiel à nos yeux.”
C’est bien vrai. Et ça me manque tout autant qu’une interview en tête à tête.
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Article : Jules Vandale