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Les cagnottes en ligne, ce racket moderne


Alec With Pen

Leetchi, Pot Commun, PayPal et autre Morning, ces noms ne peuvent plus vous être étrangers, et pour cause : ils sont probablement devenus votre petit enfer personnel.

Depuis l’avènement d’un système qui permet de ne pas penser à retirer des sous à donner à l’organisateur du cadeau, ni au cadeau lui-même, ni même de se lever de son canap, les invitations à participer à une cagnotte sont devenues monnaie courante. Leur influence grandit tellement qu’elle envahit aujourd’hui la sphère publique et politique : la cagnotte Leetchi de soutien à la grève des cheminots a dépassé le million (LE MILLION) ce mois-ci, un genre de levée de fonds sociale et citoyenne, joli. On ne parlera pas ici des sollicitations pour un enfant malade ou une situation désespérée mais d’un truc récurrent qui s’est infiltré dans nos vies de vint-trentenaires privilégiés.

Comment fonctionne ce racket social organisé ?

Les cagnottes, c’est sûr, c’est pratique.

Si vous avez déjà eu à organiser une fête ou l’achat d’un cadeau, vous avez du voir l’arrivée des cagnottes en ligne comme un petit miracle logistique : quelques relances via un group chat suffisent désormais à obtenir la participation de tous VS aller racketer les invités un par un pendant la soirée, essuyant des « ah merde j’ai pas retiré, je te file ça plus tard » et mettant des semaines à vous rembourser ce que vous aviez été assez mignon d’avancer. Les sous arrivent désormais sur votre compte en 48h ou 72h, la ruine est évitée et votre banquier soulagé.

Plus besoin de prendre quelques heures pour se mettre à la chasse à la pièce rare ou à l’édition préférée dans les rues de Paris, l’organisateur/trice s’occupe de tout, vous n’avez qu’à rentrer votre numéro de CB, ça suffira à ce qu’on vous remercie, et votre pote sera ravi, what else?


L’interface Leetchi

Les cagnottes, ce racket systématique.

Il y a les anniversaires, les EVJF, les EVG, les mariages eux-mêmes, les pots de départ et tout un tas d’âneries venus de nos amis yankees… C’est sans fin et ça devient pénible. Si l’aspect pratique qui consiste à ne pas se déplacer ou à se creuser la cervelle pour trouver un cadeau à un ami proche (on passera sur la tristesse de cette phrase) est très confortable, il est contrebalancé par la récurrence et le sentiment d’obligation à participer à l’effort commun. Ainsi, ne pas mettre son billet pour l’achat du vélo pour l’anniversaire de Bidule ou pour la bouteille du pot de départ de Machin reviendrait presque à leur dire qu’on s’en fout de leurs vies, alors que non, pas forcément. Et puis il y a le fléau de la visibilité du montant : on peut bien sûr cocher « cacher le montant », mais clairement ça sera mal vu, on se doutera bien que vous n’avez pas fait une George Michael, et on se dira sans doute que vous êtes parfaitement radin. GQ s’est d’ailleurs offert de vous dire combien mettre selon la proximité que vous entretenez avec le ou la fêté.e et vous enjoint donc à aligner entre 30€ pour un pote à 100€ pour votre fratrie avec option 80€ pour le meilleur ami et 15€ pour le pot de départ. Olé. Il y a effectivement le bon pote pour qui c’est normal d’y mettre du sien, et puis une invitation à participer à la cagnotte de Rémi qu’on a pas revu depuis la terminale… Rémi on l’aimait bien au lycée mais, voilà, ça n’a plus tellement de sens, donc merci de cesser.

La culpabilité dépasse parfois l’envie de faire plaisir, on se scrute, qui a mis quoi, combien, ah oui mais Truc fait un cadeau dans son coin pfff. Les cagnottes sont devenues une nouvelle charge fixe, au même titre que le loyer ou l’entretien de l’ascenseur.

Les cagnottes ou l’événementialisation de l’intime

La naissance d’un enfant, le mariage, les travaux dans la maison, tout ça c’est personnel, c’est votre décision mais grâce aux cagnottes, si on peut participer à votre cadeau d’anniversaire, on peut aussi sponsoriser vos choix de vie, que vous avez ainsi réussi à événementialiser : hop la liste de naissance, hop la lune de miel, hop la peinture pour la chambre du petit, hop mon roadtrip, hop la baby shower… Et puis, comme elle existe, cette cagnotte, on se sent obligé d’y participer car ne pas le faire délivrerait, par défaut, le mauvais message : je m’en fous de ta life, débrouille-toi avec tes décisions.

L’injonction à donner (car à ce stade on est plus sur du don que de la participation) est très forte et là où on aurait volontiers apporté son aide, on se fait désormais couper la chique : on se marie, on fait un enfant, on prépare un voyage, merci de participer car c’est un événement. C’est si événementiel que ça en devient public : les cagnottes jonchent les feeds de nos réseaux sociaux. Oui, ce sont des événements en soi, pour sa propre vie, mais le côté “tiens voilà la cagnotte associée à chaque chose qui m’arrive” est souvent ressenti comme obligatoire et pressurisant. Comme un moyen détourné de faire sponsoriser ses choix, alors que, naturellement on filerait bien sûr un coup de main, financier ou autre d’ailleurs.

Il y a quelque chose de la substance même du principe de célébration qui est tué par les cagnottes, puisque tout est événementialisé, l’aspect exceptionnel disparaît alors qu’il serait encore possible de laisser à nos proches l’occasion de chercher eux-mêmes ou fabriquer un cadeau s’ils ont du temps à défaut d’avoir de l’argent, ou même de ne pas faire de cadeau du tout !

Alors la cagnotte c’est chouette, c’est simple, ça permet de faire et de recevoir de beaux cadeaux mais molo sur la systématisation, ça gâche tout, et on préférerait être invité à boire un coup que de recevoir un mail pour donner du flouze  <3

D’ailleurs tant que j’ai votre attention, je fais une retraite de Yoga le mois prochain et j’adorerais pouvoir la faire grâce à vous : https://www.leetchi.com/c/sponsoriser-ma-vie

Agathe est sur Instagram @ag_rou