Lido Pimienta est notre Miss Colombia 2020 (et on vous dit pourquoi)
Musique - 18.4.2020
Fardée de couleurs et de froufrous, l’artiste afro-amérindienne-colombienne se révèle dans un troisième disque écrit comme une lettre d’amour cynique à son pays d’origine, entre cumbia et électro. Rencontre en vidéo.
A l’occasion de la sortie de son nouvel album Miss Colombia, la chanteuse afro-amérindienne-colombienne et canadienne d’adoption, de 31 ans nous a reçu dans un hôtel de Pigalle, (bien avant la quarantaine) et quelques jours avant d’enregistrer sa fabuleuse session Colors à Berlin.
Arrivée dans sa chambre, des plantes vertes envahissantes sur le balcon nous donnent toute suite envie de shooter dans cette verdure, mais la météo encore trop frileuse nous ramène dans l’intimité de sa chambre, où sur un fauteuil digne d‘Emmanuelle, Lido Pimienta attend parée de tous ses accessoires. Elle se love dans cet osier, fardée de couleurs et de belles matières vives le temps d’enregistrer notre interview vidéo. L’artiste (chanteuse, compositrice et peintre) nous raconte la genèse de son troisième album, Miss Colombia, sorti le 17 avril et succédant à La Papessa qui avait remporté en 2016 le fameux prix Polaris (l’équivalent de nos Victoires de la Musique).
Découvrez notre interview en vidéo ci-dessous :
(I) Miss Colombia
Réalisé entre sa ville de résidence à Toronto et son pays d’origine la Colombie – à San Basilico de Palenque qui est “la première ville où l’esclavage a été aboli dans toute l’Amérique” – Miss Colombia fait non seulement référence au racisme anti-noir et aux concours de beauté très populaires en Colombie… mais c’est aussi un clin d’oeil à l’élection de Miss Univers de 2015 (où l’animateur s’était trompé en attribuant la couronne à Miss Colombie au lieu de la gagnante, Miss Philippines). Ce titre de disque dénonce ainsi les sempiternels canons de beauté et le fait qu’une personne comme Lido “petite, brune, qui n’a pas naturellement des cheveux raides et patinés” ne pourrait prétendre à ce prix. Et comme une Little Miss Sunshine a pu ouvrir la voie, Lido vient chercher elle-même sa couronne :
“Cette couronne, je vais la mettre sur ma tête moi-même et tout le monde devrait le faire aussi.”
On peut naturellement y voir aussi un jeu de mot, miss signifiant manquer en anglais, comme un doux mal du pays venant de cette jeune femme née à Baranquilla et qui a émigré au Canada au début de son adolescence.
Une lettre d’amour à son pays
“J’ai un sentiment mitigé, oui un sentiment mitigé, des émotions mitigées, des messages mitigés, tout est mitigé à propos de mon pays”. Et pour cause, Lido nous confie que son troisième album est une lettre d’amour cynique à son pays (comme en témoigne la fabuleuse chanson Eso Que tu Haces), qu’elle aime de tout son coeur mais qui doit changer tellement de choses pour qu’elle puisse se sentir 100% fière d’être colombienne : un pays en plein éveil (dans ses chansons, elle passe au crible : le racisme anti-noir, l’éducation post-colonial ou encore la position de la femme dans cette société…) Sur le titre Pelo Cucu, elle évoque en particulier ses cheveux crépus, comme une Solange l’avait précédée avec son Don’t touch my hair.
“Pelo Cucu, c’est une lettre à moi-même, enfant, qui dit : tu sais quoi, tes cheveux sont magnifiques!”
Un état de confusion
Pour Miss Colombia, Lido a pris le temps de mélanger ses différentes cultures, afro-amérindiennes, canadiennes et colombiennes “comme une confrontation”. Elle raconte cet état de confusion qui est à l’origine de ce projet, ce sentiment de ne plus vraiment se sentir canadienne, sa patrie d’accueil mais non plus colombienne : “C’est un sentiment étrange à vivre mais la musique aide.”
Aux armes
En tant qu’artiste, Lido donne cette impression d’être en perpétuel combat, d’être “en guerre” et d’utiliser efficacement “ses armes” que sont les mots et la musique :
“Je suis une battante, et c’est vraiment en moi. Quand vous êtes indigène, vous vous battez pour tout alors si ce n’était pas à cause de mon art, qui sait où je serais”.
Fort heureusement, Lido a pu compter sur le soutien inébranlable de sa famille, et ce depuis sa plus tendre enfance où elle se lance à coeur perdu dans la musique Metal et punk. Avec une approche gutturale, elle apprivoise ce chant engagé sous le regard amusé des siens : “On ne comprend pas, mais fonce, fais tes trucs” raconte avec amusement Lido.
Et son message elle le clame haut et fort en espagnol (sa langue maternelle) par choix esthétique certes, mais surtout pour déclamer ses chansons comme des poèmes : “J’essaie de faire en sorte que la musique soit très simple à recevoir et à apprécier, mais mes paroles sont très puissantes et si je devais traduire cela en anglais, cela sonnerait vraiment mal.” Comme elle le souligne en inauguration et en fin de son disque dans Para Transcribir, elle traduit habilement cet état d’esprit qui est le sien et fait le pont entre ses différentes cultures.
Une mission
Alors oui, chers lecteurs, sur cet album vous ne trouverez pas de chansons romantiques, car pour reprendre Lido “il y a assez de chansons romantiques dans le monde et je les apprécie mais ma mission, c’est d’être moi-même pour que les autres puissent se reconnaître en moi.” Mais pour s’assumer et se donner la force de faire face, celle d’avancer dans ce monde toujours aussi imperméable à la différence, on vous recommande chaudement son écoute, comme conclue non sans ironie Lido:
“Parce qu’il est très difficile de se réveiller tous les jours et de savoir que je dois faire mes preuves encore et encore. Même si mon nom est vraiment écrit en gros sur l’affiche, l’ingénieur du son va toujours penser que le leader du groupe c’est le batteur ou n’importe quel bonhomme…”