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[POP TALK] Agoria gagne le concours de drifts avec son dernier album

«La définition du Drift, c’est le dérapage sans sortir de la route, c’est l’idée de ce disque»

Pourquoi avoir fait une aussi longue pause, de 8 ans, dans ton travail de production ?
Je n’ai pas fait réellement une pause, j’ai quand même sorti des disques même si on me rabâche en permanence que ça fait 8 ans. Parce que quand on me dit « ça fait 8 ans que t’es dessus », ça suggère un peu que j’ai galéré, quelque part. Alors qu’en fait j’ai 50 morceaux et cet album aurait pu sortir il y a 2 ans 3 ans, il sort qu’aujourd’hui, c’est comme ça.
J’ai sorti des disques sur des labels comme Kompakt, Innervisions, Hotflush, un peu des labels phares de la techno, j’ai fait des disques mais pas d’album. J’ai aussi fait quelques musiques de film pour Jan Kounen, tout ça prend du temps, non je rigole en fait je suis une vraie feignasse (rires).

J’ai l’impression que tu as donné une couleur un peu pop à ton album, il y a beaucoup de featurings avec des chanteurs (Phoebe Killdeer, Noemie),ça contraste avec, par exemple, ton mix pour RA il y a 3 ans qui était un peu vener, quelle était ton intention artistique ? Comment tu perçois le travail du son avec des voix ?
Alors clairement c’est un album qui est plus mainstream, plus pop, l’idée de ce disque, c’était d’arriver à faire un album mainstream qui reste élégant. Ça peut paraître arrogant de juger comme ça mais la plupart des albums mainstream sont un peu dégoulinants à mon sens. Et d’un autre côté la plupart des albums pointus, par exemple ceux d’Aphex Twin, ne s’écoutent pas tous les matins chez soi, même quand on apprécie.
J’avais envie de me faire plaisir sans avoir peur de faire des morceaux pop, tout en gardant une certaine éthique dans mes prods.
J’ai néanmoins toujours eu du plaisir à faire des morceaux avec des chanteurs, sur le premier album j’avais Tricky, sur le 2ème Neneh Cherry ou Princess Superstar et Peter Murphy. Sur le dernier j’ai pris le pari de bosser avec des producteurs de musique électronique comme Carl Craig ou Seth Troxler et de les amener au micro, c’est toujours l’idée de « drifter », comme le titre de mon album.
La définition du drift c’est le dérapage sans sortir de la route, c’est l’idée de ce disque, je suis un peu en marge de ce que j’ai fait jusqu’à présent. Même si j’ai toujours aimé faire des choses avec des voix, là je vais plus loin et j’assume totalement mes choix. C’était plutôt fun j’ai fait des essais spontanés en studio.

Donc certains gardiens du temple, de certaines niches, vont se demander ce que je fais quand ils vont écouter par exemple Remedy. Mais j’assume ce côté plaisir coupable, je crois que Drift est à la croisée des chemins entre nos plaisirs coupables et nos plaisirs innocents. Je trouve que c’est facile de dire qu’on est fan d’Aphex Twin, de Radiohead, de choses plutôt pointues mais c’est beaucoup plus dur d’assumer qu’on aime Image et les Démons de Minuit.
On aime tous la bonne musique, on sait la reconnaître. Et je crois qu’en tant que DJ, je joue des disques assez pointus. Même si je viens d’une école où je jouais beaucoup la techno de Chicago et de Detroit : Jeff Mills, Carl Craig, Kevin Saunderson, tous ces artistes là ; aujourd’hui j’hésite de moins en moins à croiser les chapelles. Je peux me retrouver à jouer un morceau de musique africaine ou encore un morceau de Kanye West ou un vieux classique de Chimo Bayo, qui pourrait aller dans les plaisirs coupables, et c’est ce qui m’excite.

Dans la techno, on répète sans arrêt les mêmes recettes, ce qui fait que je ne m’amusais plus vraiment en studio, je pourrais refaire un nouveau Scala, un nouveau morceau très club mais je l’ai déjà fait pendant 15 ans. Si j’étais carriériste, je me dirais que je ferai ça toute ma vie : creuser le sillon jusqu’au bout. Mais j’avais plus envie d’aller au-delà et de me faire plaisir à aller en studio avec des musiciens, des chanteurs et même des sound designers, des chefs op. J’ai puisé mon inspiration pour ce disque dans tous types d’art en fait : l’art contemporain, j’ai parlé de Jan Kounen dans le cinéma, un de mes potes qui s’appelle Nicolas Becker a beaucoup œuvré sur le disque, c’est un sound designer de génie, il a d’ailleurs eu un oscar et a bossé pour Denis Villeneuve sur Premier Contact par exemple, un film de science-fiction de fou !

Comment tu choisis les artistes avec qui tu travailles ?
J’ai la chance que tous ces gens, quand je les ai rencontrés à Paris, aient eu envie de bosser avec moi, c’était très simple, très organique. Ça n’était pas, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, une équipe de 15 personnes, les gens ne se parlent pas, ils s’envoient des emails les managers sont là, les avocats sont plus là que les artistes, souvent… Là c’était l’inverse. Par exemple : un petit jeune que j’adore a un groupe appelé Zer0, quand je l’ai rencontré il avait 16 ans, c’est le fils d’un ami pianiste, Mikhail Rudy qui me l’a présenté. J’ai été bluffé par sa musique donc je lui ai proposé spontanément de bosser sur mon disque et ça m’a aussi poussé à créer un label qui s’appelle Sapiens, pour sortir ses disques. Jérôme Robotier aussi a bossé dessus, c’est un orchestrateur, il fait de la musique de films. A nous tous on forme quasiment un collectif ! Et c’était très sain, j’étais dans un studio où on bossait tous ensemble, sans horaire, on travaillait très simplement. Un autre exemple, Noemie qui chante sur Remedy, m’a reconnu dans un resto, à la Belle Époque, et elle m’a dit de façon tout à fait random : « j’adore ce que tu fais et au fait, je chante ». Premièrement, la démarche est cool, deuxièmement j’ai senti qu’elle avait une bonne énergie, on est allé en studio et on a enregistré Remedy dans la nuit. Les gens qui ont bossé sur ce disque avec moi sont devenus mes potes finalement !

Tu t’éloignes de l’univers club avec ce disque, non ?
Alors sur la production du disque oui, même s’il y a quelques morceaux qui restent club : Dominae et Scala avec la version en featuring avec Jacques.
Quand je suis arrivé à Paris j’étais assez éloigné de la scène club parisienne, impossible de me voir à Concrete ! Ça n’est pas de l’arrogance ou du dédain, c’est juste que je rencontrais des gens qui étaient plus dans l’art : des peintres, des plasticiens… Et je me sentais plus proche de leur approche artistique que de celle de mes collègues.

C’est comment de bosser avec Jacques ?
Il avait perdu son matos un jour, on lui avait confisqué à la douane en Asie, donc il ne pouvait pas assurer son live à Nantes. Je l’ai contacté en lui disant qu’il pouvait juste apporter sa guitare et jouer avec moi. Il s’est posé sur scène et il s’est allongé pour méditer par terre, il était zen. Je jouais Scala, je lui ai proposé de prendre sa guitare et il s’est levé d’un coup, il a pris sa guitare et c’était parti. Et on a tellement kiffé la version qu’il a faite en live, qu’on s’est dit qu’on allait l’enregistrer en studio, ce qu’on a fait.

Comment vous vous êtes répartis le travail sur Scala ?
C’est simple, Scala c’est un morceau que j’avais déjà sorti chez Innervisions et je pense que la question s’est posée de le ressortir car je préfère la version avec Jacques. J’ai fait un edit plus court sur cette version. Sa guitare apporte vraiment un truc mais je n’avais pas eu l’idée quand j’ai fait le morceau original. On a fait plein de trucs ensemble avec Jacques ! D’ailleurs nous sortons un disque ensemble sur mon label Sapiens, je suis plus à la production pure et lui joue 95% de ce qu’il y a sur le disque. J’ai plus eu le rôle de l’oreille attentive du producteur, on va sortir ça, je pense, en juin.

C’était comment Coachella ? J’ai vu que tu avais lâché des tracks un peu dark, le courant passait avec un public comme celui de Coachella ? Est-ce que tu as fait un set semblable à celui que tu as fait pour Cercle par exemple ? Comment tu perçois le public et comment tu t’y adaptes ?
S’adapter au public, c’est le propre du DJ, un bon DJ c’est celui qui sait aussi bien jouer dans des catacombes pour 50 personnes, que dans les hauteurs des Alpes pour 150 ou dans des festivals à 150 000 personnes. C’est pour ça que j’adore être DJ, c’est mon truc, mon kiffe c’est de me dire « comment je les emmène ?».
Je pense que c’est aussi le concept de Drift, de ne pas avoir une route définie, s’autoriser à aller en marge et j’adore ça.
Après il y a deux styles de DJ : celui que je te décris et puis l’autre DJ qui dit « je joue ma musique et j’en ai rien à foutre : ils aiment ou pas, je m’en fous ». Comme ça il fidélise un certain public qui va écouter un son précisément.
Pour ma part je suis plus dans le rassemblement, j’ai envie d’emmener un maximum de gens avec moi, je trouve ça plus excitant. C’est un challenge, parfois tu te plantes bien sûr, parfois ça ne marche pas, parfois ça marche. En fait, ça m’ennuierait de jouer tout le temps la même musique indéfiniment, je trouve ça bien de se remettre en question souvent. De la même façon, je ne pense pas qu’une vision du djing soit meilleure qu’une autre, il y a plein d’artistes que j’aime beaucoup et qui font la même chose depuis 20 ans et je pense qu’ils ne bougeront jamais, ce sont vraiment deux approches très différentes. Ce qui touche les gens c’est le fait que ce soit authentique.
Par exemple aujourd’hui j’ai reçu un message de Mike, Gesaffelstein qui me disait « Ce qui est cool quand on écoute ton album c’est qu’on sait que tu l’as fait pour toi, que tu t’es fait plaisir, on sent que ce sont tes choix personnels». On peut aimer ou ne pas aimer ça ne me dérange pas.
Souvent on est un peu sclérosé dans la scène électronique, qui est une scène de niche où il y a très peu de prescripteurs, on a un peu peur de ce que peut dire le voisin… Je pense que j’ai fait le tour de la question donc ça m’importe moins, quand tu as 22 ans ça n’est pas la même histoire : tu as envie d’avoir 5 sur Resident Advisor. Mon envie c’est surtout de faire ce qui me fait marrer.

Donc la critique tu t’en fous vraiment ?
Non, le jour où tu as une mauvaise critique, évidement que ça n’est pas agréable, personne n’est indemne devant ça. Mais ça durera moins longtemps parce que je sais pourquoi je l’ai fait.

Dans le rythme de It Will Never Be the Same j’ai eu l’impression de sentir des petites influences trap, est ce que le succès du rap aujourd’hui t’as un peu inspiré ? D’ailleurs ta collab avec STS me fait aussi un peu penser ça.
Tu vois comment le succès du rap ? Une inspi, une concurrence, une vague sur laquelle surfer ?
Dans les deux cas ça c’est fait très naturellement, pour le feat avec STS c’est Fabrice Brovelli qui m’a appelé en me disant qu’il avait un pote rappeur d’Atlanta à Paris et que je devais le rencontrer, parce qu’il était sûr qu’on s’entendrait super bien. Je l’ai rencontré donc et effectivement on s’est très bien entendu. Le lendemain, on était en studio et il fumait sans s’arrêter des spliffs de malade, je me disais qu’il n’arriverait jamais à poser sa voix ! Au bout de 2 ou 3h, alors que je bossais l’instru, il s’est levé : « Let’s do it man ! » et c’était une machine, en deux prises c’était dans la boite. Et c’était sharp, en plus, ce qu’il a sorti ! On a fait plusieurs morceaux comme ça ensemble, peut être que je sortirai les autres plus tard, j’ai adoré le flow du mec.
Pour répondre à ta question précisément, le fait que le rap soit omniprésent, je pense que c’est une tendance urbaine pas seulement propre au rap et à la musique, on voit ça aussi dans la mode, c’est une trend populaire plutôt cool. Mais j’ai quand même un petit souci vis-à-vis de l’éthique, parfois le message véhiculé est catastrophique.

Après ça reste des personnages, c’est le rap game, un jeu au sens propre non ?
Mais on a quand même quelques histoires de mecs qui sont en taules et quand je parle d’éthique  je parle de ça : quand tu roules sur un mec ou que tu fais assassiner quelqu’un, on est au-delà du rap game. Je me dis « ok c’est cool, ils ont des flows de dingue, des voix de malade » mais ça ne m’intéresse pas, ça n’est pas ce genre de messages qui me fait rêver. Après il y a des artistes qui font des trucs géniaux parallèlement, il y a à boire et à manger.
Par contre ce qui est sûr c’est qu’on s’influence tous beaucoup, je reviens de L.A j’ai fait deux ou trois meetings avec des rappeurs et on est content que ces scènes se rencontrent. Le morceau avec STS est assez vener : 135 bpm, je le joue en club et ça fonctionne à mort. L’avantage de la technologie actuelle c’est qu’on peut mélanger tous les styles à n’importe quelle heure et si ça sonne bien, ça fonctionne. Les musiques urbaines se rejoignent.

Tu peux nous parler du projet que tu as mené dans le cadre de la collaboration Sonar x Nasa pour lequel tu as diffusé de la musique dans l’espace ? Quel sens ça a pour toi, pourquoi tu as décidé de faire ça ?
Sur mon album, le dernier morceau s’appelle Computer Program Reality et à la toute fin du morceau j’ai samplé un discours de Philip K.Dick, enregistré dans les années 70 pendant une conférence où il explique sa vision du monde. Selon lui, on vit tous dans un programme d’ordinateur et à chaque fois qu’on a une sensation de déjà vu c’est un bug de la matrice. Et si on se disait que, par hasard, on était tous dans une simulation, comme les ordinateurs et l’IA peuvent être des simulations à part entière, si tant est qu’il y ait une énergie extraterrestre ou une forme de vie, la meilleure façon de les contacter ce serait par un programme d’ordinateur qui répondrait par des 0 et des 1 et qui serait lisible par n’importe quel autre code mathématique extra-terrestre.
Donc on a fait parler deux IA ensemble pendant quelques mois, ils ont fait 600 millions d’essais, d’itérations et à la fin, on a eu 10 secondes qui nous semblaient être un début de langage entre elles et ces 10 secondes, c’est ce qu’on a envoyé dans l’espace, on attend toujours une réponse.
Au début c’était qu’un bruit blanc, parce qu’il y a beaucoup de deep learning dedans, et au bout de 600 millions j’ai donné les parties de Remedy et j’ai dit aux deux IA de ne pas faire quelque chose d’humain. Le but c’était de créer un langage commun.
Moi paradoxalement je ne crois pas vraiment aux formes de vie extraterrestres. Mais je suis sûr que ce qu’on appelle aliens et autre sont juste des énergies. Et je suis persuadé que nous en sommes entourés également et ce sont ces énergies, ces vies qui m’intéressent : comment les toucher, les arrêter… Et donc j’attends la réponse.

Est-ce que tu as essayé d’imaginer ce que pourrait être la réponse ?
Peut-être qu’on l’a reçu et qu’on ne le sait pas, je ne sais pas si on va réussir à la capter.
En fait je crois beaucoup aux fréquences, et d’ailleurs, par rapport à la musique sur certains morceaux, si on travaille bien les fréquences, même si les mélodies ne sont pas géniales, la façon dont c’est produit, dont ça sonne, fait que tu auras quelque chose de beau. Mais si tu travailles les fréquences comme un sagouin même avec une mélodie belle, on va la recevoir comme agressive. Alors là c’est un exemple très terre à terre, c’est juste pour dire l’importance des fréquences qu’il y a entre nous pour notre ressenti. Et il y a d’autres fréquences auxquelles s’intéresser. Comme ce qui concerne les travaux sur la mémoire de l’eau, c’est très controversé, mais le professeur Montagnier, affirme pouvoir envoyer une séquence d’ADN par une fréquence de son et ça questionne beaucoup de choses. En gros ils ont trouvé de l’ADN dans l’eau, ils l’ont encodée dans un fichier son, qu’ils ont envoyé dans un autre laboratoire et ils ont réussi à réimporter l’ADN qui était dans ce fichier son. Ces travaux n’ont pas été faits dans les normes mais néanmoins derrière cette idée là on questionne le concept d’énergies.
Par ailleurs, quand on fait des expériences d’état de conscience modifié avec des psychotropes ou juste en faisant des exercices sur soi, on a parfois ces sentiments d’énergies extérieures qui nous touchent.

J’ai vu le clip d’Embrace, et je me demandais quel message il y avait dedans, si c’était le tien ou celui de la réalisatrice ?

Ça reprend le message de Drift : on est tous des lovers et des haters, des innocents et des coupables, on a tous raison on a tous tort, ce qui peut paraître consensuel, mais c’est ce qu’on a voulu montrer avec ce clip. Comme le montre la phrase au début du clip : « on est tous les anges et les démons de cette terre ». Le message c’est : embrasse le monde, oublie ton ego et, mis en image par des combattants sur une base militaire au Liban qui s’engagent pour faire la guerre avec pourtant un message de paix sur la bande son, on montre une contradiction que j’ai trouvée très forte et qui justement soulignait le message de paix. Je pense qu’on oublie souvent l’engagement de ces personnes. J’ai été sur un bâtiment de guerre un jour et quand tu vois ces mecs qui partent, tu vois leur engagement et c’est assez dingue. Et quand j’ai rencontré Jessy Moussallem (la réalisatrice), qui est une femme pleine d’énergie, on s’est dit qu’évidemment on ne pouvait pas faire un message plus fort comme message de paix. Même si ça peut paraitre ambivalent, c’est une ode à la liberté et la paix.

 

 

Talk Louise G.