Carlo Amen, l’art de la ligne
Arts - 12.9.2019
Crédit photos : Axmxphotography
Fasciné par les icônes religieuses et le néo cubisme, Carlo Amen est un plasticien tatoueur, touche-à-tout et globe trotteur. Rencontre dans son salon de tatouage parisien Les Maux Bleus.
S’illustrant pour ses tatouages épurés et naïfs, ce trublion de 33 ans est toujours à l’affût de nouveaux terrains de jeu : sculpture, peinture ou encore sérigraphie et récemment le vêtement. Retour sur un parcours pas des moins banal.
“Gosse, il y a toujours eu de la peinture partout dans la maison ”
Originaire d’un petit bled nommé Liévin dans le Nord, Carlo grandit dans un cocon artistique : sa mère est peintre et son père à la fois coiffeur, plasticien et couturier. Rapidement, la maison devient l’atelier des parents et Carlo voit défiler son paternel pour coudre un futal entre midi et deux : “le genre de type à coudre la robe de marié de sa femme à seulement 28 ans”
Diplômé de St-Luc à Tournais en Belgique, une école d’arts visuels, Carlo chope rapidement le virus du voyage. Et si il tente bien de s’assagir quelques mois dans une boite de pub, il finit par tout plaquer : direction le soleil !
De Tournais à Grenade
“Parti en fourgon de Tournais à Grenade”, ce jeune hyperactif met le cap sur l’Espagne sur un coup de tête. Et pendant un an, il “teste tout” ce qui lui tombe entre les mains : collages numériques, création de magazines, photos de rues, street art, des pochoirs, de la sérigraphie…
“Grenade, c’était une année test, une mise à l’épreuve. Un peu comme le surf, les premières vagues quand tu pédales dans la semoule avec tes bras et que tout te repousse en arrière ”
Cette expérience, déterminante pour la suite de son travail, lui offre sa première expo et l’introduit dans une scène artistique underground. C’est aussi en Andalousie qu’il tombe sous le charme des icônes religieuses, un repère très inspirant pour lui.
Bruxelles ma belle
Exit l’Andalousie, notre nomade rentre et pose ses cartons à Bruxelles, “tout y est stimulant là bas”, il y crée un magazine érotique HAN HAN et une marque de tshirts JOLIE DEATH qu’il vend sur des marchés de créateurs. Et il ne lui faut pas longtemps pour sympathiser avec une friche culturelle locale, le Recyclart proposant des galeries à de jeunes artistes. Au culot et “sur une poignée de main”, il décroche sa résidence pour 5 mois, et intègre cette petite famille.
Tatouer la peau des lapins “pour se faire la main”
Sa vocation de tatoueur, il la doit en grande partie à sa rencontre avec un drôle d’oiseau : Thierry Dupeux (aka TDH), taxidermiste plasticien et prof aux Beaux Arts de Rennes. Carlo lui propose sur un coup de tête de tatouer… ses animaux morts, s’inspirant ainsi de l’artiste belge Wim Delvoye,”qui a tatoué des cochons vivants comme un sac Vuitton.”
Sa vie de saltimbanque ne payant pas tant que ça, Carlo attend bien 4 mois pour récolter les tunes nécessaires et acheter sa première machine de tatouage. Débute une collaboration singulière avec TDH, “il envoyait de la peau d’oiseau par la Poste” pour que Carlo se fasse la main.
“Un jour il est même venu à Bruxelles avec une oie, deux cadavres de chat et un lapin mort dans la bagnole”.
De cette collaboration, née TATOODERMIA, une exposition et un happening filmé, où les animaux tatoués sont mis en scène comme dans une fête de Noël.
TATOODERMIA from Mortimer Petre on Vimeo.
J’irais dormir (et tatouer) chez vous
Des peaux de lapins à celle des copains, la route est longue. Carlo se focalise sur l’art du tattoo, et délaisse un temps ses autres dadas arty. Plutôt qu’un apprentissage, il se forme sur le tas en tatouant ses potes ou lui-même, “j’offrais le brunch du dimanche et en échange je les tatouais, bon c’était pas toujours terrible (rire)”. Pour se rôder, il part sur les routes d’Europe pendant deux ans, son concept : J’irais dormir chez vous tattoo soit un tatouage contre un couchage, et parfois même un repas cuisiné par ses soins. Les voyages s’enchaînent, de Bangkok au Mexique en passant par la Tasmanie, l’Australie, les UK et les US, “c’était la vie de marin, hyper inspirant ! “. De là, née une vraie dévotion pour le tatouage…
“Il faut bien respecter la peau, les gens, comprendre la complexité des courbes trouver des placements qui mettent en valeur les formes du corps, qu’il y ait une osmose entre la personne et son tatouage.”
Multipliant les sessions de tatouage, son réseau s’étoffe, il démarche les boutiques de tatoueurs, “rencontre des pointures du métier” et y perfectionne son art. Enfin, il y a 4 ans il s’associe avec Sixo, et ouvre la boutique Les Maux Bleus, au coeur du Marais, jouissant d’une clientèle assez chouette pour remplir son calendrier de tatouage avec 3 mois d’attente.
Le cubisme comme inspiration première
Après des années de quête, sur la route et sur la peau, Carlo finit par affiner son trait, son style qu’il avoue principalement inspiré par le cubisme : “Miro, Le Corbusier, Modigliani, Kandinsy et Picasso évidemment”. Sa singularité ? Un trait fin, un art de la ligne, “peu de lignes qui en disent beaucoup”, et de la couleur, vive et franche. Un dessin épuré et délicat qu’il revendique comme du “néo-cubisme”.
“Ce qui est fascinant de travailler avec peu de lignes c’est qu’il faut qu’elles soient bien placées et qu’elles aient une âme”
La trentaine et un salon de tatouage qui roule, Carlo retourne à ses premiers amours : la peinture. Pour son 30e anniversaire, il brosse sa première toile et bosse toute la nuit. Ivre de ses retrouvailles avec le pinceau, tout s’enchaine assez vite, peignant une dizaine de toiles dans les mois qui suivent : “C’était le dawa, l’appart est petit, c’était devenu un atelier.” Et à bientôt 34 piges, Carlo s’essaye aussi à la sculpture, “de l’acier du béton et aussi un peu de bois”. On craque sur ses couverts à salade en bois (en collab avec Melanie Lopez) et ses mugs céramiques (collab avec Les Madises) qu’il présente en vitrine dans sa boutique du Marais.
“La peinture c’était aussi un moyen de faire ce que je ne peux pas en tatouage”.
De ses travaux pour la marque de skate Agony Skateboards,“dessiner une planche, c’est un rêve de gosse” à une collab avec la marque de mode ritale P. A.R.O.S.H. : les projets ne manquent pas. Vous l’aurez aussi peut-être aperçu en cycliste avec son pote inventeur Guillaume Henry (Tinker Artist) fabriquer de drôles de machine à tatouer à partir d’électroménager ou utilisant l’énergie mécanique d’un vieux biclou… La machine des Stupid Tatto Toys trône d’ailleurs dans son salon et reste disponible “en cas de fin du monde ou si y a un souci électrique, et puis c’est écolo !“
Dans les derniers tuyaux de Carlo : une collection capsule en collaboration avec North Hill “un bleu de travail brodé, t-shirts, un short et une chemise en velours côtelé”, tout est fait et cousu à Paris et région parisienne. Tout un programme !
Suivez sur instagram : Carlo Amen et Carlo Amen art
Et RDV sur le shop des Maux Bleus.
Abigail Ainouz