Confinée mais pas résignée, KLO PELGAG s’élève contre le règne de l’inculture et du divertissement vide
Musique - 10.5.2020
“J’ai parfois peur que ce métier disparaisse pour laisser place à un divertissement vide, marchandable, incontinent, ballonné d’idioties sans fond…” La songwriteuse québécoise nous confie ses états d’âme en cette fin de quarantaine.
Après avoir reçu de nombreuses distinctions (dont 4 prix Félix en 2017 – l’équivalent québécois de nos Victoires de la Musique) et bourlingué en tournée un peu partout, l’autrice compositrice interprète Klô Pelgag s’apprête à sortir son nouvel album Notre Dame des Sept Douleurs le 26 juin chez Secret City Records.
Cet ouvrage porte un nom tout à fait terrifiant et s’inspire d’un village dont Klô Pelgag a entendu parler enfant et dont elle voulait une fois pour toutes se délivrer en le visitant… une façon concrète de faire face à un chagrin qui la rongeait. L’album est en effet né de sa propre douleur, celle d’un surmenage qui l’a conduit aux portes d’une fatigue chronique dont elle a mis de longs mois à se remettre.
On peut d’ores et déjà en écouter les extraits poétiques : Rémora, Umami et J’aurais les cheveux longs, où Klô Pelgag s’y dévoile avec des cheveux jaune poussin, des costumes et un maquillage criant de couleurs, semblant réveiller en elle une nouvelle personnalité pleine de vie. Oï !
Après avoir donné la parole à de nombreux artistes métropolitains, c’est donc à Klô Pelgag qu’on a proposé de se prêter à l’exercice du journal de bord en quarantaine. Plutôt que de nous conter son quotidien, elle nous propose une réflexion introspective et prenante de la situation que traverse notre planète et nos âmes…
Journal de confinement de Klô Pelgag
“C’est comme si la porte du monde s’était refermée sur nos vies pour nous obliger à lui faire face. Elle nous demande de la regarder. Nous nous y projetions souvent du temps de notre prime jeunesse, à savoir ce que nous voulions devenir. Et puis un jour arriva ce moment où nous avons eu 30 ans. Je suis -10 ans plus tard- à un endroit insoupçonné parce que je n’avais aucun soupçon en ce qui concerne son existence.
Depuis toujours, on dit de moi que j’ai de l’imagination et pourtant, je rencontre ce moment où chaque idée me semble répétitive, désuète, en comparaison aux drames qui m’entourent. Des drames silencieux, presque secrets, dont on n’entend parler qu’en statistiques et je sais pourtant que dans d’innombrables foyers s’écrivent en ce moment même, des histoires à faire pleurer les cœurs les plus froids.
Il y a des jours où je prends le temps de m’asseoir et de regarder par la fenêtre. Des jours où je respire bien, où je saisi l’ampleur de ma chance en un constat fort simple : je suis bien dans ma maison. Cela peut sembler anodin, mais c’est lorsque la vie devient lente que l’on constate la véritable nature de ce que nous avons fait de la nôtre.”
L’effarant constat que le travail nous a volé notre talent…
“Certains le réalisent au moment de leur retraite. Cette pause tant attendue et tant espérée. L’effarant constat que le travail (s’il n’est pas passion) nous a volé notre talent. Que ces heures accumulées au bénéfice d’un autre, nous ont volé nos rêves. Qu’une fois le travail terminé, on se retrouve devant rien sinon que des questions simples mais immenses: qui suis-je ? Qu’est-ce que j’aime ? Quels sont mes passe-temps ?
Et réaliser soudainement avec effroi que l’on surnomme tout ce qui n’est pas notre travail passe-temps. Comme si l’on devait occuper tout notre temps à le faire passer plus vite.
Je vois des gens effrayés par le silence, incapables de se taire, répétant ad vitam aeternam les mêmes opinions apprises à la télé ou sur internet et qui, les yeux rougis devant leur ordinateur, sont dans une battue constante, en concours de vertus. “Où puis-je aller jouer de mes violons, pour faire pleurer de beauté les plus mal-nantis ?” -Écrira-t-il sur les réseaux sociaux. Il n’aura pas besoin de le faire réellement, l’intention seule de le faire confirmera à tous la pureté de son âme. Je réalise que nous avons tous en nous ce besoin indomptable de démontrer que nous sommes une bonne personne.
D’un bout à l’autre de la toile, c’est la razzia des nouvelles dans une boulimie d’informations. Un cyclone incompréhensible de bouches qui posent des mots dans l’air, sachant très bien qu’ils finiront tous dans un petit sac de phrases éphémères, tenu du bout des doigts à l’extérieur de l’auto, le nez pincé, comme s’il s’agissait d’un amas de crottes de chien.
Et pendant que les plus riches recevront l’aide gouvernementale, en dépit de leurs liens étroits avec les paradis fiscaux, des gens de pouvoir feront passer des lois révulsantes concernant les femmes et l’environnement sans que personne ne puisse se réunir pour s’y objecter. Mais ça va bien aller, dit-t-on. Oui, ça dépend pour qui et ça dépend qu’elle est notre notion de ce qui est bien et de ce qui est mal.”
Si l’on cesse de valoriser l’inculture…
“Ironiquement, je sens qu’une lumière parvient malgré tout à iriser ces zones d’ombres. Que des artistes, musiciens, auteurs, danseurs, préparent déjà leur plus grande œuvre. Qu’elle grandît sauvagement en eux comme dans une tale de mauvaises herbes qu’on ne parviendra jamais à aseptiser. Envers et contre tous, et ce malgré toute la valeur que cette crise tente de soutirer à l’Art. De l’effet pervers de la trop grande générosité de ceux qui la font jusqu’à l’idée reçue qu’elle est acquise. Et même si moi-même…
j’ai parfois peur que ce métier, qui était encore viable pour des gens comme moi, disparaisse pour ne laisser place qu’à son alter égo : le divertissement vide, marchandable, incontinent, ballonné d’idioties sans fond,
…j’ai encore la certitude que l’intelligence de ceux qui consomment demeurera intact, si l’on cesse de nous vendre l’idée qu’il vaudrait mieux désapprendre tout ce que l’on sait.
Si l’on cesse de valoriser l’inculture. Le monde entier nous répète de jouer à la statue. De rester figés, d’attendre. Mes gestes et mon corps attendront peut-être mais ma tête elle, ne se résignera jamais à s’arrêter.”
Klô Pelgag