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[ITW] Michael Haneke nous présente Happy End

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Le 18 octobre sort Happy End, une satire sur une famille bourgeoise de Calais face aux migrants installés dans la Jungle par Michael Haneke. Entretien avec le réalisateur autrichien qu’on ne présente plus.

Quel était le point de départ de Happy End ?

Le point de départ, c’était de vouloir refaire un film avec Jean-Louis Trintignant après l’expérience d’Amour.

J’avais écrit un autre scénario entre temps, un film qui s’appelait Flashmob. Il se passait à moitié en Amérique, et le producteurs avaient peur que le budget ne monte trop. En plus, le rôle principal était celui d’une femme obèse et je ne trouvais pas d’actrice ; or, je ne voulais pas faire un film avec un casting qui ne fonctionnait pas. Finalement, j’ai utilisé une histoire de ce film dans Happy End, celle de la petite fille.

Ce film, vous le définiriez comme une comédie ou une tragédie ?

Le film n’est pas une tragédie. Nous n’avons plus le droit de faire des tragédies dans les pays riches, on utilise nos petits soucis : “ma femme me quitte”, “j’ai un mauvais diagnostic”… Quand on compare aux vraies tragédies du tiers-monde, on n’a juste pas le droit de dire que c’est une tragédie. C’est plutôt une farce.

Le sujet de ce film, c’est notre autisme, notre façon de beaucoup parler sans communiquer, de s’occuper de son propre nombril uniquement. C’est représenté à tous les niveaux : la famille, les employés, les migrants…

C’est la première fois qu’un de vos films a autant d’ironie… C’était donc une volonté de faire une comédie ?

Oui, ça me va comme terme ! La scène finale de Happy End, le mariage, c’est le top de l’ironie. C’est une tragi-comédie si vous voulez. C’est surtout une tragédie pour les migrants.

Dans Funny Games, certains dialogues étaient déjà hyper comiques : j’avais dit aux acteurs qui jouaient les tortionnaires de le faire comme dans une comédie, et aux acteurs de la famille comme dans une tragédie. L’effet du film vient de ce décalage. Cette fois-ci, je n’ai rien dit à mes acteurs.

Dans les films de Chaplin, il y a toujours des scènes hyper tragiques alors que les films sont globalement comiques. Je ne suis pas en train de me mettre à la même hauteur que Chaplin [rires], mais j’ai toujours voulu faire une farce.

Quand vous dites que la bourgeoisie ne peut pas avoir de malheurs, vous vous inspirez de Tchekov ?

Tchekov c’est un dieu pour moi ! Mais je ne peux pas dire que je m’en suis inspiré pour le film. Pour moi, le meilleur film de ces dernières années, Une Séparation de Asghar Farhadi, est presque du Tchekov. C’est tellement nuancé, tellement bien fait…

Ce sont les bourgeois qui vont au cinéma, donc on raconte des histoires pour un public bourgeois. Quasiment toutes les histoires qui composent ce film, je les vois tous les jours : un homme qui trompe sa femme, un autre qui cache un défaut au bureau… Malheureusement, on est tous comme ça, y compris moi !

Comment est-ce que vous avez eu l’idée de ce format Snapchat ? Ce n’était pas trop compliqué d’utiliser cette mise en scène ?

Pas du tout ! Dans l’histoire, il y a cette petite fille qui essaye de tuer sa mère, et qui met ça en ligne ; c’est un vrai fait divers, qui s’est déroulé il y a quelques années au Japon et qui m’a beaucoup impressionné. Quand j’ai décidé d’utiliser ça dans le film, la manière la plus adéquate de le montrer, c’était via l’iPhone et Snapchat. C’était aussi une solution esthétique, avec le film qui commence et se termine avec cette écran !

C’était aussi une ruse dramaturgique… Certaines choses sont trop sexuelles pour être montrées au cinéma, ça devient un film porno sinon. Mais si on le met de manière écrite, on n’a pas la censure [rires].

Dans votre filmographie, on voit souvent des télés ou des radios. Dans ce film là, ce sont les nouvelles technologies prennent cette fonction ?

Oui, comme dans la vie quotidienne. Quand j’ai fait Benny’s Video, Internet n’existait pas. C’était la vidéo qui jouait ce rôle de medium innovant, avec lequel nous commencions à vivre. Ces dix dernières années, Internet a complètement changé notre vie. Ca serait idiot, et surtout erroné, de raconter toute une histoire sans qu’Internet ne joue un certain rôle là-dedans.

Quand j’ai lu ce fait divers au Japon, la chose qui m’a le plus intrigué c’était de savoir pourquoi elle avait mis ça en ligne. Ce n’était clairement pas le plus simple pour se débarrasser de sa mère sans traces [rires], donc pourquoi ? La plupart des gens diront qu’elle voulait faire son intéressante, mais je ne crois pas. Je pense qu’elle voulait être découverte.

J’ai fait de longues recherches sur des forums de jeunes, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’Internet avait pris la place de la confession à l’Église. On ne va plus voir un prêtre pour se confier et être absous ; on se sert de l’anonymat d’Internet.

Malgré le ton comique du film, ça produit une sorte d’angoisse…

Ce n’est pas Internet qui crée cette angoisse, c’est le comportement des gens [rires]. Internet, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est l’usage qu’on en fait qui le détermine… Internet augmente juste les possibilités.

La seule chose qui m’inquiète vraiment avec Internet, c’est qu’aujourd’hui tout est réglé dessus. Si demain on n’a plus d’électricité, c’est la fin du monde. J’ai déjà fait un film sur ça, Le Temps du Loup. Ca, c’est vraiment inquiétant. Si vous allez dans un café ou dans le métro, chacun a les yeux rivées sur son iPhone. Ils se cachent, pour éviter de chercher où poser leur regard, par peur de regarder les autres.

Vous citez souvent d’anciennes références. Il y a des cinéastes que vous aimez dans le cinéma actuel ?

J’aime aussi quelques jeunes réalisateurs, mais je ne veux pas trop les citer, sinon les autres seront fâchés [rires]. A dire vrai je ne regarde pas tellement les films récents. Je ne connais pas les acteurs vedettes, je ne suis pas au courant des productions contemporaines…  Le seul film qui m’a marqué, c’est celui dont je vous ai déjà parlé plus haut, Une Séparation. J’ai été vraiment très impressionné, je tire mon chapeau bas…

Happy End, en salles le 18 octobre.