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[POP TALK] Dans les coulisses de la programmation de Dour avec Mathieu Fonsny

Mathieu Fonsny, co-programmateur, aux côtés d’Alex Stevens, d’un des meilleurs festivals d’Europe à savoir Dour, nous explique comment il conçoit son line up, l’évolution du festival et de son public.

Il nous parle aussi de sa relation passionnée avec le festival, qu’il affectionne depuis l’âge de 15 ans ainsi que de son parcours pour en arriver là. Séquence émotion et flashback des années 90. Il nous donne aussi avec beaucoup de bienveillance ses conseils pour devenir programmateur et travailler dans la production événementielle. En somme, une super discussion entre passionnés de musique, beaucoup de sympathie et une vision très intéressante de l’événementiel, enjoy :

Selon toi, quelle est la recette d’un festival qui reste une référence pendant plus de 30 ans, enfin s’il y en a une ?
La recette, c’est d’avoir une idée de départ et de s’y tenir. A Dour, nous avons toujours programmé ce qu’on ne pouvait pas retrouver ailleurs. A l’époque de la création de Dour, en Belgique il y avait surtout des grands festivals de rock anglophone. Donc Carlo, le fondateur du festival, a programmé du rock français. Ensuite en 91 il a programmé du hip-hop avec De La Soul. C’était un courant que les autres grands festivals n’exploitaient pas, et lui, en faisant ça, ne rentrait pas en concurrence avec ceux-là et finalement n’embêtait personne. Ensuite ça a été la même chose pour le reggae, pour la techno… On a instauré, en programmant de la techno en 98 dans un grand festival généraliste, quelque chose de très peu courant. Mais la recette n’a pas changé : on a toujours dit qu’on était un festival multigenres : techno, hip-hop, drum&bass, métal, on essayait de digger un maximum dans tous ces courants. Et quand on voit un style qui va éclore et qu’on a envie d’y aller, on y va toujours à fond. Et on s’est tenu à ça. Et je pense que c’est ça qui fait la force du festival, on rassemble une communauté de festivaliers qui ne se sent jamais trompée. Tandis que si on faisait un festival qui change son ADN au gré des modes et des styles, finalement les gens s’y perdraient, parce que tu perds l’essence même de ton festival. Ce qui, je pense, fait une bonne recette de festival, c’est vraiment de prendre une idée de base et s’y tenir, après évidemment tu peux la faire évoluer, mais tu ne dois pas la contredire en la faisant évoluer.

Nous sommes un festival alternatif multigenres, de sous-couches, de sous-courants, de sous-niches ou en tout cas de niches et on se tient à ça. Tu vois, le hip-hop est très important pour le moment, c’est le style prédominant : dans notre cuisine on a un peu augmenté le feu sous la casserole du hip-hop, mais ce n’est pas pour ça qu’on l’a éteint sous les autres ! Ca aurait été une erreur de nous dire qu’on ne va parier que sur Roméo et Damso parce que tout le monde les veut. On va les programmer, évidemment, mais on va aussi garder du reggae, du métal, on a remis de la drum&bass la deuxième journée. On est à l’écoute de notre public et il ne veut pas seulement le style qui marche en ce moment.

De quels noms tu es le plus fier cette année ?
Ce dont je suis très fier, c’est l’ensemble. D’une part avoir des gros noms qui rassurent, qui vont faire que les gens vont se repérer dans le festival : Damso, Orelsan, Asap Rocky, Disclosure, et d’autre part contrebalancer par des noms à la notoriété plus moyenne, et puis aussi avoir des découvertes. L’ensemble du point de vue des genres musicaux aussi, qui mélange hip-hip, techno drum&bass, métal, reggae, jazz… Et je suis aussi content qu’il y ait beaucoup de belges car c’est important de soutenir les gens de notre pays. Et aussi je suis très content qu’il y ait beaucoup de femmes. Je ne suis pas fier de quelques noms en particuliers. Je suis content d’avoir fait cette scène avec Amelie Lens, et du système de curation mis en place avec elle, Bonobo, Roméo Elvis et Salut c’est cool, ce qui est une première pour nous ! C’est un vrai dialogue avec des gens qui sont amis du festival, avec qui on a monté une vraie discussion et un vrai projet.

Le challenge, pour Dour, n’est pas d’avoir un gros nom, mais de produire quelque chose de cohérent dans son ensemble et à tout moment il y a des phases un peu énergiques, d’autres pendant lesquelles tu peux chiller, des moments où tu vas découvrir des choses, être pris par surprise, tu as des instants aussi où tu es rassuré par des artistes que tu connais. Le vrai challenge est là, bien plus que dans la programmation de gros noms.

Justement, en parlant de ce système de curation, comment tu décèles le potentiel en programmation des artistes que vous désignez comme curateurs ?
Tu as raison de me poser cette question parce que ce n’est pas facile ! Jusque là on ne faisait pas ça, non pas parce qu’on n’aime pas avoir des curateurs mais parce qu’on a une vue d’ensemble. En fait on a une vue d’ensemble non seulement sur notre festival mais aussi d’un point de vue plus macro, on est au courant des tournées, on est au courant que tel artiste est booké ailleurs et qu’on ne pourra pas l’avoir. Donc c’est parfois compliqué d’ouvrir la discussion à d’autres, en terme de booking. Mais bien sûr on discute avec plein de gens pour des idées, pour penser notre line up mais quand il s’agit concrètement de booker un artiste c’est difficile d’avoir beaucoup d’intervenants car ils ne contrôlent pas tous les paramètres, que nous contrôlons plutôt bien. Comme je te disais, on connaît les dispos des artistes. Donc voilà ce qu’on a fait : on a pris 4 artistes, un de chaque style, Roméo Elvis en hip-hop, Amelie Lens en techno, Salut c’est cool dans un style un peu fun et Bonobo dans un style plus indé.
On a identifié 4 acteurs qu’on aimait bien avec qui on savait que le dialogue serait chouette, et on leur a demandé de nous envoyer une liste de ce qu’ils aimeraient avoir sans prêter attention au prix du cachet, ni à la notoriété. Ensuite on a regardé ce qui était réaliste ou non, ce qui collait à nos idées ou non. Et nous avons aussi envoyé une liste aux artistes à notre tour.

On a discuté avec les curateurs, par exemple Roméo Elvis nous a dit qu’il voulait un rappeur français, on a trouvé Moha La Squale pour lui. Après il voulait un créneau intéressant pour mettre son nouvel album en avant, on a réfléchi et on a pensé que faire un set commun avec Vladimir Cauchemar et Todiefor, qui sont producteurs de titres sur son album, serait une bonne idée. Après il m’a dit qu’en tant qu’ancien festivalier de Dour il se souvenait qu’historiquement Dour se finissait toujours par de la drum&bass, donc on lui a dit qu’on pensait à Shy FX, on ne savait pas trop où le mettre et on l’a calé à la fin de sa scène.

Pour Amelie Lens, elle a voulu mettre deux artistes de son label, et elle-même démarcher Adam Beyer. Et puis ensuite on lui a proposé de mettre Anetha car on la trouvait bien dans son sillon elle a tout de suite accepté.

Pour Bonobo, il nous a donné une liste de noms avec peu de choses réalistes donc on lui a suggéré Yaeji, Mano Le Tough et les autres et il a dit « j’adore ces groupes c’est trop cool ».

Dans le cas de Salut c’est cool, ils sont venus avec un concept : ils ont réfléchi à un thème qu’ils nous ont soumis. C’est vraiment du cas par cas.

Comment vous arrivez à un tel éclectisme tout en ayant votre public propre qui a carrément son cri de ralliement ?
Les gens sont plus ouverts qu’on ne le pense, parfois quand tu viens à Dour pour la techno, tu t’arrêtes sur d’autres scènes, tu vas voir un concert de hip-hop. Ce qui nous motive à Dour, ce sont les cultures alternatives, que tu sois un métalleux, un rappeur, un techno man, finalement tu es curieux et pas bloqué dans un style ou sur un nom qui est la seule motivation de ta venue. Autour de toi tu trouves tes semblables et ça forme une communauté qui partage, qui se rencontre, qui sociabilise, tu plantes ta tente, tu offres une bière à ton voisin et vous discutez, vous échangez. Et si tu ne trompes pas les gens par une logique purement commerciale ou de réussite à tout prix, cette communauté est toujours là. Je pense que quand tu arrives à Dour tu te mets dans un état d’esprit de partage, de découverte, de respect mutuel et communautaire. C’est le public de Dour qui fait sa particularité, tu as l’impression de ne voir que tes cousines et tes cousins autour de toi.

Je suis allé à Dour pour la première fois quand j’avais 15 ans, je viens d’une petite ville à côté de Liège et j’étais un peu comme un marginal dans ma petite ville car quand je rendais visite à mon père à Bruxelles j’achetais des vinyles de techno et de rap. Et à mon retour, je montrais mes achats à mes amis et eux étaient plutôt dans le rock et la pop et trouvaient que ma musique était un truc d’extraterrestre. Je me sentais différent, marginalisé, je pensais que personne ne comprenait ce que j’écoutais. Et quand je suis arrivé Dour, j’ai tout de suite compris qu’autour de moi il y avait 30 000 personnes qui me ressemblaient et qu’en fait dans toutes les petites villes il y avait des personnes comme moi. Et ce n’est pas une question de genre mais plutôt une question d’aimer les cultures alternatives et les « petits sentiers ». C’est une communauté de mélomanes curieux.

Est-ce que tu penses que le public change ou qu’on est sur une constante ? Je dis ça surtout par rapport à la nouvelle génération, tu penses qu’ils sont compatibles avec l’esprit Dour genre tu ne te laves pas et tu marches dans la boue ?
En 10 ans on est passé de 10 000 à 30 000 festivaliers par jour et parfois les gens nous disent « vous avez perdu l’âme ». Mais je ne suis pas d’accord, parce que, comme je disais, tu peux grandir tant que tu ne changes pas ton ADN, c’est la forme qui change : plus de scènes, plus de jours, un plus grand terrain ; mais pas le fond. Je suis toujours parmi les festivaliers de Dour et je vois la nouvelle génération qui arrive. Bon effectivement ils sont dans le paraître, ils veulent avoir une voix publique : publier des photos, des avis… Et donc oui tout le monde en joue. A Dour ça n’est pas encore trop le cas, on a un public qui est encore très alternatif, et qui n’a pas toujours full 4G ni full batterie, au bout de 4 jours c’est normal. Et notre public est encore foufou, s’il y avait de la boue ils se rouleraient dedans, ça c’est sûr. Ca ne me fait pas trop peur. Je suis allé à Coachella pour la première fois et je me dis que c’est leur ADN, d’avoir des influenceurs etc… Qui est très différent du nôtre, j’ai l’impression que les gens vont aux festivals qui leur ressemblent, et chez nous c’est plutôt ceux qui se roulent dans la boue !

Comment vous avez fait pour allonger la liste des noms de façon aussi significative chaque année ? Vous avez pris des risques ou il y a eu une « hype » autour du festival ou que sais-je ?
Ca s’est fait très lentement et progressivement, au fil de ce qu’on voulait expérimenter. Ensuite on a trouvé que la scène était trop grande alors on en a rajouté des petites : le Labo et la Rockamadour. C’est plutôt une évolution naturelle, la Balzaal : notre grosse scène DJ, est devenue une seconde main stage, un vrai dancefloor en plein air, le Dub Corner aussi est une parenthèse, une petite bulle d’oxygène où tu peux aller te coucher dans l’herbe et profiter d’une ambiance dub. Alors forcément, quand on ajoute une scène on ajoute des noms sur l’affiche, c’est normal. Mais on a des équipes de prod qui deviennent folles, on est à 240 artistes ils doivent gérer tous les pass, tous les transports, tous les hôtels, gérer le matos donc on ne va pas pouvoir augmenter plus. On a 7 scènes, 5 jours, je pense que c’est suffisant ! La Rockamadour est d’ailleurs devenue une véritable scène à part entière et là on a lancé une programmation ambiance Dekmantel pour cette scène.

De tous les artistes que tu y as vus, quelle prestation tu retiendrais en premier lieu et pourquoi, quels sont tes souvenirs les plus émouvants ?
Alors il y a en a plusieurs mais après, il y a quand même des moments phares identifiés comme l’âge d’or du rap français : en 97/98 avec la Fonky Family, IAM, Oxmo Puccino, j’avais 15 ans, ils étaient tous là, ça m’a marqué.
Sinon, ça fait 6 ans que je fais toute la programmation avec Alex mais avant cela j’avais (et j’ai toujours) un collectif qui s’appelle Forma.t avec lequel on faisait des soirées de type french touch, c’était le début d’Ed Banger, Too Many Djs, tout ça, de ce mix entre rock et électro. Et Dour nous a invités, avec le collectif, à programmer une scène en 2007, on l’a fait pendant 10 ans. Quand ton collectif programme une grande scène et que tu vois 8000 personnes devant toi avec le t-shirt de ton collectif, c’est vraiment un grand moment !

Sinon un autre grand moment : c’était la première année où je faisais toute la programmation avec Alex, c’était en 2014, on avait faire revenir Nas qui a sorti un album il y a 24 ans qui s’appelle Illmatic et il est revenu jouer cet album pour les 20 ans de sa sortie. C’est un des albums de ma jeunesse, qui m’a suivi pendant longtemps et ça, c’était un de mes grands moments aussi.

En bref je te dirais : mon premier Dour, mon premier Dour avec mon collectif et mon premier Dour en tant que programmateur : ce sont trois années charnières pour moi.

Comment tu arrives à regrouper les artistes par scène, je veux dire par là : comment tu crées la cohérence dans tes line ups ? Par quelle logique tu arrives à créer de l’alchimie sur chaque scène ?
La programmation du festival de l’année prochaine commence cette année pendant que le festival se déroule, parce que nous nous baladons, regardons les concerts et regardons le public et comment il s’approprie les concerts. On va regarder où est ce que le public est le plus nombreux, s’il arrive tôt ou tard à telle et telle scène. On va voir si le dimanche ils restent sur le camping plus longtemps etc… Et on prend des notes.

Puis quand on se revoit en septembre ou fin août avec Alex, on prend une feuille blanche avant même d’énoncer des noms, on réfléchit plutôt en terme d’ambiances, en prenant comme référence nos observations de l’édition passée. Quel style n’a pas marché ? Quelle après-midi a cartonné, quel chapiteau était trop petit ? On commence à créer notre programme, non pas avec des noms mais avec des styles, des courants, des atmosphères. Ensuite on fait un jeu d’équilibriste, de balance, entre tous ces styles. On fait attention à mettre de la techno, de la drum&bass tous les jours, de la house tous les jours, du hip-hop pour contrebalancer. Seulement après on target des noms précis qui collent avec les styles qui colorent les scènes. Et c’est comme ça qu’on crée l’alchimie, grâce à ce travail de fond sur les atmosphères qu’on veut à tel et tel moment, sur telle ou telle scène, sous un chapiteau ou sur la grande scène. On sait qu’on aime bien mettre du reggae même pas très connu sur la grande scène parce que quand tu arrives l’après-midi et qu’il y a du reggae tu sens tout de suite la good vibe ! Et c’est mieux de mettre ça plutôt qu’un groupe un peu plus connu parce que de toutes façons en début d’après-midi il y a moins de monde. On préfère faire en sorte que les gens se sentent bien et aient la banane en entrant et tout ça, c’est très étudié de notre part, c’est très certainement la moitié du boulot.

On aurait pu canaliser les énergies en faisant une soirée hip-hop, une soirée techno mais nous voulons qu’il y ait de tout, tout le temps : des moments calmes, des moments où tu peux aller banger comme un dingue, des moments où te couches dans l’herbe, des moments où tu vas écouter attentivement, on fait vraiment attention à ça.

Quels conseils tu donnerais à des gens qui veulent travailler en tant que programmateur pour des festivals ?
Il n’existe pas vraiment d’études, il faut te tailler ton propre boulot. Personnellement j’ai fait des études de journalisme, et j’ai fait mon stage de fin d’études aux Inrockuptibles à Paris, après ils m’ont engagé mais je n’étais pas très bon, pas vraiment fait pour le journalisme. Par contre ça m’a introduit dans le milieu de la musique duquel j’ai commencé à comprendre les codes, comment ça fonctionne : un artiste qui est représenté par un attaché de presse et un manager qui le choisit, mais qui a aussi un agent pour programmer ses tournées… J’ai donc appris ce langage. Après j’ai monté mes propres soirées, étant moi-même DJ, et je gagnais un peu ma vie en mixant tous les jeudis, vendredis et samedis. Je suis ensuite rentré en Belgique pour avoir un confort de vie qui me convenait mieux et j’ai monté mes soirées en Belgique, ce qui est ensuite devenu un collectif, puis un label, et j’ai fait un travail de promoteur de soirées. Et ensuite l’édition belge des Francofolies de la Rochelle m’a demandé de l’aider, puis je suis arrivé comme ça jusqu’à Dour.

Un conseil : fonce ! Appelle des producteurs de soirées, de concerts, va proposer ton aide, va chercher les artistes à l’aéroport, fais du flyering, aide les à transporter le matos… C’est comme ça que j’ai fait !

 

 

 

Talk Louise G.