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POP CORN : Paul Thomas Anderson, passeur d’histoires.

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Il est loin le temps où l’on s’attardait à écrire des histoires de vie, mêlant des personnages complexes, démêlant des sentiments imparfaits, comprenant des destins outrageusement tragiques, des amours qui se fondent ou se morfondent, probablement . Des vies à faire pâlir l’Odyssée, à nous donner envie de ne jamais succomber, de ressusciter dans d’autres époques et de vivre jusqu’à en mourir et puis… De recommencer.

Il est loin le temps où l’on se revendiquait auteur au sens propre du terme : écrire ses scénarii et puis les réaliser. Car le système cinématographique, ce sont évidemment des scripts prêts à être plié, lancé dans les tuyaux de l’industrie, vaguant de main en main, de négociation en négociation pour finalement trouver le nom en vogue qui réalisera ce film. La frontière entre scénariste et réalisateur est devenu un fossé, elle s’élargit de plus en plus, démystifiant ainsi le principe de l’écriture et du rôle de l’écrivain. Le scénario n’est alors pas considéré comme une œuvre en elle-même mais plutôt comme un outil de travail. C’est le film qui est l’œuvre et c’est le réalisateur qui le signe.

Et puis, il y a Paul Thomas Anderson et ses trames élégantes, sensuelles, corrosives. Quelque chose qui ne déteint pas de la vague des sexagénaires précédents comme David Fincher par exemple, dont l’univers est resté le même.
Paul Thomas Anderson s’inscrit dans la lignée des scénaristes-réalisateurs comme James Gray et Wes Anderson. Ils vivent en se nourrissant d’un besoin réel de raconter et préservent ainsi ce qu’Hitchcock nous a légué : des œuvres aussi universelles que personnelles.

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Les personnages de Paul T. Anderson sont des névrosés aux vies maudites.
Condamnés à vivre indépendamment de leurs propres choix de vie, leurs histoires sont des fils qui tissent le passé des États-Unis pour mieux saisir certaines périodes charnières.

The Master (immense chef-d’œuvre sorti en 2012) déroule les mœurs de Freddie (Joaquin Phoenix), ancien marin revenu des entrailles de la guerre du Pacifique. L’histoire est aussi déséquilibrée que le personnage. Son chemin est obscur, jusqu’à la rencontre avec le fondateur d’une secte, joué par le très regretté Philip Seymour Hoffman. Leur relation ouvre une nouvelle facette de l’intrigue : une certaine histoire d’amour, même si aucune image ne l’ explicite. Ces deux personnages apprennent à revivre seulement en coexistant. Ils sont liés de façon mystérieuse et indissoluble.

Magnolia (1999) narre la vie sous toutes ses formes.
Ce sont les déboires d’une dizaine de personnages : du gourou ultra médiatisé prêchant le sexisme à l’existence du simple policier de quartier. La complexité du genre humain est disséquée: les souffrances du passé comme l’amour non partagé. Magnolia cest le temps qui vole et ses pétales qui tombent. Peu importe les différents chemins que l’on prend, à la fin, la sanction sera la même: qu’aura-t-on vraiment fait de notre vie ?

Pour la scène inclassable:

Il est de notoriété publique que There Will Be Blood (2007) se doit d’être relaté lorsque l’on parle de Paul T. Anderson. Tout commence en 1898, ce sont les prémices de l’avènement de l’Amérique moderne, une nation fondée sur la religion et le dollar. Daniel Day Lewis est Daniel Plainview, un chercheur d’or qui fait fortune grâce au sang de la terre : le pétrole. Les 15 premières minutes sont sans dialogue. La virtuosité de l’histoire se déroule durant 30 ans : du premier trou dans le sol jusqu’à l’empire pétrolier.

Ici l’intro muette:

Inherent Vice (2014) n’est pas un film mais un joint que l’on fume pendant 148 minutes.
Tout est incohérent : les dialogues, les personnages, les scènes. À l’instar du personnage principal Doc Sportello (encore Joaquin Phoenix), un hippie à rouflaquettes des 1970′, docteur/détective privé, fils d’une génération qui a fait l’amour à Woodstock et s’est battu contre l’autorité de la société. Dans cette Amérique en pleine mutation Doc se drogue, Doc boit, tout est déformé, il n’arrive pas à se concentrer sur l’histoire… Comme le spectateur. Certains ont dit que c’était brillant, d’autres perturbant, voire chiant.  Le film est comme le mouvement hippie : un objet de contre-culture.


Dans une époque où le 3ème volet des Tuches et celui des Nuances de Grey explosent au box-office, Paul T. Anderson nous fait la promesse d’être toujours là où l’attend le moins, et porte en lui une volonté d’éclectisme toujours aussi pointilleuse. Il nous offre ce mercredi 14 février son tout dernier film, Phantom Thread : une histoire d’amour entre un couturier londonien des années 50 et une jeune servante.
On ne sait rien de plus, excepté une réplique  : « Voyez-vous l’aimer, lui, fait que la vie n’est plus un grand mystère ».

Et comme le désir est une chose qui doit être prolongée :

Paul T. Anderson a donné une masterclass dans notre cinémathèque fin janvier :https://www.arte.tv/fr/videos/073343-011-A/lecon-de-cinema-avec-paul-thomas-anderson/

Et la musique, une chose essentielle pour le soulèvement d’une histoire dans le cinéma:

 

Matteo est sur Instagram @matteoveca