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On a parlé féminisme avec la rappeuse sud-africaine Dope Saint Jude


Crédit Florian Duboé

Révélée avec son ep protestataire RESILIENT, la jeune femme originaire de Cape Town s’est aussi confiée sur sa nouvelle vie en Europe et son premier album à paraître, un ouvrage plus personnel et “très différent de ce que le public attend”.

Autant influencée par les Riot grrrl que le hip-hop des années 90 (2Pac, Lauryn Hill), cette fondatrice du mouvement drag king sud-africain, a signé l’an dernier un EP aussi engagé politiquement et socialement que dansant : RESILIENT. Comme un exutoire artistique, ce disque lui a offert un terrain de jeu idéal pour décharger ses traumatismes personnels (comme la perte de sa mère ) mais aussi sa colère quant à la situation sociale de son pays, où les inégalités post-apartheid sont toujours bien présentes (et sources d’une violence raciale omniprésente).

Remarquée cette année sur les scènes d’Europe, de Dour au Printemps de Bourges, et encensée par la critique, Catherine Saint Jude Pretorius, alias Dope Saint Jude, revient cet automne pour une série de concerts et prévoit de bosser sérieusement son premier album. Nous l’avons rencontré à l’occasion de sa prestation explosive au Vegan Pop Festival : SMMMILE.

Comment arrives-tu à trouver un bon équilibre entre ta musique irrésistiblement dansante, et tes paroles très frontales et engagées  ?

Je crois que si tu t’exprimes honnêtement, tu trouveras un équilibre entre les deux. Ma musique, elle parle des choses qui comptent pour moi, de mon quotidien. On y trouve un message politique, mais mon but ce n’est pas d’être engagée particulièrement. Je veux juste exprimer ma vérité, et mettre en musique cette personnalité fun en moi, car c’est ce que je suis profondément, joyeuse.

Comment est-ce que tu vis la situation de ton pays en ce moment ?

C’est très compliqué. En Afrique du Sud c’est plus facile de trouver une femme qui a été violée qu’une femme qui sait lire. Et c’est vraiment quelque chose qui me bouleverse, je suis très énervée. J’aime mon pays, mais ce genre de choses, ça me fait peur. Ces crimes concernent le plus souvent des personnes de couleur et les news n’en parlent que trop peu, tout le monde s’en fout.

“Aujourd’hui on se préoccupe plus de la façon dont les femmes peuvent être en sécurité. Ce qui est primordial selon moi c’est qu’il y ait une prise de conscience chez les hommes sud-africains, c’est un problème qui les concerne ! Et que ce n’est pas une question de jupe trop courte ou d’ébriété ! “

Sur l’ep RESILIENT tu évoques justement cette réalité et ton quotidien. Pour ton premier album, on peut s’attendre à quoi ?

RESILIENT c’était une phase de transition, le moment où tu fais face à pleins d’obstacles, comme dans les histoires de héros. Aujourd’hui, j’ai déménagé à Londres, j’ai passé pas mal de temps à Paris aussi et en Europe, j’ai évolué. Pour mon premier album, j’ai un concept assez fort et ça va être très différent de ce que les gens attendent, mais ça sera puissant.

“Dans mes prochaines chansons, la nouveauté, c’est que je vais plus parler de moi-même, comme citoyenne internationale, comme immigrante, c’est comme ça que je me vois maintenant. Et je pense que ça se verra dans ma musique.”

Avec qui tu comptes travailler pour ce premier album ?

Je vais travailler avec Alois Zandry qui a produit le disque d’Aya Nakamura, un très cool producteur, et j’ai aussi signé avec mon management français Ginger Sounds. Paris commence à être ma seconde maison. Je viens juste de visiter Versailles, et moi qui ai étudié la Révolution française à l’université, obsédée par le roi et Marie-Antoinette, voir ça en vrai, c’était quelque chose (rires) !

L’Europe et l’Afrique du Sud ne perçoivent pas du tout ta musique de la même façon ?

Oui définitivement. Et il y a deux raisons je pense. Là-bas ce qui marche, c’est de la dance music. Mon pays ayant encore beaucoup de problèmes de son passé à digérer, les gens n’ont pas envie d’écouter ça dans leur musique, c’est trop douloureux. Ils ont besoin d’un break, pour sortir de leur quotidien. Ici en Europe, les gens voient les choses avec pas mal de recul et de distance. Donc ils l’apprécient plus je crois.

Tu penses revenir en Afrique du Sud bientôt ?

Mon pays est un peu loin de tout, et le gros de mon travail se passe ici en Europe. Et pour être honnête, l’Afrique du Sud a certes une industrie musicale florissante, mais aussi très jeune, ils ne peuvent pas soutenir un petit artiste DIY comme moi. Je ne pourrais pas faire mon business là-bas.

C’est un objectif important pour moi de posséder des terres, d’un point de vue politique, en tant que femme noire. C’est pour ça que je suis partie en Europe, pour faire mon chemin, mon business et revenir acheter des terres chez moi, en Afrique du Sud.”

Tu appris à faire de la musique en autodidacte ?  Tu aimerais l’enseigner aux jeunes femmes d’Afrique du Sud aussi ?

Oui, j’ai appris à faire de la musique sur Youtube, toute seule. Et c’est génial car aujourd’hui, on peut tout faire sur un téléphone : un clip, une chanson. La technologie booste notre créativité, c’est plus simple ! On peut faire du business sans être à la merci d‘un label.

“En Afrique du Sud, tout le monde n’a pas un bon wifi ou un ordinateur. J’aimerais bien apprendre à ces jeunes femmes comment faire pour se débrouiller avec leurs téléphones, qu’elles comprennent que c’est possible, que ce n’est pas réservé aux gens du business. J’aimerais leur dire : tu peux être cette personne et qu’elles croient en elles ! Le plus important, c’est cette prise de conscience !”

En concert : le 11 octobre à Les Cuizines (Chelles), le 12 octobre au Hip OPsession Reboot (Nantes), le 31 octobre à La Citrouille (Saint-Brieuc), le 8 novembre au Bebop Festival (Le Mans) et le 13 décembre au festival Les Aventuriers (Fontenay-sous-Bois).

A écouter : ep RESILIENT disponible sur toutes les plateformes.

Abigail Ainouz