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Carnet de bord de quarantaine avec Bertrand Belin : “On appellera ça l’affaire des masques”

Bertrand Belin (20 juin 2019) – source : compte instagram @bertrand_belin

La rédaction de General POP invite des artistes à prendre la parole et à écrire notre carnet de bord de quarantaine. On entame cette première page avec un cri fort bien écrit, un poème éructé sans détour, celui du fameux songwriter Bertrand Belin.

Après nous avoir offert un sublime sixième en 2019, Persona, le compositeur et auteur breton à la voix grave et entêtante, nous revient avec une lettre, écrite de sa plus belle plume, toujours aussi juste et percutante. Gentleman cambrioleur de la poésie moderne, folkeux flatteur à la démarche de rockeur, mais aussi dandy de la chanson française, Bertrand Belin sait ravir les coeurs et les oreilles, et on vous invite à revisiter son répertoire (maintenant que vous êtes cloitrés chez vous et que “vous avez le temps”)…  Pour GPOP, il nous offre son carnet de bord de confiné, dont voici le texte dans son intégralité mais que vous pouvez aussi écouter, lu par son auteur en personne sur notre compte instagram et illustré poétiquement dans cette vidéo :

Carnet de Bord de quarantaine : Bertrand Belin

“Ville vide, ville vidée, vie de vide, vidange d’une ville, vidange du pays.
Pays vide, pays vidé, ciel pur, pur de vide, ciel vide, ciel de dieux vidés, dieux vidant leur vide. Vide lourd tombant, s’écrasant, vide transparent, ville récurée, façades tranchantes de la ville vidée. Filet de goudron évidé, gares vides, trains vides, visages vidés, têtes vides, faces livides, mains gantées, bouches gantées, tout ganté, le tout est gantable. Manque de gants.
Fureur au sujet de gants, colère au sujet de masques et de gants, promesses de masques ainsi que de gants. Les autorités du vide des villes promettent masques et gants. 250 000 000 de masques et un nombre aussi de gants c’est la grande promesse des autorités gouvernant un pays vide. Les villes pleines de français camouflés. De français cloîtrés. France saturée de poumons. Le poumon est le véritable vide vidé vidant. Le poumon économique a mal. Le vide des villes et de la promenade des Anglais fait s’aplatir le poumon français de l’économie. Vidés sont les placards français. Une vie de vide. L’économie vide les Français depuis le moteur à explosion. Les villes vidées vident l’économie de la France, pays d’explosion. Le nucléaire est une sacrée rigolade française. Les caisses du pays sont vides et l’hôpital est vide de gants. Pas de gants. Masques et gants de la promesse des autorités sont perdus dans un bois. La promesse est vide. Les animaux sont dans le bois. Les oiseaux sont dans les bois et dans la ville vide, ils tracent des lignes entre les choses. Les choses sont punies. La punition des choses est une dure punition. Nous sommes punis comme de simples choses punies. Les oiseaux n’ont rien à craindre d’une ville vidée. Les oiseaux dans la ville pleine ne craignaient rien en traçant leurs lignes entre les choses. La ville vide est pour les oiseaux une ville pleine. Le pain n’est plus rejeté en ville, en la route, en les parcs, en les trottoirs. Le pain est attendu par l’enfance inquiète de la durée du jeu. L’école est dans l’écran et les rues sont vidées. Les oiseaux ne tracent pas de lignes dans l’école dans l’écran. Ils tracent leurs lignes entre les choses punies. Nous sommes punies comme des choses et la punition nuit à l’économie d’un pays comme la France qui a mis masques et gants dans un bois. 250 000 000 de gants vides. Les gants son vides comme les gants de bouche sont appelés par commodité des masques de bouche ou simplement des masques.
Les masques masquent. C’est d’ailleurs leur beau petit métier. La médecine trépigne en attente des masques que les autorités ont posés dans un bois. Le bois est dans le pays vidé.
Un renard y vit, suivi de plusieurs formes de vie. De l’oiseau à la limace, la vie continue pour l’animal avec son ciel vide. Les arbres vivent et ne sont pas punis comme des choses. Le bois n’est pas vidé. Il vit. Partout sont les lieux vidés. Les gens existent. Ils sont devant leurs placards. Leurs placards tremblent. Le vide vient à la fin du placard. Les mains sont lavées comme des choses. Les doigts sont des choses. Les gants sont des choses sur les mains qui sont des choses. Les choses sont sur les choses. La ville est vide et le vide a empli les placards qui sont des choses. Les punis sont devant leurs placards qui sont des choses entre lesquelles les oiseaux ne tracent pas de lignes. L’école est par ordinateur. Le nucléaire est par ordinateur. Les autorités sont par ordinateur. Le vide n’est jamais par ordinateur. Le vide est le solide vide qui pullule. Partout il s’accouple. Aux coins des rues il s’accouple et enfante. Aux magasins il s’accouple et enfante, dans les parcs, à la gare. La gare est de plus en plus vide. Le vide est partout le nouvel ordre du vide. Les autorités en sont pantelantes.
Les masques sont dans le bois. Le bois est beau. Y vivre est délicieux. Le renard y vit suivi en cela par d’autres animaux différents. Le champignon y vit. La taupe. La grive. La bergeronnette.
Le merle y vit. Le sanglier. Son gentil petit, le marcassin, y vit et fout son museau partout.
La terre est pleine. Le sol est plein. La vie s’y fait. Elle s’y entraîne à vivre. Le ver y vit. Il y rampe, y serpente. Par reptation il se faufile dans la terre qui donne la vie aux tubercules. Le marcassin y fourre son museau. On ne met pas le museau dans le vide des villes. On est sans museau. On n’est pas un gentil marcassin. On est cloîtrés. La gare est vidée. C’est partout l’heure de manger sous le ciel vide. Nous mangeons notre vide avec gourmandise. À la fin du vide, on dévidera tout. Tout sera dévidé comme la pelote. Ou la bobine. Les bobines seront sans masques et les embrassades moléculaires et passionnées. Les gares se videront de leur vide et le vide ne s’accouplera pas au coin des rues vides. Ni en gare, ni au marché. La fiesta de tous les diables condamnera le vide et le décapitera. Le vide sera foulé aux pieds. Les autorités feront la fête avec les perdus du placard et s’en trouveront rassérénés. Le vide j’espère pourtant, ne s’oubliera pas et ni que nous fûmes pour un temps des choses. Les autorités auront à faire un discours à propos des masques et on appellera ça l’affaire des masques. D’après ce que je sais, il y eut des mécontents. Digne est la vie et les vivants sont ce qu’il y a de mieux avec le mouvement.”

BERTRAND BELIN

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Le dandy songwriter @bertrand_belin 🗿nous offre son carnet de bord 📜de quarantaine – un poème eructé 💔 et dicté à la vitesse de l’éclair ⚡️et à lire dans son intégralité sur generalpop.com 🍿

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“La vie est suave, la vivre il bien faut”

Et pour se quitter en musique, on vous propose la touchante reprise de La limonade du songwriter néerlandais Dick Annegarn interprétée par Bertrand Belin et enregistrée il y a quelque jours, puis postée sur son compte instagram. Il n’a pas fini de nous convaincre le Bertrand avec sa version en guitare acoustique dont il commente en introduction : “A mon avis, le verbe de Dick Annegarn va tuer le virus”. Si seulement !

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Bonjour, voici une de mes chansons favorites, elle est du total Dick Annegarn !

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