Sally est notre révélation R&B de l’année avec son EP amoureux “Pyaar”
Musique - 22.11.2019
Adoubée par Lord Esperanza, cette jeune angevine de seulement 20 ans se confie dans une interview sans filtre, où elle nous raconte ses débuts, son adoption et sa bipolarité : “C’est ma force, c’est là où je puise mon inspiration et aussi pour cela que je suis dans la musique.”
S’inspirant de Sally Détective, Marion emprunte son pseudo à un dessin animé de son enfance, l’histoire d’une petite indienne charitable. C’est aussi en hindi qu’elle choisit de baptiser son premier EP Pyaar, signifiant amour et rendant ainsi hommage à ses origines “je suis née à Djibouti et ma mère était somalienne. On a hésité à appeler cet EP Amour en djiboutien, somalien ou hindi”. Cette détective dont elle endosse le surnom, n’a pourtant pas eu besoin de chercher bien loin ses origines puisque ses parents donnent accès à son dossier d’adoption, à elle et à son frère, et ce dès son plus jeune âge.
“On a notre dossier d’adoption à la maison, et on sait où il est. Quand ça ne va pas, on le regarde. Il y a le nom de la mère, son origine, le lieu de l’abandon, mais aussi ton prénom et celui de la famille.”
Adoubée par le label Paramour de Lord Esperanza
A la maison, c’est son frère qui lui fait découvrir des piliers du rap comme Booba, Sniper, Sinik, Orelsan… “Je me rappelle à mes débuts, il me criait à travers le mur de ma chambre d’arrêter de chanter avec ma voix de crécelle (rires)”. Ironie du sort, quelques années plus tard, Sally assure des feats avec Lujipeka, de Columbine : “on s’est vu en studio et on apprécie beaucoup ce que chacun de nous fait. On a bossé avec Skuna la prod”.
“J’aimais bien chanter gosse. Ma mère faisant partie d’une chorale laïque, j’allais souvent avec elle. Mais mon père chante très bien, beaucoup mieux que ma mère d’ailleurs (rires). Ça m’a beaucoup inspiré.”
Grandissant à la campagne dans le Maine-et-Loire, Sally improvise ses premiers essais sur un iPhone et des écouteurs. Rapidement, ses reprises sont remarquées par le rappeur Lord Esperanza qui lui recommande d’écrire ses propres textes, “il m’a dit que j’avais une belle voix. Je chantais en anglais, puis est arrivé L’amour est couleur pourpre”. Le rappeur lui confie son ambition de créer un label et de l’intégrer à ses poulains, et la connexion se fait avec un producteur et son futur DJ live Make A Meal : “On a fait une première chanson ensemble qui s’appelle “l’amour c’est compliqué”. Et à partir de là, on s’est tous dit, et bah on y va ! “
Avant même d’avoir mis en boîte son premier EP, la chaine Youtube Colors lui propose une session à Berlin, sur simple écoute de maquette et toujours via Lord Esperanza : “Je suis trop fan de Colors. Depuis 3 ans, je regarde toutes les vidéos, sans exception, et pour moi c’était un rêve. Tous mes artistes préférés y sont passés.” L’occasion de se faire remarquer sur la toile et de faire le buzz quelques mois plus tard, encore en guest de l’émission Planète Rap du parisien.
“Je suis plus quelqu’un du studio, j’aime bien être seule, dans mon monde.”
Si son flow, souple et décomplexé, détonne dans le paysage féminin, Marion est plutôt d’une nature introvertie dans la vraie vie : “Je suis très timide, et pas forcément fan de la vie en communauté, c’est dur pour moi de faire le premier pas. Mais quand je suis sur scène j’incarne Sally. Après je redeviens Marion.”
Très réservée, elle va jusqu’à écrire ses paroles dans le noir, “Juste à la lumière de mon écran de smartphone. Je ne peux pas sinon. C’est un peu de l’écriture automatique” Pour son premier ep Pyaar, Sally s’entoure des producteurs Atef (pour Corps à Corps) et du duo Shawondasee chez qui elle l’a enregistré. Et là encore, l’intimité est de rigueur en studio : “Je retourne le micro pour être face à un mur et j’éteins toutes les lumières pour être dans le noir complet.”
“Je ne sais pas où est ce que je puiserai mon inspiration sinon dans cette bipolarité.”
Si la dualité entre Marion et Sally, est aujourd’hui devenue une force et un moteur dans son travail, ça n’a pas toujours été le cas. Très jeune, Marion fait face à des problèmes lourds de dépression : “J’ai dû arrêter mes études au lycée, en classe de première, pour aller dans un institut psychothérapeutique. Pendant 6 mois j’ai été enfermée là-bas.”
Après un an “complètement off”, Marion rentre à la maison, mais reste dans un état relativement instable : “c’était vraiment une cata’ pour mes parents, à l’époque je pouvais vriller à n’importe quel moment en étant euphorique ou dépressive. Il fallait toujours être derrière moi.” C’est finalement le syndrome de bipolarité qui lui sera diagnostiqué, lui permettant de trouver un traitement adapté, et de “retrouver un équilibre” : “cette annonce a apaisé mes parents. Ils ont été dans des clubs d’écoute notamment”.
De cette maladie, Marion en fait aujourd’hui un atout et la source première de son inspiration. C’est elle qui la pousse à se mettre au boulot : “j’avais pas du tout envie de reprendre les cours, ni de redoubler à l’époque, et je me suis mise à la musique pour passer le temps”. Ses premières reprises donnent le ton : 1000 de Columbine.“J’adorais cette chanson, elle racontait un peu ma vision de la vie : tu te sens seule même si tu as plein de personnes autour de toi.”
Instinctivement, elle commence aussi à en parler, à ses followers : “je ne voulais pas que ça soit un tabou mais une force”. Des fans la contactent en DM pour se confier à elle et assumer leurs maladies respectives. A la manière d’un Lomepal, honorant l’âme de sa grand-mère et sa schizophrénie, Marion n’hésite pas non plus à dédiaboliser sa bipolarité dans son travail (comme sur le titre Vrille).
“Je pense que rien n’arrive au hasard. Je suis très croyante. Je considère que c’est un cadeau cette bipolarité même si au début c’est très compliqué de comprendre cela.”
Sur sa peau, Marion s’est fait tatouer deux mains qui prient et comme message : “la prière” en référence à un titre “magnifique” de Kid Kudi, une manière de confirmer sa foi et sa persévérance : ”j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose. Et je suis très croyante. Je prie chez moi et quand j’ai le temps je vais à l’église.”
Pyaar, un premier EP de haute volée qui chante l’amour
Habité, c’est comme ça qu’on pourrait résumer le premier EP de Sally. On y retrouve cette dualité urbaine et pop, punchy et sensuelle, des intonations fluctuantes et malicieuses, des changements de rythme qui s’opèrent dans un même morceau…Toute cette histoire qui est la sienne et qu’elle continuera d’écrire.
“J’ai appris il y a deux semaines que ma mère biologique était mendiante. Je n’étais pas en âge de comprendre avant.”
Si l’EP Pyaar est un message d’amour universel, un appel à ses racines et à sa culture maternelle, Sally entrevoit déjà la suite de ce premier essai, qu’on imagine déjà aussi cathartique et libérateur que son petit-frère : “Pour moi, le mieux pour apprendre la culture du pays où je suis née et où j’ai vécu un an et deux semaines, ça serait d’aller là-bas mais je ne pense pas être encore prête. Et ce n’est clairement pas le meilleur moment pour y aller…”
L’ep Pyaar est disponible en version digitale sur toutes les plateformes
En concert le samedi 7 décembre au festival des Bars en Trans à Rennes
Abigail Ainouz