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A lire (et à écouter) : qu’est-ce que la robinsonnade ?

Capture d’écran du film “Seul au monde” de Robert Zemekis

Le mythe fondateur du naufrage sur une île déserte, l’oeuvre matricielle de Daniel Defoe mais aussi les imitateurs du genre : anciens ou modernes. On vous dit tout sur cette création littéraire (et cinématographique). En livre audio, Ebook ou vidéo, découvrez notre sélection d’oeuvres classiques. 

La robinsonnade est un genre littéraire (et cinématographique) qui tire son nom, comme on peut le penser, de l’œuvre matricielle de Daniel Defoe : Robinson Crusoé (The Life and Strange Surprizing Adventures of Robinson Crusoe Of York, Mariner), publié en 1719, et traduit en français l’année suivante, roman qui raconte le naufrage de Robinson, jeune anglais de 28 ans, sur une île au large de l’Amérique du Sud, et sa vie sur l’île pendant… 28 ans. Vie presque solitaire, puisque, on le sait, Robinson recueille un jeune indien, qu’il nomme Vendredi, qu’il convertit, et qui deviendra son serviteur et ami. Ce roman sera un des grands succès du XVIIIe siècle, et au-delà, et donnera naissance à un genre bien particulier, qu’on nommera donc la robinsonnade.

Le mythe fondateur de Daniel Defoe

On pourrait penser que le naufrage sur une île déserte est le motif narratif premier de ce genre mais, s’il est important, il ne suffit pas pour faire d’un récit une robinsonnade. Il y a un autre motif, au moins aussi important, qui est la domestication et la colonisation de l’île par le ou les robinsons. L’œuvre est en effet une sorte de métaphore, ou d’allégorie, de la colonisation européenne sur tous les continents. Robinson, qui a la chance que le bateau naufragé se trouve à quelques centaines de mètres du rivage, va y trouver de quoi coloniser son île : des planches, des outils, des armes, de la poudre, des vêtements et bien sûr une Bible… même s’il entretient l’espoir, poison qui peut le déchirer, qu’un navire aborde enfin l’île et puisse le ramener dans son pays, (en l’occurrence une autre île pour le naufragé, natif d’York) ! En attendant, Robinson doit défricher, creuser, labourer, semer, moissonner, cueillir, broyer, cuire, élever, nourrir, soigner, tanner, sculpter…

Les imitateurs

L’un des auteurs que Robinson inspira le plus fut bien entendu Jules Verne. On pense à L’île mystérieuse, chef-d’œuvre de la trilogie maritime (Vingt mille lieues sous les mers, Les enfants du capitaine Grant). Mais Jules Verne reviendra plusieurs fois sur ce sujet : L’Ecole des Robinsons, Deux ans de vacances, Seconde Patrie (roman dans lequel il écrit ni plus ni moins que la suite du Robinson suisse !). On peut même dire que Verne va encore plus loin que son modèle. Celui-ci a à sa disposition, à quelques encablures, le contenu du bateau naufragé. Or les cinq hommes, plus un chien, qui arrivent sur l’île mystérieuse n’ont absolument rien, sauf quelques allumettes et une montre. Et, en quelques années, grâce aux connaissances de leur guide et mentor, l’ingénieur Cyrus Smith, ils vont même réussir à fabriquer de la nitroglycérine et à construire un bateau ! Ici encore, le roman reflète son époque. Ce n’est plus une illustration des vertus de la colonisation occidentale, mais un hymne à la Science et au Progrès.

Si la plupart des imitateurs situent l’action sur une île, cette caractéristique n’a rien d’obligatoire, à preuve le roman Les Robinsons de terre ferme (The Desert Home – disponible sur Kindle), 1852, de Mayne Reid, prolifique auteur américain, aujourd’hui oublié. Ici, l’île est remplacée par une sorte d’oasis, en plein milieu du grand désert américain, où une famille d’immigrants anglais va trouver refuge, s’installer et prospérer, en utilisant toutes les ressources de la nature, transformant la sauvage oasis en un jardin d’Eden.

Les imitateurs modernes

Le roman de William Golding (prix Nobel de Littérature en 1983), Sa Majesté des mouches, est souvent cité dans les robinsonnades. Ce qui n’est qu’à moitié juste. Certes, ce roman raconte comment une poignée d’enfants (tous les adultes sont morts dans le crash de l’avion qui les transportait) va survivre sur une île. Cette fable politique et philosophique met en scène, de façon allégorique, plusieurs personnages qui illustrent, chacun à leur façon, des attitudes possibles face au danger, à la peur, à la difficulté de vivre ensemble, etc. Mais il manque la seconde caractéristique essentielle de la robinsonnade. Les enfants n’ont ni le goût, les capacités, ni les moyens de coloniser l’île, de la mettre en valeur, et la seule chose qu’ils construisent sont de misérables cabanes.

A l’inverse, Michel Tournier reprend les deux motifs narratifs centraux de la robinsonnade. On peut même dire qu’il va au-delà puisque son récit s’appuie sur le texte qui a inspiré Daniel Defoe. En effet, en 1704, un certain Alexandre Selkirk fut débarqué à sa demande sur une île de l’archipel Juan Fernandez, dans le Pacifique, sur laquelle il vécut jusqu’en 1709, quand un navire anglais aborda l’île, en la seule compagnie de chèvres, de chats et de chiens plus ou moins apprivoisés. Revenu en Angleterre, il fit la connaissance d’un écrivain qui publia son histoire. Et c’est exactement sur cette île que Michel Tournier situe son histoire, ou plutôt ses histoires, puisqu’il existe une version longue “pour adultes”, Vendredi ou les limbes du Pacifique, et une version courte, pour enfants, Vendredi ou la vie sauvage, l’un des best-sellers des collèges !

Toutefois, il y a une différence fondamentale entre les robinsonnades canoniques et les versions de Tournier, que les titres suffisent à définir. Ici, le héros est non plus l’homme civilisé, et civilisant, mais le “sauvage”, qui, après la destruction de tout ce que Robinson avait construit et accumulé au fil du temps, devient le maître du jeu, l’expression étant à prendre au sens propre puisque la vie des deux hommes devient une sorte de jeu de rôle ou de jeu tout court, l’être y étant plus important que l’avoir…

A lire

Nous vous avons sélectionné des livres à écouter via le site Audible (votre toute première commande est gratuite)  mais aussi à lire directement en ligne – car malheureusement les livraisons physiques sur le réseau lalibrairie.com ou le site des librairiesindependantes.com sont suspendues pendant la quarantaine. Bonne lecture !

Robinson Crusoé (en livre audio Audible) Daniel Defoe, 1719.
Le Robinson suisse (en ebook gratuit sur le site Gutenberg.org), Johan David Wyss, 1812.
L’île mystérieuse (en livre audio Audible), Jules Verne, 1875.
Deux ans de vacances (en version ebook gratuit), Jules Verne, 1888.
Sa Majesté des mouches (en version ebook gratuit) William Golding, 1954.
Vendredi ou les limbes du Pacifique (en version audio lue par Romain Humeau), Michel Tournier, 1967, Folio.
Vendredi ou la vie sauvage (en livre Audible), Michel Tournier 1971, Folio Junior.

Marie-Gaëtane Anton