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J’ai passé un weekend à danser à Bogota

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Ça commence un vendredi soir de décembre à Bogota, Colombie.

Vendredi.

Ce soir-là, je suis invité à 3 soirées, toutes ayant lieu dans le quartier de Chapinero où se trouvent la plupart des clubs de la capitale.

La première fête se déroule au Latino Power, lieu assez culte de la musique colombienne alternative.Richie Bones y fête son anniversaire avec tous ses amis DJs, et surtout en présence de l’énorme sound system amené pour l’occasion, fruit d’une collab entre les collectifs Dub To Jungle et Re.Set.

20h. J’arrive tôt, le club est encore fermé, la salle presque vide mais le son est déjà surpuissant et on peut sentir un parfum de marihuana. Jairo, la tête pensante du label, m’accueille en remuant lentement au rythme de la musique. Une DJ avec de longues dreadlocks est déjà en train de jouer des disques, du ragga et du dub aux percus hypnotisantes retentissent dans la salle.

Tout sera au vinyle ce soir-là, et on y passe même de vieux 33T.

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Le lieu semble aussi être un temple de street art. Les murs sont recouverts de dessins, et une énorme baleine surplombe la cabine des djs.

La DJ suivante accélère le rythme, le club ouvre officiellement et les gens commencent à entrer sur la piste. Certains viennent se coller aux énormes enceintes du soundsystem pour danser. Environ une personne sur deux a des dreads, on y croise aussi des t-shirts à l’effigie de Bob Marley ou des sacs aux couleurs de la Jamaïque. Je me sens un peu étranger à tout ça mais ma curiosité est piquée et je reste.

Ici pas vraiment de limitation sonore, on pousse les décibels à fond, le public est ravi.

Pendant le set, une trentenaire en imper qui paraît s’être perdue dans la soirée entre dans la cabine et commence à rapper sur la musique de sa collègue. Grosse sensation. 

21h. Je file à la soirée suivante qui se trouve à un bloc de là: au Marino Submarino. Arrivé dans la rue, impossible de savoir où se trouve ce club plutôt hype, aucun nom ni indication à la porte. Seuls quelques vigiles attendent dans la rue sombre et un peu glauque.

Cette nuit-là, Bleepolar, jeune prodige de l’électronique colombienne, et Simon Mejia de Bomba Estéreo accompagné de son ami Pacho aux percussions animeront la soirée. Bleepolar est invité à jouer dans l’un des plus gros festivals du pays en mars prochain : Estéreo Picnic, et est en train de préparer un live qui je pense restera dans les mémoires. Ce soir ça sera un DJ set.

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Bleepolar

Ici, gros changement d’univers et énorme contraste avec la rue dans laquelle le club se trouve. Dans cette gigantesque ancienne maison en pierre de 3 étages, terminés les tags et les dreadlocks. L’ambiance y est plus chic, les prix aussi. 2 salles : une au rez-de-chaussée avec une ambiance techno plus underground qui restera quasi vide toute la soirée, et l’autre au 2ème étage où joueront les stars de la soirée, celle-là sera bondée.

Le club ouvre avec seulement 40min de retard (spécialité locale), les gens qui faisaient la queue dehors affluent. Ils sont plutôt raccords avec le lieu, chics et élégants. Les premiers danseurs viennent se placer en dessous de l’énorme lustre de luxe qui surplombe l’avant-scène. Bleepolar chauffe la piste avec un mélange de techno, cumbia et electro-reggaeton. Je note que le public est composé d’à peu près 70% de filles, qui dansent et transpirent déjà. Les colombiens semblent vite entrer dans la musique, comme si une partie d’eux-mêmes ressortait dès la première note.

Il faut dire que la musique est présente partout dans le pays, du taxi à la boulangerie, du restaurant à la rue, la musique accompagne les colombiens toute la journée… Avec un niveau sonore parfois tellement élevé qu’il ne permet même pas de discuter avec ses amis. Comme si la musique prenait la place la plus importante dans la vie des gens.

Durant 2h30, Bleepolar fera en sorte de bonder la salle, jusqu’à saturation … Simon et Pacho pourront reprendre la suite avec un public déjà conquis.

Minuit. Je pars à 6 blocs vers le nord, direction le Boogaloop.

Réputé assez dangereux la nuit, Chapinero est traversé par les allers et venues des fêtards plus ou moins éméchés, titubant de club en club. Toutes les soirées de la ville ont l’air de se trouver dans ce quartier. On peut tomber sur des events techno underground, hardcore, jusqu’à des fêtes salsa ou cumbia. Mais tout ce petit monde se mélange et semble cohabiter dans la plus grande harmonie. L’entrée dans les gros clubs est en moyenne de 25 000 pesos, soit environ 8€, avec des line-ups nationaux et internationaux souvent très intéressants.

L’arrivée au Boogaloop fait encore changer d’ambiance, celui-ci ressemblant à une salle de concert, les gens vêtus de manière plus sobre. Je croise le maître des lieux, Juancho, qui a l’air pressé. Il prépare le live de Acido Pantera, grande sensation techno-bizarroïde du moment à Bogota.

En attendant la tête d’affiche, on écoute Kid Watusi, la moitié de Cero39, qui joue une techno délirante et cybertropicale à l’image de leur dernier EP « Mis Tierras Calientes » sorti sur l’excellent label Big In Japan et qui a eu un petit succès dans le monde. Les gens sourient et semblent adhérer aux beats lents mais efficaces. Ca marche pas mal sur moi non plus. L’autre moitié du groupe, Fredo, est là pour le soutenir, ainsi que Galletas Calientes, DJ français qui a posé ses valises en Colombie il y a environ 10 ans. DJ techno/drum’n’bass, il a participé aux premières grosses raves de la ville, dont la plus connue Bogotrax, et est désormais reconnu dans le pays pour jouer de la musique électro tropicale. Arrive l’heure du live de Acido Pantera, réputé ultra efficace, j’ai hâte. Ils sont trois: un batteur, deux aux machines dont un qui chante… et crie, aussi. Samples techno et percussions. Tout est une histoire de rythmes et de percussions en Colombie. On peut reconnaître des bribes de morceaux des Chemical Brothers, de Justice ou de Systema Solar, groupe culte dont fait partie la légende locale Dani Boom. Celui au micro hurle et met le feu, donnant à cette performance techno des allures de concert de rock. La salle est remplie et les gens deviennent fous au fur et à mesure que le rythme s’accélère. De mon côté j’ai du mal à entrer dedans, peut-être que la folie est trop prononcée, mais le groupe m’emportera finalement au bout de quelques morceaux.

Après un final surexcité et un rappel après plusieurs minutes de « OTRA ! OTRA ! », la musique s’arrête.

Kid Watusi reprend les platines et décide de partir dans de l’électro-cumbia-hardcore. Le public est conquis, moi aussi.

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Kid Watusi

Samedi.

Je suis cette fois invité à aller voir jouer Galletas Calientes et Julio Victoria au Videoclub qui se trouve lui aussi à Chapinero. Encore une fois impossible de savoir qu’il y a un club à l’adresse indiquée. Bogota a l’air de perdurer dans sa tradition underground, renouant avec son passé où les soirées de ce genre pullulaient dans la ville mais étaient plus ou moins illégitimes. A une époque, on pouvait trouver jusqu’à 500 soirées non officielles dans des lieux insolites ou cachés, que ce soit techno, hardcore, drum’n’bass… Ou salsa. 

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Julio Victoria

Julio Victoria est un ancien joueur de tennis professionnel ayant découvert la techno à Berlin lors d’un tournoi. Depuis, il est l’un des DJs les plus en vogue du pays et est résident du Baum, le plus gros club du pays. Le Videoclub est à coup sûr le second lieu le plus hype de la ville après le Baum, les 2 clubs ayant accueilli les plus grands noms nationaux et internationaux comme Charlotte de Witte, Ellen Allien ou encore Dj Hell. Un nombre assez hallucinant de hipsters domineront la piste cette nuit-là. 

Galletas Calientes joue dans la salle du bas avec son compère Pinche, qui accueille le grand bar et une petite piste de danse. Tandis que Pinche joue afro-électro-tropical, Galletas Calientes décide de passer du disco et du nu disco. 2 étages plus haut dans la grande salle, jouera Julio Victoria la star de la soirée. Il est précédé par Discoholycs, 2 DJs house qui font le job en attendant l’ancien tennisman.

La salle se remplit dès que Julio pose les mains sur les platines, il fait chaud, sombre, le BPM s’accélère, les gens transpirent et dansent jusqu’à épuisement, des sucettes enfoncées dans la bouche… Jusqu’à la fin de la nuit.

Dimanche, soir du réveillon de Noël.

Ce soir-là, j’ai l’immense honneur d’être invité à jouer dans le club le plus réputé pour sa techno underground : Le Klan 31.

Cette fois-ci le lieu se trouve dans le centre, dans le quartier de La Candelaria. Mais comme pour les autres, il est encore une fois impossible de savoir qu’un club se trouve à cet endroit.

Sonico, élu meilleur DJ techno de Colombie en 2017, est le maître des lieux. Il est une légende de la techno dans le pays et a lui aussi participé à Bogotrax, avec ses amis Dani Boom, Galletas Calientes ou Sunka. En arrivant, on peut apercevoir la cour, entourée de murs décorés de graffitis, qui sert aussi de fumoir. L’intérieur est lui aussi entièrement recouvert de dessins de street art jusqu’aux toilettes. Ambiance rave illégale au milieu d’un squat. Une chatte nommée Nina Kraviz trône sur le bar. Tout le monde la connaît et vient la saluer. C’est la mascotte des lieux, elle est habituée aux beats lourds à 2 mètres d’elle.

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Dankz, un jeune DJ local, ouvre la soirée. Je serai le suivant.

Pendant 1h30 il jouera une techno mélodique à 127BPM mais efficace, et me laissera le dancefloor rempli. Ici, une moitié du public est à l’image du lieu : tout de noir vêtu, certains portent des crêtes de punk. L’autre moitié est plus classique mais tout le monde a l’air de se connaître et l’harmonie règne au milieu des BPM.

3h. Je choisis de jouer rétro et essentiellement européen, et je débute avec Wake Up de Laurent Garnier. Jouant à 138 BPM, j’enchainerai avec d’autres classiques tels que Three O Three de Public Energy ou Wide Open de Dj Hyperactive. Les gens sont ravis, je suis aux anges.

Le nombre d’endroits où danser et écouter du bon son est tellement énorme à Bogota qu’il me faudra du temps avant d’avoir une vision globale de la nuit là-bas. Mais ce petit aperçu m’a donné envie de poursuivre, de découvrir de nouveaux talents ainsi que des lieux fous comme le Videoclub ou le Klan 31 qui ne sont finalement pas uniquement faits pour les oreilles, mais qui viennent aussi charmer nos yeux et toucher notre âme.

David est sur Twitter et Instagram @davidwidam