[Pop x Magasins généraux] Entretien avec Leo Walk et Neels Castillon
Arts - 21.12.2017
Tous les mois, Pop et Magasins Généraux s’entretiennent avec les talents de demain, entrepreneurs et créatifs. Aujourd’hui, rencontre avec Leo Walk, danseur et chorégraphe, et Niels Castillon, réalisateur et photographe.
Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?
L – Je m’appelle Léo Walk, j’ai 23 ans et je suis danseur, maintenant un peu plus chorégraphe. Je fais du break, je suis un B-boy comme on dit. Je fais un peu de contemporain aussi. Je touche un peu à tout, j’essaye de danser tous les styles. J’ai aussi co-créé une marque de sape, Walk in Paris.
N – Moi c’est Neels Castillon j’ai 30 ans, je suis réalisateur. Je partage mon temps entre la réalisation, la direction artistique et la photo.
Qu’est-ce que vous êtes venus faire aujourd’hui aux Magasins généraux et dans le cadre de quel projet ?
N – C’est un projet de série photo qu’on a commencé il n’y a pas très longtemps avec Léo : on vient de finir un film de danse qui s’appelle Isola. De ce film est venue l’idée de continuer à travailler ensemble. En Sardaigne on a fait quelques photos avec Léo et je me suis dis pourquoi pas continuer. C’est de la recherche artistique, voir ce qui ressort d’intéressant, des lumières, des couleurs, des décors, … c’est ce qui nous a amené ici en fait.
Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?
L- On s’est rencontré sur un film pour J.M Weston. C’était le réalisateur et moi j’étais danseur. C’était Marion Motin la chorégraphe et on dansait à deux avec Marion.
N- C’est ça. J’ai connu Marion par un très bon ami Chef-Opérateur, ça faisait longtemps que je voulais travailler avec elle. Quand J.M Weston m’a consulté pour faire un film j’ai profité de l’occasion pour lui demander de signer la chorégraphie. Marion m’a proposé Léo comme danseur. Sur le shoot on a accroché. On s’est tout de suite dit que l’on avait envie de bosser ensemble.
Léo comment es-tu arrivé à la danse et quel est ton parcours depuis tes débuts ?
L- J’ai commencé dès 1 an : mon père faisait des concerts et du coup je dansais tout le temps. Ma mère m’a inscrit à des cours d’éveil de danse quand j’avais 4 ans. À 5-6 ans j’ai pris des cours de classique, je me faisais virer tout le temps parce j’étais dissipé et que je foutais le bordel. Jusqu’à ce que je fasse de la capoeira à 7 ans. Là ils m’avaient accepté et ça me plaisait plus.
Un jour j’ai vu un battle de break et je suis allé m’inscrire, j’avais 8 ans. À 9 ans j’ai commencé les battles et les championnats. Je trainais avec un crew qui s’appelait Battle J. À l’époque on était vraiment la team de jeunes qui tournait le plus et on se faisait vraiment des gros battles partout. Du coup je ne suis pas allé beaucoup à l’école (rires). C’était une super époque : de mes 11 ans à mes 14 ans, j’ai tourné non-stop. A 12 ans j’ai gagné le Chelles Battle Pro. A l’époque, pour les jeunes, il n’y avait un peu que ça parce que rien n’était développé comme maintenant.
Quand est-ce que tu t’es dit que tu allais faire de la danse ton métier ?
L- Ma scolarité ne se passait pas très bien, je me consacrais beaucoup à la danse. Un jour ma mère a vu dans les journaux une formation de danse hip-hop. Elle m’y a inscrit. Je suis tombé sur un bon gars qui s’appelle Tony Mascotte. L’école est à Gambetta. J’ai pris des cours de toutes les danses. A chaque fois que je prenais un cours je nourrissais ma danse avec ce que j’apprenais pour la transformer. Ensuite j’ai essayé une formation classique-jazz-contemporain mais mentalement ce n’était pas vraiment mon milieu : c’était super carré, très scolaire.
Du coup j’ai fait des auditions et j’ai été pris par Thierry Mugler, le couturier. J’avais un solo dans son spectacle au théâtre Comédia. Puis j’ai fait l’audition de Christine and the Queens et elle m’a pris. Ça a duré 3 ans de ma vie, 3 ans en tournée non-stop.
Tourner avec Christine and the Queens c’était comment ?
L – C’était trop bien, le lifestyle de rêve ! Il n’y a rien de mieux à 20 ans que d’être dans un tour bus entre New York et Los Angeles, de bouger non-stop. C’est le truc à faire à 20 ans car c’est fatigant. Je suis très content d’avoir fait ça artistiquement aussi : Christine elle défonce ! On le regardait encore hier et je me suis rendu compte qu’artistiquement, c’était vraiment différent de ce que font les autres. Elle a une vraie vision de ce qu’elle veut faire.
Et toi Neels quel est ton parcours ? Tu as toujours su que tu voulais être réalisateur ?
N – J’ai débuté très tôt, avec mes potes on a commencé à faire des films de skateboard vers 12-13 ans. On était très fan de Spike Jonze, Michel Gondry qui faisait à côté des courts-métrages, des clips, des fictions. Ce milieu a beaucoup nourri ma créativité. Puis au Lycée j’ai gagné un petit prix pour un film que j’avais fait à New-York. Une boîte de production m’a repéré. Du coup, j’ai travaillé directement après le Lycée, j’ai un peu touché à tout au début, montage, graphisme, effets spéciaux.
Tu t’es formé seul ?
N – Oui c’est ça, je suis autodidacte. Enfin, j’ai appris au contact de toutes les personnes avec qui j’ai travaillé mais, en effet, je ne suis pas passé par la case étude. Après il y a eu les voyages, les lectures, l’inspiration… Récemment je me suis associé avec Ariane Cornic (productrice) pour créer Motion Palace qui est selon moi à mi-chemin entre une société de production et un studio de création. Ça va faire deux ans maintenant et on espère développer pleins d’autres projets artistiques comme Isola et répondre à des projets commerciaux pour vivre (rires). Ce studio m‘a permis de réinvestir l’argent pour développer des idées originales. On a notre propre équipe maintenant et on produit aussi des films d’autres réalisateurs. C’est un cercle vertueux, quand on sort un projet qui plait comme Isola, les marques ou les agences nous consulte pour nous proposer des projets originaux. Je suis content de l’avoir fait, même si c’est beaucoup de travail, j’espère que ça va grossir pour nous permettre de faire des choses encore plus intéressantes !
Quels sont tes sujets de prédilections ?
N – C’est assez difficile à définir parce que je pense que je change d’inspiration assez souvent. Par exemple j’avais vu une série de films de Martin de Thurah, un réalisateur que j’adore, sur l’identité danoise. Une sorte d’hommage à son pays avec trois thèmes différents, l’eau, le vélo et la famille. J’étais vraiment choqué par la beauté de ses films et par le travail du son. Je m’en suis inspiré pour La république du skateboard parce qu’en évoluant l’esthétique des vidéos de skate de base, ne m’intéressait plus. J’avais envie d’en faire un truc à l’opposé du «cool sport extrême », un vrai film impressionniste qui peut faire comprendre à un public large pourquoi je trouve ce « sport » magnifique sans trahir la communauté de puristes. Parce aujourd’hui on voit du skate dans toutes les campagnes de pub comme un simple accessoire de mode alors qu’il y a toute une culture derrière. Ça me fait toujours rire quand je vois des gens qui font de l’appropriation culturelle sur un sujet, sans le maîtriser.
L – Comme moi quand je regarde Street-dancer. Je m’arrache les cheveux. (rires)
N – Dans les sujets que j’aborde j’essaie de m’y intéresser et de me demander ce qui me plait vraiment. Sur la danse, avec Isola, l’idée était de trahir le moins possible la performance de Léo mais avec une mise en scène forte. D’un côté tu as la pub J.M Weston que l’on a faite : même si la pub est très visuelle, elle est très hachée, on ne ressent pas la performance des danseurs. Et de l’autre côté tu as le cliché des films de danse que tu vois sur ARTE à 2 heures du matin où “on ne trahi pas la performance” mais ça ne parle qu’a un public vraiment réduit.
Du coup en partant de cette envie, il faut assembler les éléments du puzzle pour faire un film original : un danseur talentueux, un décor de mon enfance en Sardaigne et un chef-opérateur maître des mouvements de caméra complexes (Eric Blanckaert ). Après il n’y a plus qu’à laisser l’alchimie faire. Le making-off est aussi joli que le film, de les voir danser tous les deux, c’était magnifique. Quand j’aborde un sujet, j’aime bien regarder ce qui a été fait et me demander : “Est- ce que je peux faire quelque chose de différent ? », sinon ça ne vaut pas le coup, y’a trop de contenus qui sortent sur le web tous les jours pour se contenter de faire un truc moyen.
Quel est ton projet du moment ?
N – En ce moment je fais un documentaire, SANDWICH, un long-métrage pour Canal +, qui a comme sujet le Do-It-Yourself, cette génération qui a envie de refaire des choses de ses mains. Je co- réalise avec les talentueux Benjamin Carle et Félix Seger. L’idée c’est que Benjamin qui est journaliste va fabriquer son propre Sandwich de A à Z, on a planté du blé dans la Drôme, péché du thon au pays basque, construit notre potager sur les toits de la Maroquinerie à Belleville. 10 mois de tournage avec le défi stupide de fabriquer tout seul son propre sandwich, pour parler d’une génération qui ne se reconnait plus dans l’organisation du monde du travail et de la société de consommation, qui a besoin de refaire des choses concrètes, de s’ensauvager. Ça sort fin février / début Mars sur Canal+.
Léo, tu es plutôt rue ou scène ?
L – Je suis pile entre les deux. Trop de scène, ça m’a tué, je n’avais qu’une envie c’était d’aller danser dans la rue, faire des street-show comme je faisais avant pour gagner de l’argent l’été. Mais d’un côté la rue, ça ne te mène à rien et il y a un moment où tu as envie d’autre chose. Tu as envie de transmettre des émotions d’une autre manière. Je suis vraiment content d’avoir fait ce parcours-là, d’avoir mis mes mains sur du bitume. Tu as une autre manière de danser parce que tu apprends à danser sur n’importe quelle plateforme. Ça t’apporte beaucoup aussi mentalement. Je le vois quand je bosse avec des danseurs contemporains d’autres milieux, les gars se plaignent et veulent faire une pause au bout de 20 minutes. Alors que toi tu faisais des battles pendant 2h30 à faire des passages, à saigner au sol. En général, les danseurs hip-hop ont plus la dalle.
Vous êtes tous les deux très portés sur la rue et ses cultures…
L – Parce qu’il y a un rapport direct avec l’art quand tu es dans la rue. La rue c’est hyper sincère, hyper engagée, c’est brut. Je pense ce que veut faire Neels c’est un peu la même chose que ce que je veux faire dans la danse : c’est de prendre quelque chose d’hyper brut et de le polir, l’emmener vers une autre direction. C’est un truc qui n’a pas encore été trop fait. Sûrement dans 20 ans il faudra prendre une autre direction mais en ce moment c’est le truc à faire que ça soit dans le rap, dans la culture hip hop…
N – On vient tous les deux de milieux populaires et si tu voulais t’exprimer tu n’avais pas trop de choix. J’avais des potes qui faisaient du graff, de la musique, nous on faisait du skate, d’autres dansaient. C’est un lieu où tu peux t’exprimer assez facilement, tu n’es pas obligé de t’inscrire à un cours et il n’y a pas de règles. Après, soit tu ne dépasses pas ce stade, tu n’évolue pas, tu ne construis rien, soit tu es curieux, tu te cultives, tu t’inspires de la culture plus « classique » et le mélange devient intéressant. Léo a eu des expériences avec de grands artistes et s’est nourri de ces expériences. Il a évolué tout en gardant ses racines, son côté brut, spontané.
Vous avez tous les deux créé des projets autour de Paris : Walk in Paris pour toi Leo et Sous le soleil de Paris pour toi Neels. Quelle est l’image que vous voulez transmettre de cette ville ?
L – J’ai plus envie de montrer un aspect underground, l’aspect vrai, brut de Paris. Paris à l’étranger ça se résume au magasin Colette et au Palais de Tokyo, à un petit cercle d’artistes privilégiés par les médias. Alors qu’en fait il y a pleins de petits artistes underground à Paris et ses banlieues que ça soit dans la musique ou dans la danse. Des mecs qui tous les jours se lèvent avec la dalle de faire des choses, qui sacrifient leur vie et leurs thunes pour faire des projets. C’est cette image là que je veux montrer à travers ma marque.
N – Paris, c’est marrant parce qu’au départ je ne voulais pas y vivre, parce que je viens du Sud on te dit tout le temps Paris c’est gris, ça pue, c’est stressant, c’est cher… Mais en arrivant j’ai rencontré tout un tas de gens qui m’ont inspiré et maintenant je ne veux plus partir. Tous les jours tu peux assister à une expo différente, un concert cool, aller au ciné voir des films rares pas d’excuse pour rester devant la télé ! Puis franchement au moindre rayon de soleil tu te rends compte que c’est une ville magnifique.
Quels sont vos prochains gros projets et comment vous vous voyez dans 10 ans ?
L – Avec toutes mes tendinites je me vois plus chorégraphe. Même psychologiquement en ce moment je vais plus vers ça. Il y avait une période où j’avais besoin de ressentir les choses, j’avais besoin de faire. Maintenant j’ai une vision globale et quand je conçois les choses je vois plusieurs corps, je ne me vois pas que moi. J’ai envie de chorégraphier que ce soit pour des artistes ou pour des pubs. Mais je le ferais toujours avec mon œil, à ma manière et si le projet me plait.
N – Dans 10 ans, je vais voir où les projets me portent, continuer de faire des trucs qui me plaisent. J’espère faire des longs-métrages de fictions… on verra. J’aimerai être aussi épanoui qu’aujourd’hui, jamais blasé !
Vous pouvez retrouver Leo Walk et Neels Castillon sur leurs comptes Instagram : @leowalkinparis et @neels.castillon. L’autre danseur sur les photos, c’est Nicolas Huchard (@nicolas_huchard) !