Avec Yesterday Is Gone, la révélation serbo-canadienne Dana Gavanski signe un bijou folk lumineux
Musique - 20.5.2020
“I’m learning how to say goodbye, to let you go and face the tide, to wrap my feelings in a song.” Le premier disque de la songwriteuse enveloppe avec justesse sentiments passés et nous prépare à des lendemains plus amènes. Rencontre.
Née à Vancouver dans une famille serbe, Dana Gavanski grandit dans une maison où l’art est omniprésent: son père bosse dans l’industrie du cinéma et sa mère est peintre. Si la musique l’accompagne pendant toute son enfance, c’est sur le tard qu’elle se lance en solo, menant en parallèle des études d’ingénieur du son. Après un EP sorti au printemps dernier, Spring Demos, la songwriteuse nous dévoile son premier album Yesterday Is Gone, un bijou brut sans artifice, inspiré par le folk traditionnel, tout en y mêlant des notes pop et rocky à la fois, notamment grâce à l’aide précieuse du musicien Mike Lindsay (de TUNNG) et Sam Gleason.
Une filiation avec la talentueuse néo-zélandaise Aldous Harding se dessine de façon assez évidente, tant par sa voix que la modernité de sa musique. Quant à l’orchestration des sentiments de Dana Gavanski, ils sont aussi sincères et pénétrants que l’appel des grands espaces du Canada qui l’ont adoptée. De manière contradictoire, c’est dans sa seconde ville d’adoption : Toronto, où elle se retrouve seule après une rupture, qu’elle débute l’écriture de ce disque personnel et définitivement intime. En tête à tête avec son bureau, cloîtrée chez elle.
Il en ressort un disque étonnamment rempli d’espoir et qui semble tourner une nouvelle page. Quant à ses racines, c’est un voyage sur ses terres natales de Serbie – où elle prend des cours de chants, et plonge dans la musique traditionnelle locale des 50’s au 70’s – qui clôt le pèlerinage de Yesterday is Gone en lui permettant d’appréhender sa musique en live et sur scène (enfin bientôt on l’espère).
Rencontre avec Dana Gavanski
Dans quel état d’esprit as-tu composé cet album ?
Je traversais une période assez mouvementée à l’époque : me retrouver seule et déconnectée dans une autre ville, l’insécurité liée au fait de me mettre tard à la musique et trouver des gens avec qui collaborer, voir mon second chat adoré mourir en deux ans seulement, et me séparer d’une personne avec qui je partageais ma vie depuis 5 ans.
Tu dis avoir commencé sur le tard, quel a été le déclic musical ?
Pendant toute ma jeunesse, la musique a été présente dans ma vie et dans ma tête, mais il a fallu attendre qu’un copain me quitte pour partir à NYC, laissant aussi derrière lui sa guitare, pour que je m’y mette vraiment. Je finissais ma dernière année d’études d’ingénieur du son, et j’ai commencé à l’apporter à l’école et à essayer d’en jouer en studio plutôt que de bosser sur Logic (logiciel de musique). A ce moment-là, j’ai un peu pris des cours pour avoir des bases. J’ai aussi vachement appris de JUSTIN GUITAR sur Youtube (rires).
On sent Aldous Harding dans ta voix… Quels sont les autres artistes qui t’ont influencé sur ce disque ?
C’est une des voix les plus singulières qu’on ait pu entendre ces dernières années selon moi. Mais je ne pense pas qu’elle soit une influence majeure pour cet album. Je m’en inspire plus maintenant pour mes nouvelles chansons, notamment dans sa manière de rafraichir une approche traditionnelle du songwriting, mais aussi dans sa performance.
Avant et pendant la réalisation de Yesterday Is Gone, j’écoutais plutôt Bill Calahan, Anne Briggs, Connie Converse, Judee Sill, Julia Holter, Nico and the Velvet Underground.
Tu n’hésites pas à dévoiler tes états d’âmes de manière poétique et à la fois très directe. Est-ce comme ça que tu le perçois ?
Oui, je crois qu’une des choses qui me préoccupait le plus c’était de me sentir à l’aise et d’arriver à dire les choses telles que je les ressentais, et même assez directement parfois. Comment ne pas se sentir embarrassée et inquiète à l’idée d’être incomprise, et se tourner alors vers des chansons bien pop avec des chœurs massifs.
On sent que vous avez cherché à épurer au maximum l’instrumentation pour simplifier et embellir le message, n’est-ce pas ?
C’est vrai ! Ce n’était pas vraiment calculé mais je souhaitais juste travailler comme ça. Et oui, au fond de moi, je voulais que les chansons gardent cette filiation de folk pure, tout en apprenant à manier des sonorités plus pop et rock. Je crois que je faisais aussi face à mes propres limites techniques musicalement parlant, et cet album l’illustre bien.
Est ce que cette période étrange de quarantaine a été pour toi propice à la création ou non ?
Oui et non. Les premiers mois, je ne me suis pas vraiment sentie inspirée et plutôt accablée. C’était dur de trouver le moindre intérêt à jouer de la musique. Je me suis forcée souvent. Surtout lorsque nous étions coincés en Serbie durant les premiers mois de la quarantaine. Il y avait trop d’informations et pas assez de temps de cerveau disponible pour les traiter. C’était même difficile pour moi d’écouter de la musique.
Mais quand je suis rentrée à Londres, à la maison, c’est seulement à ce moment-là que j’ai commencé à sentir une certaine excitation revenir et l’envie de bosser sur de nouveaux titres. Avec des hauts et des bas. J’ai essayé de me tenir à un emploi du temps régulier, et surtout pas de me rendre coupable si je n’y arrivais pas, car ça aurait juste empiré les choses côté inspiration.
L’album Yesterday is Gone est disponible en physique et digital depuis le 14 mai.
En concert le 12 mars 2021 au POP UP DU LABEL (Paris).
Abigaïl Ainouz