“Dessins, dessein et des seins”, bienvenue dans l’univers engagé de l’illustratrice Estine Coquerelle
Arts - 20.2.2020
Sur Instagram, de nombreux comptes d’illustratrices engagées foisonnent, dont celui d’Estine Coquerelle, fervente adepte de la représentation des corps (nus) féminins et l’érotisme. Portrait.
En parcourant le compte Instagram d’Estine Coquerelle, on se perd entre des couples qui s’enlacent et des femmes nues. Beaucoup de femmes nues. C’est peut-être pour cela qu’elle a choisi de publier sous pseudo. Une bonne couverture, qui permet de “pouvoir parler de tout à plein d’inconnus”. De tout ? De désir féminin et d’engagement féministe entre autres.
La nudité féminine est-elle nécessairement érotique ?
Sous les illustrations de nus féminins d’Estine Coquerelle, les hashtags #eroticart et #feminism font légion. Une association qui interroge le lien entre l’érotisme et le combat féministe. “Si l’on lit entre les lignes, on peut percevoir mon engagement quant au plaisir féminin” affirme Estine, qui précise qu’il s’agit de “l’un des enjeux essentiels du féminisme contemporain” selon elle. Mais la nudité féminine est-elle nécessairement érotique ? Pas forcément pour Estine qui souhaite distinguer les deux concepts. “Il s’agit là de montrer des peaux nues sans forcément les sexualiser et surtout d’élargir le spectre des représentations de nos corps” raconte-t-elle.
“Le féminisme vise à rééquilibrer les regards que nous portons sur nos corps”.
Pour Estine, illustrer des corps est un acte de “résilience”. Elle explique que “dessiner divers types de morphologies [lui] a permis de réajuster la perception” qu’elle avait de son image “et de celle que me renvoyait le miroir”. Les corps féminins sont soumis à des idéaux restreints selon Estine : “on nous propose comme idéaux uniquement un ou deux types de corps”. Un constat qui la pousse à affirmer qu’il est “indispensable de représenter les corps nus dans leur diversité ; trop souvent modelés par les tonnes d’images qui nous répètent insidieusement que nos corps ne sont pas ‘comme il faut’ ”. C’est ainsi qu’on touche à la nécessité de démultiplier les représentations, de proposer “d’autres images, moins stéréotypées”. Et les illustrations d’Estine “résonnent fort chez certaines personnes”, qui explique que “lorsque l’on se reconnaît dans un dessin cela fait sans doute prendre du recul et peut aider à y voir plus clair”.
Un art parfois éphémère
“Il m’arrive parfois de publier des dessins érotiques, mais lorsqu’ils sont particulièrement explicites ils ne restent jamais longtemps en ligne” affirme Estine. Le désir surgit parfois sans crier gare. C’est pour cela qu’Estine préfère que certains posts “soient aussi éphémères que les moments où le désir nous assaille”. Le caractère éphémère de quelques publications illustre également une certaine pudeur. “J’aimerais avoir une plateforme plus intime pour publier ce genre de contenu” confie-t-elle, avant d’ajouter “mon anonymat n’est plus qu’un lointain souvenir. Ma famille, mes amis, des professionnels peuvent accéder à mes dessins”.
“Je ne renonce pas à l’envie d’illustrer le désir, sujet souvent accaparé par nos homologues masculins”
Un second défaut d’Instagram ? Estine mentionne « les raids organisés par des masculinistes » (ndlr : le mouvement masculiniste défend les droits des hommes en opposition au mouvement féministe). « Je n’ai jamais subi de raids assez conséquents pour supprimer une de mes publications » précise-t-elle avant de confier que « la seule fois où les masculinistes ont un peu râlé c’est quand ils ont vu ma petite BD sur le clitoris ». Heureusement qu'”une vraie solidarité s’est créée pour résister” précise Estine. Les Folies Passagères, La Ville et les Nuages, Mona Chalabi, Venus Libido… Il existe de plus en plus de comptes d’illustratrices qui revendiquent leur féminisme et qui parviennent à créer des communautés bienveillantes partageant le même engagement.
Les nus bleus de Matisse dans l’âme
Estine Coquerelle s’inspire des grands maîtres, comme Matisse et son célèbre tableau La Danse, ici repris. Et les lignes courbes au trait continu qui caractérisent la série des Nus Bleus de Matisse se retrouve dans tout le travail d’Estine, qui puise également son inspiration dans son imaginaire.“Pour dessiner les corps, je suis plus à l’aise lorsque je travaille d’après mon imagination”. Il lui arrive cependant d’organiser des séances avec des modèles qui lui sont “très utiles, même lorsqu’elles ne sont plus devant moi !”. L’artiste se plonge dans ses souvenirs et pioche “certains détails” pour les “restituer dans d’autres dessins”. Un mélange des corps, réels, imaginés, ressentis.
Des corps sur papier au modelage de la terre
Estine Coquerelle compte bien continuer à régaler nos feeds Insta de vignettes coquines et touchantes. Mais plus récemment, elle laissait apercevoir en story qu’elle s’essayait aussi à la poterie. “J’ai simplement une fascination pour les dessins appliqués à la céramique” raconte-t-elle, qui explore de nouveaux moyens de créer... “Et puis c’est un moyen d’aborder le dessin d’une manière non-mercantile, de redessiner juste pour le plaisir et d’orner mon quotidien de petits objets fait avec patience et maladresse”, explique-t-elle avec poésie. Rien de posté pour le moment mais vu la manie d’Estine de représenter les corps dans le détail, on n’est pas à l’abri de tomber sur des tétons en terre cuite sur Instagram dans les prochaines semaines… Et on a hâte !
Découvrez le travail d’Estine Coquerelle sur son compte Instagram et sur sa boutique en ligne.
Reuben Attia