TUTO : comment retrouver son amour de jeunesse grâce aux musées virtuels
Arts - 22.3.2020
Le confinement commence à créer de nouvelles obsessions chez notre rédactrice Marie-Gaëtane. Les nuits, les jours, tout se mélange, et elle a une idée fixe : retrouver coûte que coûte la trace de son amour antique, celui qui, depuis longtemps, vit dans son âme comme l’incarnation de l’Amour et de la Beauté : Antinoüs.
Connaissez-vous Théophile Gautier ? L’immortel auteur du Capitaine Fracasse et de Mlle de Maupin mais aussi, excusez du peu, dédicataire des Fleurs du Mal ! Au poète impeccable, au parfait magicien ès langue française bla bla bla… Ce bon Théophile donc, écrivit des contes charmants parmi lesquels la délicieuse nouvelle fantastique Arria Marcella (disponible sur Audible), qui nous raconte le voyage en Italie d’étudiants français, à une époque où les seuls dangers étaient de s’y faire détrousser et d’attraper le mal français (la syphilis). L’un de nos trois bobets est fort impressionné, dans la villa d’Arrius Diomèdes, à Pompéi, par les paroles du guide qui leur explique que dans cette cave se trouve, parmi dix-sept squelettes, celui d’une dame dont l’empreinte du pied et le reste, se voit au musée de Naples !
Visite terminée, nos trois amis boivent comme des trous et, au petit matin, Octavien, qui en a assez d’être confiné, décide de prendre l’air et d’aller faire un tour dans la ville morte et se retrouve téléporté mystérieusement… dans la Pompéi antique. Se promenant de-ci de-là, il en vient à assister à une pièce de théâtre : la Casina de Plaute (le Molière de l’époque). Quand soudain, il voit dans le public une créature d’une beauté merveilleuse et dont les rondeurs s’adaptaient parfaitement à l’empreinte en creux du musée de Naples ! Pourtant, quand il parvient enfin à s’approcher d’elle… (alerte spoiler) le bras de la jeune femme est froid comme la main d’un serpent !
Retrouver la trace de mon amour antique coûte que coûte…
Pourquoi vous raconter tout ça ? Parce qu’il m’est arrivé, voyez-vous, une aventure semblable ! Le confinement commence à créer de nouvelles obsessions ! Les nuits, les jours, tout se mélange, et ce soir – ou ce matin – j’ai une idée fixe : retrouver coûte que coûte la trace de mon amour antique, celui qui, depuis longtemps, vit dans mon âme comme l’incarnation de l’Amour et de la Beauté : Antinoüs (prononcer antinoousse). Nous sommes au IIe siècle post-christum quand un jeune éphèbe d’Asie Mineure, à la beauté devenue légendaire, subjugue l’Empereur Hadrien ! Ils ne se quitteront plus jusqu’à la terrible noyade d’Antinoüs dans le Nil, immédiatement divinisé par les prêtres égyptiens. Hadrien dévasté ne tarde pas lui aussi à honorer son amant post mortem en le transformant en constellation et en instaurant un culte officiel. Son visage, sa beauté et sa jeunesse se répandent dans l’Empire et il devient le canon de la beauté classique.
Cette tragédie, cet amour, ce mythe n’ont jamais quitté ma vie : au creux du roman de Marguerite Yourcenar, à l’angle d’une page de manuel scolaire, dans les étoiles ou au milieu d’un corridor de bustes, il est partout… Et ce soir (ou ce matin)… Je pars pourtant encore à sa recherche (virtuelle) !
Une aventure numérique pour un amour virtuel (ça vous parle ?)
Cette aventure numérique me permet de vous emmener dans les plus beaux musées du monde sans même vous déplacer, mais parfois, cependant, vous pourrez cliquer. Alors, Antinoüs, où te caches-tu ?
Première étape, je vais sur le portail qui réunit plus d’une centaine de musées à travers le monde, immense bibliothèque de musées fantomatiques qui furent traversés un beau jour par une caméra Google:
Deuxième étape, dans l’onglet de recherche, je tape ces quelques lettres : ANTINOÜS.
D’un clic, une myriade de jeunes hommes aux faciès similaires assiègent mon écran, photographies placées pêle-mêle, mais cela ne me suffit pas. Je dois aller le retrouver dans les galeries désertes, à moi d’incarner le fantôme désincarné, et amoureux, défiant le regard et la beauté d’Antinoüs. Se prendre pour d’Hadrien rien qu’un instant… Une évocation fantasmée de cette passion par Marguerite Yourcenar dont on vous invite à relire le classique Mémoires d’Hadrien (disponible sur Audible) :
“Ma main glissait sur sa nuque, sous ses cheveux. Dans les moments les plus vains ou les plus ternes, j’avais ainsi le sentiment de rester en contact avec les grands objets naturels, l’épaisseur des forêts, l’échine musclée des panthères, la pulsation régulière des sources.”
Mon grand tour peut commencer par l’Angleterre où je choisis d’aller voir de plus près l’Antinoüs du British Museum que l’on retrouve aux côtés de son Empereur. Le cher ange est représenté en Dionysos, paré de sa couronne de lierres. Impression absurde d’avoir été à l’heure au rendez-vous ou plutôt impression délicieuse d’avoir franchi la première étape dans ma chasse au trésor.
Quelques clics après, je suis en Russie, à Saint-Pétersbourg l’impériale, au musée de l’Ermitage. Au cœur de toutes ces galeries de marbre, je me laisse aspirer par la flèche GPS une fois que j’ai aperçu, au loin, le buste recherché. Seul le visage date de l’Antiquité et le fameux collectionneur Giampietro Campana (1809 – 1880) y a ajouté une lourde couronne de bronze. Un léger mouvement de rotation, dans la même salle, vous amène devant notre éphèbe, cette fois beaucoup plus touchant et moins solennel, car il est affublé des deux petites ailes crâniennes et modernes inspirées de celles du casque d’Hermès. Là encore, la sensation légère que j’ai pu cocher deux nouvelles cases dans ma quête. L’envie de trouver les autres, maintenant, dépasse presque la contemplation (il faut dire que, Antinoüs ou non, les pixels érodent forcément la beauté, comme la Kro celle de ton mari…)
Partons ensuite en Italie à Rome où je sais que deux Antinoüs m’attendent. Le premier se trouve à la Centrale Montemartini, magnifique ancienne usine thermoélectrique reconvertie en musée d’antiquités. Quelques glissades de flèches… je deviens experte… Je le (re)trouve à l’étage du musée, au milieu d’une salle remplie non plus de marbres mais de machines puissantes et cela lui donne un air très décalé sur sa cimaise bleue. Qu’il est beau, qu’il est beau… qu’il est… Antinoüs… Là, je m’arrête un instant, laissant mon regard téléguidé pivoter autour de lui.
Dernière destination, toujours dans la ville éternelle. Je me faufile dans les musées du Vatican, dans l’aile du musée Pio Clementino où notre amant se dévoile au bout d’une galerie forcément grandiose. On le trouve dans cette salle qui réunit sûrement les plus grands chefs-d’œuvre de la sculpture romaine (vasque immense de Néron en porphyre ou l’empereur Auguste en Pontifex Maximus, prenez le temps). Antinoüs a encore été revêtu des attributs dionysiaques : le thyrse et la ciste mystique. Il mesure plusieurs mètres et je me dis, un soir de 2020, que tout de même Hadrien n’a pas blagué… quand il instaure un culte, il ne le fait pas à moitié. Je me dis surtout que leur amour devait être immense, assez grand pour qu’il me touche encore, assez beau pour que je sente qu’il existe encore.
Les rêveries ayant pris le dessus sur ma quête acharnée, je ne vous emmène donc pas retrouver d’autres Antinoüs, à Copenhague, à Paris, à Naples, à Athènes ou partout ailleurs, mais je vous invite à errer vous aussi dans ces galeries vides, dans ces dédales de couloir, dans ces musées qui, aussi virtuels qu’ils soient, créent des émotions bien réelles.
Ainsi s’achève cette digitale quête, et je finirai en citant Marguerite Yourcenar qui, parlant de son œuvre, résume bien cette aventure : “Ce jeu mystérieux qui va de l’amour d’un corps à l’amour d’une personne m’a semblé assez beau pour lui consacrer une part de ma vie”… ou quant à moi, de ma nuit !
Marie-Gaëtane Anton