L.A. ou le nouveau rêve américain des artistes parisiens.
Arts - 10.1.2018
Ines Longevial
De Paris à Los Angeles, rencontre avec ces artistes français qui exposent au soleil faute d’ouverture dans les galeries de la capitale.
« Les américains s’en foutent de savoir qui tu es ou ce que tu fais, ce qui compte c’est ce qu’il y a sur l’image ». Mark Maggiori
Il y a dix ans, l’eldorado des créatifs s’appelait New-York. La tendance est aujourd’hui clairement plus à l’ouest puisqu’on recense plus de 30K français installés en Californie en 2017, soit 15% de plus que l’année dernière. Il y a ceux qui y restent et ceux qui y passent régulièrement et notamment un nombre grandissant d’artistes. Exposer à Paris relève du miracle, du réseau, de l’argent, pas toujours du travail ou du talent. On comprend pourquoi pas mal d’entre eux sont allés montrer leur travail là où ça ne semblait plus impossible, et depuis quelques années ça s’appelle Los Angeles.
On a discuté avec certains d’entre eux sur les limites du système français, la difficulté de montrer son art au delà d’Instagram et de la promesse que représente l’état le plus progressiste des U.S.
Pour les peintres Ines Longevial et Mark Maggiori, et les photographes et artistes Margaux Gayet, Chloé Lobre et Karl Hab une chose est sûre: en Amérique, ça va plus vite.
« Aux vernissages à L.A., les gens viennent pour voir, découvrir et non pour boire du champagne ».
Pour Karl Hab, photographe aguerri, « exposer à Paris, c’est un peu une mission, ils ne prennent pas le risque d’exposer de jeunes artistes, il faut connaitre le galeriste et encore ». Alors quand en 2016 on lui a donné le contact d’une bonne galerie à Los Angeles (HVW8) il a envoyé un mail « J’ai envoyé un mail fin mars, je partais mi-avril à L.A. pour exposer et faire la signature de mon livre 24h Los Angeles ».
24h – Los Angeles, Karl Hab
Le plus de L.A.? L’ouverture: « là-bas les galeries se bougent, elles vont tout faire pour communiquer et pour élargir leur public ». De la même manière le vernissage semble échapper aux mondanités parisiennes et retrouve sa fonction première « les gens viennent pour voir, découvrir et non pour boire du champagne ».
« Pour changer les choses en France? Vivre tout nu »!
Malgré un immense succès et une popularité accrue via Instagram, la peintre Ines Longevial fait le même constat. Le paraître Parisien l’emporte bien souvent sur le travail lui-même et empêche d’une certaine manière l’accès même à l’art, elle explique: « Cette distance qui est mise avec les gens, je ne comprends pas, pour rentrer dans une galerie à Paris il faut oser, être bien habillé… je ne suis pas très à l’aise avec ça ». Comme pour Karl c’est la galerie HVW8 qui lui a proposé une exposition –Sous le Soleil- qui s’est déroulée entre le 20 Octobre et le 26 Novembre dernier. Depuis, elle en est même à douter de sa volonté à vouloir exposer à Paris qui « se vente d’être pointue mais qui est surtout bloquée » quand à L.A. « tout ne tourne pas autour de la fashion. Tout est plus large, même les cases dans lesquelles on est ! ». Contre le dictat de la mode et des mondanités, Ines propose tout simplement de vivre tout nu, ça calmerait tout le monde, c’est sûr.
Fresque réalisée par Ines Longevial sur le mur de la galerie HVW8
Ines dans son appartement Parisien, pour The Socialite Family
« Là-bas on t’écoute avec plus de bienveillance quand tu as envie de proposer quelque chose de nouveau ».
Pour Margaux Gayet et Chloé Lobre c’est aussi allé assez vite. Le duo a travaillé pendant deux ans sur un projet alliant performance et photographie et intitulé Renew. Une fois encore, il a suffit d’un mail: « on a vu un appel à projets sur Facebook, il y avait un formulaire à remplir avec les intentions artistiques principalement, une description du projet, et la possibilité d’envoyer des samples ou un work in progress. On a soumis le projet en cours et on a été recontacté 2 mois plus tard car la galerie Highways Performance Space était intéressée et souhaitait voir le travail terminé ». Face à Paris méfiante et fermées, « les gens à L.A. sont très “friendly“ et curieux. Là-bas on t’écoute avec plus de bienveillance quand tu as envie de proposer quelque chose de nouveau ».
Chloé par Margaux pour leur expo “Renew”
Les artistes que nous avons interrogées s’accordent sur un certain élitisme parisien. Pour Chloé « c’est difficile d’arriver dans une galerie parisienne sans statut artistique avec seulement des réalisations, mais pas forcément de contacts ou de background, d’emploi dans le milieu artistique. On ne se sent pas légitime, et ça peut être extrêmement décourageant de faire du porte à porte de galerie en espérant avoir un rendez-vous sans être pris de haut ».
« J’ai jamais eu envie de faire des courbettes pour voir mes peintures accrochées à Paris ».
Cette dernière observation est également partagée par Mark Maggiori que nous avons rencontré à l’occasion de son vernissage de décembre dernier à la Maxwell Alexander Gallery: « je n’ai jamais imaginé exposer et faire une carrière en France parce que je voyais bien qu’il n’y avait pas moyen. Si t’es pas dans la politique, l’art contemporain, la FIAC à *biiiiiiip* des gens pour vendre tes toiles ça marche pas. J’ai jamais eu envie de faire des courbettes pour voir mes peintures accrochées à Paris ». Lui est arrivé en 2010 aux Etats-Unis « un rêve de gosse », en tant que réalisateur. La concurrence était rude et il a découvert le Western Art et s’est tourné vers une peinture réaliste et figurative à laquelle « Paris ne s’intéresse pas ». Pour lui aussi, tout est allé très vite. Instagram lui a donné une belle visibilité et la galerie dans laquelle il expose aujourd’hui l’a contacté « il m’ont fait venir et donné un chèque direct, chose qui serait impossible en France ». La différence vient une nouvelle fois d’un profonde disparité dans les mentalités: « Quand tu as une technique et un visuel forts, les américains s’en foutent de savoir qui tu es ou ce que tu fais, ce qui compte c’est ce qu’il y a sur l’image ».
Vernissage de Lonesome Souls de Mark Maggiori
Alors que faire pour sortir Paris de sa léthargie?
Pour Karl il faudrait « proposer plus de group show, et exposer plus de jeunes, de nouveaux artistes ». S’il est possible d’exposer dans des cafés, des bars ou des restaurants, les espaces publics comme les grosses galeries ont aussi et surtout un rôle à jouer « le Carreau du Temple par exemple, c’est un espace parfait pour exposer. Ce serait bien que plus de lieux importants dans Paris se prêtent au jeu, apprennent à faire confiance » nous dit Margaux. Chloé va plus loin: « si un Musée ou une galerie assez importante prenait une initiative d’appel à projet, ce serait un signal très fort d’ouverture au monde. Le diffuser sur les réseaux sociaux par exemple, promouvoir les jeunes talents, différents supports d’expression, différentes thématiques. Je sais qu’il existe déjà beaucoup de partenariats avec les écoles d’Art, mais il y a des personnes qui font des choses et qui ne sont pas rattachées au milieu scolaire ou au milieu artistique classique et le système actuel les pénalise ».
Fingers crossed!
Agathe est sur Instagram @ag_rou