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Mauvais Oeil conjure le sort avec son premier EP “Nuits de Velours”


Crédit Jules Faure

Nouvelle signature du label Entreprise, le duo de feu formé par Alex et Sarah fait des ponts entre le solaire Sahara et le spleen du RER A, croisant royalement boîtes à rythmes et derbouka.

C’est au comptoir du Nord Nord, à deux pas de la Goutte d’Or et de Barbès, qu’on rejoint le duo Mauvais Oeil pour notre interview. Dans ce quartier en pleine gentrification, mais toujours aussi populaire et cosmopolite, Alex et Sarah ont posé leurs valises, et aiment fréquenter les rades où se côtoient babas, hipsters et blédards… Un coin qui colle finalement assez bien à l’image de leur musique, entre traditions, folklore et musiques actuelles.

Ensemble, ils viennent tout juste de fêter leur un an de concerts, un vendredi 13, un comble pour ces deux superstitieux, “cette date d’anniversaire, ça a été une journée épouvantable, mais on l’a affronté ensemble”. Chez Mauvais Oeil, on sent toute suite une grande synergie : quand l’un commence une phrase, l’autre la finit instinctivement. Une symbiose presque ésotérique, et amplifiée par leurs grosses bagues en pierres semi-précieuses, amulettes turquoises, et autres grigris en forme d’oeil égyptien.

Des débuts live : de NYC aux concerts de La Femme

Si leur musique les rassemble aujourd’hui, on ne pouvait imaginer de parcours plus dissonants. Sarah grandit à Joinville-le-Pont “dans la ville rock à l’époque des baby rockeurs comme les Naast, elle se nourrit de toute sorte de musique allant de Britney Spears aux mods anglais en passant par les CDs de funk de son frère, avant de mettre les bouts, direction NYC pour des études de mode.

“J’y ai rencontré des musiciens, on faisait une fête un soir et je me suis mise à chanter en public alors que ce n’est vraiment pas mon habitude. On m’a proposé de chanter sur un disque, et ça a commencé comme ça…”

A son retour à Paris, la voilà qui multiplie les essais et prête même sa voix à La Femme en live, aux côtés de Clara Luciani (qui l’a récemment invitée à son tour, à jouer en première partie de son concert à L’Olympia).

De son côté, Alex suit un parcours bien plus conventionnel, le conservatoire de Paris, et y étudie la flûte baroque après avoir baigné dans le classique, auprès d’une famille de mélomanes et de pianistes : “son grand-père est le fondateur des pianos Gaveau” annonce fièrement Sarah.

Pour ce premier EP, Sarah trouve en lui un allié de coeur et une couleur complémentaire à son chant inspiré des divas orientales (on pense à Warda). Pour mettre au point ses expérimentations sonores, Alex se nourrit lui d’à peu près tout ce qui lui tombe dessus : des musiques traditionnelles turques, orientales au rebetiko grec… un vrai digger ! Et contre toute attente, pour “Nuits de Velours” il va se concentrer presque exclusivement sur une boite à rythme Rolland TR 707.

“On aurait pu prendre de vraies percussions traditionnelles, mais l’idée c’était surtout d’insuffler une certaine modernité“.

Renouer avec son héritage culturel

Réunis par les jeux du destin et des rencontres, ils (re)découvrent et renouent progressivement avec leur héritage culturel : leurs racines, algériennes pour Sarah et roumaines pour Alex.

“Petite, mes parents écoutaient beaucoup de musique orientale, surtout quand ils faisaient le ménage. Et je trouvais ça insupportable. (rires)” ironise Sarah

Si la gazelle a passé tous ses étés au bled à Tipiza (près d’Alger) jusqu’à ces douze ans, c’est une langue et une culture qu’elle a longtemps mis de côté. Le déclic et le retour aux sources, Sarah les aura la veille de ses 25 ans, frappée d’un spleen inédit, et cherchant désespérément à recoller le puzzle, c’est une partie de moi qui me manquait.” En une nuit, elle compose la chanson Constantine pour conjurer le sort : “c’était assez symbolique, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’y aille”.

Sur la route de Constantine…

Pour illustrer leur premier morceau, ils s’envolent ensemble pour la ville de Constantine, contrée natale de son père, où les attendent pas mal de surprises. Et ils sont loin de s’imaginer la portée symbolique de cette cité. Dite “ville aux mille ponts”, Constantine est la métaphore idéale de leur ouvrage : un pont entre musique traditionnelle et actuelles.

“On a eu un accueil extra. J’ai pu rencontrer toute une partie de ma famille que je n’avais jamais vue, on a tourné dans les ruines romaines de Timgad, on a même fait croire qu’on allait se marier pour pouvoir pénétrer sur le site, c’était si romantique, avec la lumière du lever de soleil !”

Autres curiosités de ce premier disque : la soyeuse Nuit de velours et deux titres en arabe… Asha empruntant son titre à “la première notion du bien et du mal, c’est la vérité pure selon le zoroastrisme.” Ce morceau fait aussi écho à la philosophie commune d’Alex et de Sarah : “on essaye toujours de se rappeler la chance qu’on a dans notre vie, ce qui rend notre chanson mélo mais toujours avec un fond personnel.”

Toute aussi mystérieuse, la chanson Afrita compte l’histoire d’une femme djinn (un esprit dans la mythologie arabe) séduisant un homme qui vient d’emménager avec sa jeune femme dans une maison hantée. Sarah fait ici appel à des souvenirs d’enfances (“on passait tout le temps devant une maison hantée quand j’étais en vacances vers Alger”) mais pas seulement :

“Afrita, c’est la femme du djinn. Mais ça désigne aussi une femme un peu sournoise, ou vicieuse, je trouvais intéressant ce double sens”

Le soleil se couche sur la Goutte d’Or, et nos deux âmes soeurs sondent leur avenir dans le fond de verres à bière. On y voit un destin verni… et une tournée de concerts qui débutera le 8 novembre à l’Aéronef à Lille.

Abigail Ainouz